Économie ivoirienne, droits d’auteur, politique, Sénégal, CAN 2024: A’Salfo (Magic System) se livre

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Il est à la fois artiste, créateur d’un groupe de musique au succès mondial, chef d’entreprise, acteur plus généralement de l’économie ivoirienne et africaine. Salif Traoré alias A’Salfo, fondateur de Magic System issu d’Anoumabo, quartier pauvre d’Abidjan, est le grand invité de l’économie RFI / Jeune Afrique. 

Au micro de Bruno Faure (RFI) et Aurélie M’Bida (Jeune Afrique), le récent diplômé d'un Global Executive Master en management d'une unité stratégique à HEC Paris évoque la question de la rémunération des artistes en Afrique, des droits d’auteur, du développement des industries culturelles et créatives, de l'emploi des jeunes. A’Salfo dévoile ensuite certains des secrets de sa réussite internationale, avant d’être interrogé sur les relations Nord-Sud, la vie politique en Côte d'Ivoire avant l’élection présidentielle de 2025, la situation au Sénégal et celle en France. Il commente les événements suite à la mort du jeune Nahel tué par un policier à Nanterre. En fin d'émission, le compositeur de l’hymne officiel de la CAN de football, de retour dans son pays en janvier 2024, révèlera le titre de la chanson qui fera danser les supporteurs des 24 équipes qualifiées. 

 

Les moments forts de l’émission :  

ANOUMABO AUJOURD’HUI 

On doit rendre à la nature ce qu'elle nous a donné. Je dis toujours que j'ai eu la chance de naître dans un environnement comme Anoumabo (quartier pauvre d’Abidjan, dans la commune de Marcory), qui m'a appris beaucoup de valeurs, à me connaître et qui était pour moi une école. Tous ces combats que je mène, c'est parce que j'ai été confronté à cette difficulté de la vie. J'ai vécu comme toutes ces personnes défavorisées dans les bas quartiers et je n’ai pas pu faire de longues études. Aujourd'hui, on a besoin de regarder dans le miroir et permettre à d'autres personnes de pouvoir aller plus loin que nous. Hier, Anoumabo était infréquentable et aujourd'hui, c’est le village que tout le monde veut voir, découvrir. On en est fier. On essaie de mieux vendre notre petit village et notre Côte d'Ivoire. 

SON DIPLÔME DE HEC 

C'est un rêve d'enfant, de jeune élève qui voulait aller dans des grandes écoles pour approfondir ses connaissances mais qui, malheureusement, n'avait pas les moyens. Aujourd'hui, les conditions sociales me permettent de m'inscrire dans cette grande école, même si ça n'a pas été facile. Il fallait passer par des tests que j'ai réussis. C’est aussi un message que je voulais faire passer à tous ceux qui croient quêtre célèbre et avoir de l’argent, c'est une fin en soi. Non, à tout cela, il faut ajouter un peu de dose académique, un peu de connaissance pour bien mener ce que l’on a envie de faire. Nous sommes dans un monde qui se renouvelle chaque matin. Il faut se mettre à jour pour relever les grands défis. Mon inscription à HEC répondait à cela. J’ai été très ému des messages de félicitation venus de tout le continent africain. Pas mal de personnes m'ont appelé pour me dire qu'ils allaient reprendre les études. 

 

LA DÉFENSE DES DROITS D’AUTEUR 

J’ai fait un comparatif entre ce que me verse la Sacem en France et le Burida en Côte d’Ivoire. Quand je prends mes deux relevés, j'ai l'impression qu'il y a un écart pour la même chanson de 1 000 ou de 2 000 %. Et ce n'est pas un problème de gestion, c'est un problème de récupération. En France, on a la chance de pouvoir récupérer les droits, de les répartir de manière juste parce qu'on a une documentation numérique, les instruments modernes, une législation qui s'adapte aux droits d'auteur. Mais quand on arrive en Côte d'Ivoire et dans d’autres pays, on a l'impression quil y a un déficit. En Afrique, 60% des œuvres ne sont pas numérisées, ne produisent pas de métadonnées. Quand on ne sait pas qui est l'auteur, on ne peut pas savoir qui est le bénéficiaire. On a besoin de moderniser cela. 

LES SECRETS DE SA RÉUSSITE MONDIALE 

Magic System venait de la Côte d'Ivoire et on voulait évoluer en France. Mais on a deux oreilles différentes : l'oreille africaine et l'oreille française. Il fallait s’adapter. Par exemple, quand on sortait un album, on essayait de proposer une musique qui pouvait plaire à la communauté française sans nous éloigner de la musique africaine qui est notre base, le socle même de notre musique. Les albums ne sortaient pas avec le même nom. Quand tu sors «Bouger, bouger», tout de suite l'Européen a envie de danser, de faire la fête. Mais tu ne vas pas l'appeler «Bouger, bouger» en Afrique. Tu vas l'appeler peut-être «Petit pompier», «Un gaou à Paris» ou «Premier gaou». Dans les concerts, on ne chante pas les mêmes morceaux.  

 

 

UNE JEUNESSE POLITISÉE 

Je parle d'une jeunesse politisée qui a pris conscience qu'il y a des enjeux, qui a pris conscience quelle est elle-même une richesse et une force pour l’Afrique. Nous sommes le continent le plus jeune au monde, donc pour nous, ça doit être un atout. Mais aujourd'hui, j'ai remarqué que ça peut aussi devenir une faiblesse. Trop de jeunes, moins d'initiatives, moins d'engagement. À un moment donné, on a envie de leur dire : « Levez vous, engagez-vous ! ». C'est ce que nous sommes en train de faire à travers notre musique. 

 

LA PRÉSIDENTIELLE 2025 EN CÔTE D’IVOIRE 

L'élection où il y a le plus d'enjeu, c'est l’élection présidentielle. C’est là que tout part en vrille. On part d'un point 100 de stabilité, à un point de stabilité zéro. Je ne parle pas de la Côte d'Ivoire seulement, je parle de toute l'Afrique. À chaque fois qu'il y a une élection présidentielle, on a l'impression que la tension monte et pour moi aujourd'hui, c'est du fait du discours de nos politiciens. Il faudrait que l’on sache mener un discours conciliateur, pour qu’un jeune n’aille pas voter parce qu'on lui donne un T-shirt. Un jeune vote pour son avenir. Un T-shirt à 2.500 francs ne fait pas son avenir. Il faut que cette jeunesse en prenne conscience, qu'on vote sur des projets, des programmes qui conviennent à notre vision. On ne va pas voter pour un T-shirt, pour une région, pour une ethnie. On doit voter pour une idéologie qui nous plaît. Il faut envoyer ce message aux jeunes pour qu’ils comprennent les enjeux de l’élection.  

 

 

LA SITUATION AU SÉNÉGAL  

Quand je vois le Sénégal aujourd'hui, ça me rappelle la Côte d'Ivoire en 2020 où l’on avait un problème d'ordre constitutionnel. Je ne vais pas me mêler des problèmes sénégalais, je ne maîtrise pas la Constitution sénégalaise mais je crois que tout est question de compréhension. Nos constitutions sont souvent faites sur mesure, ce qui a créé forcément des tensions par la suite. Dans les premières heures, ça peut être bien, mais à la longue ça va coincer. Dans ces constitutions, il y a une opacité. Les gens n'arrivent pas forcément à comprendre, on n'arrive pas à capter. Là, quand on fait des constitutions, et qu’après il y a une opacité, les gens n'arrivent pas forcément à comprendre, on n'arrive pas à capter. Quand tu as quelqu’un en face de toi qui s'exprime, tu as l'impression que c'est lui qui a raison, et que de l'autre côté, quelqu’un s'exprime et tu as l'impression que c'est lui qui a raison, c’est qu’il y a une ambiguïté constitutionnelle.

APRÈS LA MORT DE NAHEL 

Je pleure la famille du jeune qui est décédé (tué par un policier lors d’un contrôle mardi 27 juin) puisque, quand je suis en France, j’habite près de Nanterre. Je crois qu'à un moment donné, il faut remettre les choses à plat et écouter ces jeunes des cités. Souvent, ça ressemble à de la révolte. Souvent, ça ressemble à un excès de mépris d’une certaine classe de politiciens, et cela se ressent dans des comportements. Un refus d'obtempérer ne doit pas condamner à mort celui qui l'a fait. Il est bon que nous les artistes prenions part au débat. Mais il va falloir que nous soyons dans la prévention plutôt qu’intervenir après les drames. On peut parler, élever tous la voix mais il faudrait que nous, les artistes aussi, disions les choses avant, en amont. 

NOUVEAU PACTE FINANCIER 

Le consensus des pays du Sud a toujours existé, mais je crois que c'est au niveau des engagements qu'il faut évoluer. Des engagements viennent remplacer d'autres engagements qui n'ont pas été respectés. On a parlé des investissements contre le réchauffement climatique, de la restructuration de la dette zambienne, mais il faut trouver des solutions durables et efficaces pour pas que dans 5 ou dans 10 ans, on revienne encore avec un nouveau parti financier avec des pays encore de plus en plus endettés.  

L’AGRICULTURE EN CÔTE D’IVOIRE 

Les conditions de vie des planteurs n’ont pas changé. En 1980, on nous disait que le succès de la Côte d'Ivoire reposait sur l'agriculture. Ce n’est pas normal que l'agriculteur soit le plus pauvre. Il y a quelque chose qui ne va pas. Je viens avec mes produits au marché, je veux les vendre et c'est l'acheteur qui me dit le prix auquel je dois lui vendre des choses. En Côte d’Ivoire, on fait le cacao, on a le café, mais il est plus facile pour le petit Suisse ou le petit Belge de manger du chocolat facilement au petit déjeuner que pour le petit IvoirienJe crois que l'industrialisation peut être une solution et je crois que la Côte d'Ivoire est en train de s'engager résolument sur ce chemin. J'espère bien que ça pourra donner les résultats que nous attendons parce qu'il est temps que le planteur vive de ses efforts. Il faut déjà que nos pays puissent s'associer et parler de la même voix. Pourquoi la transformation de nos matières premières doit-elle passer forcément par Bruxelles ou par Genève alors qu’on peut les transformer chez nous ? 

 

 

SES RÉSEAUX POLITIQUES ET FINANCIERS 

Quand on a la chance d'être dans un groupe qu'on appelle Magic System et qui, depuis 25 ans, se promène avec le drapeau de la Côte d'Ivoire partout dans le monde, on a quand même le privilège d'être proche de ces gens qui ont de l’influence. C'est une chance pour nous de pouvoir être la courroie entre ces gens-là et le peuple. Moi, je suis très honoré d'avoir pour marraine Dominique Ouattara. Notre rencontre ne date pas d'aujourd'hui. Je n’ai pas attendu qu'elle soit Première dame de Côte d'Ivoire. On ne parle pas forcément politique, on parle social. Pareil pour Amadou Coulibaly. Quand je l’ai connu, il n'était pas ministre. C'était un féru du reggae et on parlait musique. Je ne vais pas nier mes amitiés avec lui. Daouda Coulibaly, c'est un banquier, on ne peut pas dire qu'on est dans les affaires sans avoir des potes banquiers. Même le président Ouattara, quand j'ai l'occasion, je vais le voir, je vais causer avec lui parce que je tire toujours de bons enseignements en sortant des audiences avec lui.   

SES RELATIONS AVEC LA FRANCE 

On ne peut pas fermer les yeux sur des choses qui ne vont pas, mais quand ça va aussi, il faut le dire. Moi je suis un afro-optimiste, je suis de cette Afrique qui va trouver des solutions aux problèmes. Je ne suis pas de cette Afrique qui se referme sur elle-même. J'ai la chance d'être le pont culturel entre la France et la Côte d'Ivoire et je ne vois pas pourquoi je m'inscrirai dans une case de la critique inutile, au lieu de trouver des solutions. 

SES PROJETS  

Chaque année, nous partons au Liban pour une série de concerts. J'ai des amis libanais et franco-libanais comme la famille Saadé, propriétaire de CMA-CGM. Mais mon rêve, c'est de jouer en Afghanistan, parce que la musique est la seule chose qui brise les frontières. Elle doit fédérer, rassembler. 

 

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Date de parution

01 juillet 2023

Nombre de lectures

5

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

44 Mo

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