Emotions (en) vie sociale , livre ebook

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Après avoir publié des ouvrages sur les passions sociales, la nostalgie, la honte et les remords, Antigone Mouchtouris poursuit un cycle de réflexions sur le rôle des émotions dans la vie sociale. Les analyses sociologiques sur la dimension sociale des émotions sont peu nombreuses. Ce livre comble cette lacune en privilégiant l'idée que tout commence par des émotions. Toutes les grandes transformations des actions humaines ont la particularité d'être à la fois personnelles et collectives ; elles ont la capacité de créer les liens sociaux qui aboutissent à de nouveaux rapports au monde. En privilégiant les émotions, cet ouvrage met en lumière leur propriété de mobiles des actions transformatrices.
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Date de parution

23 juillet 2019

EAN13

9782304047653

Langue

Français

Sous la direction de Antigone MOUCHTOURIS
émotions (en) vie sociale
éditions Le Manuscrit Paris
ISBN 9782304047653
© Mai 2019
Antigone Mouchtouris
Lectures des émotions
Bernard Valade Professeur émérite de sociologie Université Paris Descartes
Le présent recueil d’études prend place dans l’ensemble de publications consacrées, depuis la fin du siècle dernier, aux « émotions ». Principalement étudiées jusque-là du point de vue privilégié de la psychophysiologie, ces dernières ont alors fait l’objet d’un renouveau d’intérêt qui a contribué à desserrer l’étau disciplinaire où elles restaient enfermées. Il s’en est suivi une réévaluation de la place et du rôle des émotions dans l’existence individuelle et collective. En témoigne une série d’ouvrages, dont celui intitulé Emotions et sentiments : une construction sociale – Apports théoriques et rapport au terrain, dirigé par M. Charmillot, C. Dayen, F. Farrugia, M.-N. Schurmans (2008) est l’un des premiers à avoir vu le jour. Les contributions ici rassemblées sous la direction d’Antigone Mouchtouris prolongent ces investigations, en abordant de façon originale nombre d’aspects du sujet concerné. On y introduira brièvement, en rappelant les principales lectures auxquelles les émotions ont été par le passé soumises, et quelques-unes de celles qui en ont récemment renouvelé l’analyse.
Vers la fin de l’enfermement disciplinaire des états émotionnels
L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872, tr.fr. 1877) de Charles Darwin peut commodément être posé comme le point de départ, à l’époque contemporaine, d’un examen « scientifique » des émotions. Dans l’introduction, le « naturaliste » récapitule les apports antérieurs à l’étude de son sujet, apports notamment fournis par Charles Bell, Louis Jaques Moreau de la Sarthe et Guillaume Duchenne de Boulogne. Parmi les autres prédécesseurs, sont cités Alexandre Bain (Emotions and Will, 1859) et Herbert Spencer, pour son étude des sensations contenue dans les Principles of psychology ( 1855). L’objectif que Darwin s’assigne est la description et l’analyse des principaux « actes expressifs ». Ces derniers sont rapportés à trois principes : de l’association des habitudes utiles ; de l’antithèse ; « des actes dus à la constitution du système nerveux, complètement indépendants de la volonté et jusqu’à un certain point de l’habitude » (1877, pp.29-30). Au terme des huit chapitres au fil desquels il examine ce qu’il en est des mouvements expressifs chez l’homme, il conclut que « les principaux actes de l’expression sont innés ou héréditaires ; c’est-à-dire qu’ils ne sont pas un produit de l’éducation ; c’est là une vérité universellement reconnue » (p.381). On notera la référence, savamment commentée (p.3), à L’Art de connaître les hommes de Johann Kaspar Lavater, et à son utilisation par L.J. Moreau dans son étude des mécanismes de la physionomie humaine.
L’enfermement disciplinaire des émotions dans la psychophysiologie commence avec William James (1884, 1890) qui enchaîne la perception et l’état physiologique manifestant l’émotion. Pour James, l’analyse d’une émotion par la conscience fait apparaître trois éléments : le contenu objectif, une impression de plaisir ou de peine, une sensation de saisissement d’origine organique. Associée à « l’Étude psycho-physiologique » de Carl Georg Lange, – Les É motions (1885, tr.fr. 1895) –, cette théorie a été intégrée au modèle communément appelé « James-Lange ». De nombreux ouvrages sur ce thème paraissent au cours des quinze dernières années du xix e siècle : en 1885, l’édition française du livre de Bain (cf. supra), en 1887 Les Phénomènes affectifs et les lois de leur apparition de Frédéric Paulhan, en 1896 La Psychologie des sentiments de Théodule Ribot. Paulhan, qui définit l’émotion comme synthèse psychologique d’éléments variés appartenant à différentes classes, expose une méthode pour analyser ce « fait composé » : identification des composantes ; examen des rapports qu’elles entretiennent ; mise au jour de ce qui résulte de leur combinaison. De son côté Ribot se rallie, à la suite de Bain, James et Lange, à la thèse qui rattache tous les états affectifs à des conditions biologiques. Il précise ce qu’il en est de la nature de l’émotion : elle correspond, dans l’ordre affectif, à ce qu’est la perception dans l’ordre de la connaissance. Il dresse une généalogie des émotions qui fait successivement apparaître : la peur, la colère, l’affection, l’amour-propre, l’émotion sexuelle. Il décompose l’état émotionnel en trois éléments, – intellectuel, affectif, organique –, pour conclure qu’une émotion conjoint un changement corporel et la conscience dudit changement. Au cours de cette même période paraissent aussi des études « spéciales », comme la traduction française de l’« Étude psycho-physiologique » d’Angelo Mosso, La Peur (1886), et La Tristesse et la joie (1900) de Georges Dumas, le traducteur de C.G. Lange et de W. James.
La mise en cause du modèle James-Lange date de 1927-1928. Elle est le fait de deux physiologistes, – Walter Bradford Cannon et Philip Bard –, auteurs d’une « théorie thalamique de l’émotion ». Chez les psychologues, le socle théorique est désormais en place : il est entendu que l’émotion est un état particulier et momentané dû à une surexcitation nerveuse plus ou moins violente. Revêtant un double caractère, physique et moral, elle donne lieu à distinction (agréable/désagréable) et différenciation, par l’intensité (émotions douces, émotions vives) ainsi que par l’objet (plaisir esthétique, extase religieuse, etc.). Assimilée à un mouvement psychique, elle s’accompagne d’une dissociation puis d’une réorganisation des états de conscience. Parallèlement à l’apparition du modèle Cannon-Bard, de nouveaux éclairages sont apportés : par Pierre Janet qui, refusant de dissocier vie affective et vie intellectuelle, fait de l’émotion une « conduite » ( De l’angoisse à l’extase. Etudes sur les croyances et les sentiments , 1926-1928) ; par le Behaviorisme (1913,1928) de John Broadus Watson, pour qui l’adaptation est la finalité générale de tous les comportements ; par la théorie des émotions d’Henri Wallon (cf. M. Martinet, 1972). A quoi s’ajoutent les premières contributions de la phénoménologie, à la suite de Carl Stumf qui fut un des maîtres de Husserl.
C’est à ce dernier courant que se rattache l’ Esquisse d’une théorie des émotions , que publie Sartre en 1939. Après avoir fait le point, d’abord sur les théories classiques, ensuite sur la théorie psychanalytique, il en vient à observer que si toutes permettent de connaître le rôle fonctionnel de l’émotion, elles ne nous disent pas grand-chose de sa nature ; aussi entreprend-t-il de la définir. « Phénomène de croyance », l’émotion « vit le monde nouveau qu’elle vient de constituer […] Cela signifie que, toutes voies étant barrées, la conscience se précipite dans le monde magique de l’émotion, elle s’y précipite tout entière en se dégradant ; elle est nouvelle conscience en face du monde nouveau […] Ainsi l’origine de l’émotion c’est une dégradation spontanée et vécue de la conscience en face du monde » (1938, pp.41-42). Dans sa conclusion, Sartre précise que son esquisse d’une « théorie de l’émotion » « était destinée à servir d’expérience pour la constitution d’une psychologie phénoménologique » (p.51). Il souligne encore qu’il lui « fallait faire table rase des théories psychologiques ordinaires de l’émotion », pour passer de celles-ci à « l’idée de signification » ( ibid. ). On ne s’étonnera pas de ce que cette conception de l’émotion comme chute brutale de la conscience dans un rapport magique au monde ne soit pas signalée par Paul Fraisse (1990) dans sa récapitulation des théories psychologiques concernant le thème en question. De ce dernier, il donne une présentation, ponctuée de réflexions intéressantes, mai

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