313
pages
Français
Ebooks
2019
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Publié par
Date de parution
07 février 2019
Nombre de lectures
21
EAN13
9782895967552
Langue
Français
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La collection « Instinct de liberté », dirigée par Marie-Eve Lamy et Sylvain Beaudet, propose des textes susceptibles d’approfondir la réflexion quant à l’avènement d’une société nouvelle, sensible aux principes libertaires.
© Lux Éditeur, 2019 www.luxediteur.com
© George Woodcock, 2004 Avec la permission du Writer’s Trust of Canada, aux bons soins de la Woodcock Estate Titre original : Anarchism: A History of Libertarian Ideas and Movements University of Toronto Press
Dépôt légal : 1er trimestre 2019 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (ePub) 978-2-89596-755-2
ISBN (papier) 978-2-89596-290-8
ISBN (PDF) 978-2-89596-945-7
Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition, ainsi que du Programme national de traduction pour l’édition du livre, une initiative de la « Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018 : éducation, immigration, communautés », pour nos activités de traduction.
Préface à l’édition de 1986
U NE SÉRIE D’ÉVÉNEMENTS , dont la publication de la première version de ce livre, a rendu nécessaire une nouvelle édition revue et augmentée de L’anarchisme. Écrit en 1960 et 1961, le texte original a d’abord été publié aux États-Unis en 1962, puis au Royaume-Uni en 1963. Le livre a ensuite été traduit en plusieurs langues, dont l’italien, le suédois, le japonais, l’espagnol et le portugais.
Dans ce début des années 1960, alors que j’écrivais ce livre, la guerre civile espagnole représentait le dernier événement le plus marquant de l’histoire de l’anarchisme, lequel n’avait plus inspiré de véritable mouvement de masse. La destruction de la République espagnole en 1939, consécutive à l’entrée sans opposition des bataillons de Francisco Franco dans Barcelone, jusque-là château fort de l’anarchisme espagnol, semblait avoir sonné le glas du mouvement fondé par Michel Bakounine dans les années 1860 dans une période de luttes internes au sein même de l’Internationale. Pour diverses raisons, partout, sauf en Espagne, le mouvement était déjà moribond. L’année 1939 était donc à mes yeux celle de la mort de l’anarchisme classique, et j’en avais fait la chute de mon récit.
J’y distinguais cependant le mouvement et l’idée : au cours des deux siècles précédant la constitution par Bakounine des premières cellules de conspirateurs dans l’Italie de l’après-Risorgimento, des idées très proches de l’anarchisme circulaient déjà, qu’elles viennent des piocheurs ( diggers ) en Angleterre ou des enragés en France, de Godwin ou de Proudhon. Je n’avais donc aucune raison de présumer que l’idée libertaire ne réapparaîtrait pas un jour sous une forme différente.
Parce que les rares groupuscules qui, en 1960, perpétuaient les reliquats de la tradition anarchiste étaient loin d’incarner une renaissance de l’idée, j’ai consacré la première édition de ce livre au mouvement historique et adopté un ton plutôt élogieux (au point où l’auteur d’une recension l’a qualifiée, non sans raison, de lamentation). J’avais effectivement conçu l’ouvrage comme une oraison, comme la longue adaptation d’une vieille complainte anarchiste italienne, Fiori per i ribelli che falliscono (Des fleurs pour les rebelles qui échouent). Je le terminais par un hommage aux grands anarchistes d’autrefois qui ne pourrait servir de conclusion à cette seconde édition, mais qu’il me fallait conserver. Je considérais en effet que le mouvement mort en 1939 à Barcelone devait être abordé comme un phénomène du passé. L’idée de recréer des formes d’organisation obsolètes ou d’imiter des méthodes insurrectionnelles qui avaient échoué n’avait pour moi guère d’intérêt, contrairement aux enseignements plus généraux et durables que l’anarchisme pouvait transmettre aux esprits ouverts. C’est dans ce sens que j’avais formulé l’hommage :
L’héritage de l’anarchisme réside certes dans le dévouement et le sacrifice de soi incarnés par quelques figures, telles Errico Malatesta et Louise Michel, mais il s’inscrit surtout dans l’appel à renouer avec une conception morale et naturelle de la société, ce que nous ont transmis les écrits de William Godwin, de Léon Tolstoï, de Pierre-Joseph Proudhon et de Pierre Kropotkine, et dans le désir de liberté dont témoignent ces auteurs alors que la modernité a si insidieusement amené la majorité des gens à troquer ce désir contre le confort matériel et un semblant de sécurité. Les grands anarchistes nous invitent à nous tenir debout, à devenir une génération de princes, à faire de la justice notre feu intérieur, à réaliser que les petites voix de nos cœurs disent plus vrai que le chœur assourdissant de la propagande. « Portez le regard au plus profond de votre être », écrivait Piotr Archinov, grand ami de Nestor Makhno. « Cherchez la vérité et concrétisez-la vous-même. Vous ne la trouverez nulle part ailleurs qu’en vous. » C’est cette affirmation de l’interdépendance fondamentale de la liberté, de la réalisation de soi et de la solidarité qui constitue la véritable leçon de l’anarchisme.
Je pourrais réécrire ce passage mot pour mot, mais dans ce livre que vous tenez entre les mains je ne me lamente plus. Depuis la première édition de cet ouvrage, l’anarchisme a réapparu sous de nouvelles formes, adaptées à un monde qui se transforme sous nos yeux. Qui aujourd’hui n’a jamais aperçu ce graffiti dénonçant la complaisance du passant et de la société tout entière, ce fameux A cerclé ? Ce symbole n’existait pas au temps des anarchistes classiques. C’est un groupuscule français, Jeunesse libertaire, qui l’a créé en 1964. Il a été repris en 1966 par un autre groupe de jeunes, le Circolo Sacco e Vanzetti de Milan, avant de gagner en popularité en Italie et de se répandre rapidement dans le monde. De nos jours, on peut autant l’apercevoir dans une petite ville au fin fond du désert australien ou des prairies canadiennes que dans les capitales d’Europe.
La prolifération du A cerclé et de la fraternité libertaire qu’il symbolise n’est qu’une des manifestations de la résurgence des idées anarchistes qui a imposé une révision de ce livre ; de nos jours, plus personne n’oserait affirmer que l’anarchisme a rendu son dernier souffle en 1939, bien que son incarnation classique soit effectivement chose du passé. Au cours des vingt dernières années, l’idée a connu une renaissance remarquable et pris des formes inédites. On a pu voir les premiers signes de renouveau l’année même où mon livre était édité en Grande-Bretagne. Stimulé par le militantisme de l’organisation Campaign for Nuclear Disarmament (campagne pour le désarmement nucléaire, CND), le noyau d’écrivains qui tenait le fort libertaire depuis la Seconde Guerre mondiale a commencé à s’élargir. Jamais je n’oublierai cette journée de 1963 où j’ai lu avec stupéfaction un article rapportant la présence de 500 anarchistes rassemblés sous le drapeau noir lors d’une manifestation dans les rues de Londres. « Les anarchistes londoniens sont venus, barbus, chevelus, préraphaélites », s’enthousiasmait le journaliste. « Ils formaient une frise d’anticonformistes dont on enviait la jeunesse, la gaieté et la liberté. » Vingt ans plus tôt, quand je faisais partie de l’équipe du magazine Freedom (liberté), Londres ne comptait sans doute pas plus d’une cinquantaine d’anarchistes.
Au fil de la décennie, les manifestations d’une renaissance de l’anarchisme se sont multipliées en Grande-Bretagne, mais aussi aux États-Unis où les idées libertaires ont grandement influencé la contre-culture, en France où le drapeau noir était bien visible pendant la grande révolte de Mai 68, et aux Pays-Bas où le mouvement Provo a réinventé le vieux concept de propagande par le fait en poussant l’État à se montrer sous son jour le plus violent. Les faibles provoquent ; les forts s’épuisent involontairement :
Par nos provocations, nous devons forcer les autorités à se démasquer. Tous les uniformes, bottes, képis, sabres, matraques, autopompes, chiens policiers, gaz lacrymogènes et tous les moyens que les autorités tiennent encore en réserve, elles devront les employer contre nous. Les autorités devront ainsi se manifester en tant qu’autorités réelles : le menton en avant, les sourcils froncés, la colère dans les yeux, menaçant à droite, menaçant à gauche, commandant, interdisant, condamnant. Elles se rendront de plus en plus impopulaires, ainsi la conscience des gens mûrira pour l’anarchie. Et viendra la crise.
C’est notre dernière chance : la crise des autorités provoquées.
Telle est la grande provocation à laquelle « Provo-Amsterdam » appelle le provotariat international.
En voyant tomber des nouvelles semblables d’un peu partout dans le monde occidental, je me suis d’abord reproché d’avoir trop vite enterré le mouvement anarchiste classique. Mais les coups ne venaient pas de l’intérieur du cercueil. On n’assistait pas à la résurrection du mouvement d’autrefois, mais bien à l’émergence d’un tout autre phénomène, à une série de nouvelles manifestations de l’idée libertaire. L’anarchisme était en train de gagner des classes sociales et des régions qui jusque-là ne l’avaient jamais accueilli. Il s’emparait des enjeux du moment. Il se renouvelait dans les écrits novateurs d’auteurs comme Paul Goodman, Colin Ward et Murray Bookchin, dont les réflexions bonifiaient le vieil argumentaire anarchiste. Et, pour la première fois, des scientifiques et des historiens s’y intéressaient : les ouvrages sur ses figures et manifestations passées et présentes proliféraient. Même là où il n’était pas le bienvenu, l’anarchisme était désormais une avenue politique qu’on prenait au sérieux.
Premier ouvrage exhaustif sur l’histoire des idées et mouvements libertaires, Anarchism, dans sa première édition, a lui-même joué un rôle dans cette renaissance. Pendant deux décennies, il a