Notre thèse se propose d’analyser la question de la « traduction » de la psychanalyse dans une Culture Autre, spécifiquement dans le monde arabo-musulman, en utilisant une perspective complémentaire qui croise l’anthropologie et la psychanalyse. Après avoir posé les fondements théoriques et méthodologiques en vue d’une psychothérapie métisse, et avoir encadré l’histoire de la psychanalyse au Maghreb, spécifiquement au Maroc et en Tunisie, nous focaliserons notre attention sur le féminin islamique, ainsi que sur le rapport entre sexualité, Islam et psychanalyse. La présentation des Grands-Mères musulmanes, l’analyse des Textes Sacrés à propos du féminin, et la reconstruction de l’histoire des femmes arabo-musulmanes, de l’époque préislamique jusqu’à la contemporanéité, nous permettra de relever le décalage entre la Tradition musulmane et sa mise en pratique. Il sera évident, alors, de voir à quel point l’interprétation des Textes et la lecture des mots du prophète ont été utilisées par les autorités politiques et religieuses de toute époque en un sens patriarcal et machiste, pour soumettre et reléguer la femme dans une position d’infériorité naturalisée. Tout au contraire, nous évoquerons la place centrale de la femme et du féminin dans la Tradition coranique, jusqu’à affirmer qu’elle représente un de plus grands refoulements de l’histoire et de la culture arabo-musulmane. Ce fil rouge traversera toute l’analyse, nous amenant au cœur de la thèse selon laquelle la « psychothérapie au féminin » représente une voie d’accès privilégiée pour la « traduction » et la transmission de la psychanalyse ailleurs, et qu’elle est nécessaire à trois niveaux : individuel, pendant la relation thérapeutique ; collectif, pour l’ensemble des femmes arabo-musulmanes ; et, théorico-épistémologique concernant les aspects conceptuels de la « traduction ». 6 En dessinant l’image métaphorique d’une « psychothérapeute-frontière », nous tracerons le passage entre les frontières géographiques et socioculturelles, psychiques et relationnelles, professionnelles et symboliques, qu’elle recomposerait à travers son mouvement de détachement, découverte et retour dans le monde arabo-musulman, et grâce à ses caractéristiques de puissance émancipatrice et de médiation entre les côtés opposés de la tradition et de la modernité, du local et de l’étranger, du subjectif et du collectif. Cette figure, alors, arriverait à représenter la cause et la conséquence de la libération féminine en accompagnant chaque femme vers la réalisation de son désir, et en contribuant à l’émancipation de la collectivité des femmes arabo-musulmanes. Représentante moderne des mythiques Déesses Mères, la « thérapeute-frontière » devra, avant tout, apprendre certaines capacités propres à l’anthropologie afin de ne pas confondre un problème culturel avec un désordre psychique ou, au contraire, de ne pas réduire le malaise individuel à une donnée socioculturelle. Encore, elle devra acquérir un savoir-faire holistique et une pensée extraterritoriale indispensables pour dominer tant la terminologie scientifique et clinique, que le vocabulaire populaire, et pour se faire conteneur de traumas et de fluctuations identitaires des sujets ou des groupes, ainsi qu’un carrefour de savoirs et disciplines différents. Finalement, nous arriverons à encadrer une spécialiste pluridisciplinaire et multiculturelle, une interprète attentive et métisse, une médiatrice experte des fonctionnements psychiques et collectifs qui sera capable de s’engager dans un dialogue fécond et réussi avec les sujets rencontrés lors de la relation thérapeutique. Seulement en suivant ce parcours, nous arriverons à définir une « anthropologie psychanalytique » capable de se traduire ailleurs, mais surtout de contribuer à la construction de ponts entre les deux bords de la Méditerranée : bassin de mémoires communes, miroir de batailles et de rencontres, laboratoire de traditions et traductions, enfin, Mare Nostrum qui nous unit tous comme une Grande Mère.
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