Rites thérapeutiques dans une société matrilinéaire Le gèrem des Pèrè (Cameroun) , livre ebook

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Publié par

Date de parution

01 janvier 2005

Nombre de lectures

0

EAN13

9782845866941

Langue

Français

Charles-Henry Pradelles de Latour
Rites thérapeutiques dans une société matrilinéaire
Legèremdes Pèrè (Cameroun)
KARTHALA
RITES THÉRAPEUTIQUES DANS UNE SOCIÉTÉ MATRILINÉAIRE
Collection « Hommes et Sociétés »
Conseil scientifique: Jean-François BAYART(CERI-CNRS) Jean-Pierre CHRÉTIEN(CRA-CNRS) Jean COPANS(Université Paris-V) Georges COURADE(IRD) Alain DUBRESSON(Université Paris-X) Henry TOURNEUX(CNRS)
Directeur: Jean COPANS
KARTHALAsur Internet : http://www.karthala.com Paiement sécurisé
Couverture : LedugiDjaouta et son acolythe soignent une femme ayant eu un enfant né par le siège. Photo de l’auteur.
© Éditions KARTHALA, 2005 ISBN : 2-84586-694-1
Charles-Henry Pradelles de Latour
Rites thérapeutiques dans une société matrilinéaire
Legèremdes Pèrè (Cameroun)
Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
N I G E R I A
Nolè
Djoumveli
Youlé
La Plaine Pèrè
Tchabal Gandaba
vers Gadjiwan
Djaoulé
Ganati
G
I
N
Tipsané
Lac Tchad
Tchabal Mbana 1500 m
TCHAD
Nigo
Réserve de chasse du Faro
Guénfanlabo
Wouldé
Planche I – La plaine pèrè
1500 m
TIGNÈRE
E
R
I
A
Salasa Mayo Baléo Gadjiwan
Paalé
Bonbong
Korgouré
Dodéo
20 km
RÉP. DÉM. du CONGO
G.Éq.
GABON
M ayo Djaoulé
Ngaoundéré Banyo Bafoussam CAMEROUNCENTRAFR. Douala Yaoundé
Kontcha
o é D
Mayo  500 m
Sadek
vers Banyo
Déo
vers Ngaoundéré
Oulti
 500 m
Lasoumti
AAllmméé VolègoDiinlègo
Alé
Introduction
« Au début des temps, dans la grande cour du ciel, il y eut, un jour, une danse rythmée au son de la musique. Une petite fille et un petit garçon, sœur et frère qui battaient le tambour, glissèrent alors dans un trou et tom-bèrent sur le mont Guénfanlabo où ils donnèrent naissance aux Pèrè. » Ce récit étiologique recueilli auprès de quelques anciens présente trois carac-téristiques propres à cette société : la prépondérance du lien sœur-frère, caractéristique des régimes de filiation matrilinéaire, une passion intaris-sable pour la danse, laquelle clôture toutes les grandes cérémonies rituelles, enfin l’implantation ancestrale des Pèrè sur l’imposante mon-tagne (1 600 mètres d’altitude) qui se dresse au milieu de la plaine où ils résident actuellement. Située au Cameroun en contrebas des plateaux de l’Adamaoua, celle-ci est arrosée sur son versant gauche par le Nolé et le Déo qui se rejoignent non loin de Kontcha et se jettent, au Nigeria, dans le bassin de la Bénoué (pl. I). Les Pèrè, qui appartiennent à une société sans défense armée composée de clans matrilinéaires égaux entre eux, ont e été la proie des trafiquants d’esclaves jusqu’au milieu du XX siècle, époque à laquelle ils recouvrèrent la liberté et rejetèrent du même coup la dénomination de Koutine – « les chiens » en langue peule – dont ils furent longtemps affublés par leurs envahisseurs puis par les colonisa-teurs. C’est encore sous ce vocable injurieux qu’ils sont nommés sur les cartes géographiques et dans quelques documents historiques. Leur langue, dont la transcription est donnée en annexe, appartient, selon la 1 classification de Greenberg , au groupe 4 de la famille Adamaoua qui inclut leurs voisins Chamba-Léko, Dii (Dourou), Dowayo, Duupa, Voko, 2 Koma-Véré et Kolbila .
1. Greenberg 1963 : 9. 2. Muller 2001 : 14.
6
L’histoire
RITES THÉRAPEUTIQUES
e e La première époque, mal connue, remonte aux XVII et XVIII siècles, au temps de la traite des esclaves. Pour se défendre contre les attaques, les Pèrè vivent repliés sur le Guénfanlabo appelation qui signifie « le chef qui dort dans l’arbre » ou, plus précisément, « le chef qui fait semblant de dormir » afin de surveiller l’arrivée des cavaliers montés sur leurs petits chevaux qui viennent ravir hommes et femmes. On raconte que les Potoporé, qui parlent de nos jours le pèrè, les faisaient autrefois prison-3 niers pour le compte des Jukun qui les revendaient dans le nord, aux pays musulmans. Cet asservissement, dont les Pèrè souffrirent longtemps, est resté enraciné dans leur langue au niveau de l’étymologie commune du verbefiiri, « acheter-vendre », et du substantiffiiné, « l’esclave ». Le seul commerce qu’ils auraient connu n’a-t-il été que celui des esclaves ? La deuxième période commence en 1804, au moment où, depuis Sokoto au Nigeria, Oussoumanan Dan Fodio déclenche ledjihadafin de réveiller la pratique de l’islam chez les Haoussas et les Peuls et la diffuser dans les populations païennes. Grâce à une conquête rapide, la tribu peule des Walarbé arrivent en pays pèrè où ils battent les Potoporé et pacifient la région.ArdoHaman Asabdé – dit Haman Doudé – fonde en 1828 la chefferie de Kontcha qui devient plus tard, avec celles de Banyo et de 4 Tibati, un des plus grands lamidats de la région. C’est à cette époque que les Pèrè descendent du Guénfanlabo et s’installent dans la plaine où les terres sont plus faciles à cultiver que celles des pentes rudes de la mon-tagne, et que la grande piste reliant Bamenda et le sud Cameroun à Yola, au nord du Nigeria, est ouverte pendant la saison sèche. Y circulent des noix de cola, des tissus, des perles de verre, du natron, des parfums, et 5 encore quelques esclaves . La pratique du commerce se substitue à celle de la traite. Cependant, les successions difficiles des lamido et leurs riva-lités entraînent des luttes armées et une domination accrue sur les popula-tions locales qui, à Kontcha, commence sous le règne de Mamadou Soudé (1920-1940) et atteint son apogée sous celui de son fils Babbado Atikou (1940-1950). Hamadjouldé Djidda, un des premiers universitaires pèrè, a brillam-6 ment relaté l’histoire de ces deux hommes . Il nous apprend que
3. Les Jukun, qui, à l’époque, résidaient sur l’actuel plateau de Jos au Nigeria, appar-tenaient au royaume le plus important de la partie haute du bassin de la Bénoué. 4. Un lamidat est un pays gouverné par un lamido, celui-ci étant pour les Peuls l’homologue du sultan. 5. Hamadjouldé 1998 : 8. 6.Ibid.: 1998.
INTRODUCTION
7
Mamadou Soudé renforça le pouvoir administratif du lamidat de Kontcha exerçant une domination militaire sur les populations voisines et en divisant les terroirs conquis entokki(sing.tokkalen langue peule) placés sous l’autorité d’unarnado, chef païen. Celui-ci était censé faire payer de fortes redevances en nature à sa population et remettait chaque année au lamido un tribut important de mil et de bétail. Quant aux habitants des actuels cantons d’Almé et de Gadjiwan – appelésgènfiiné, « les esclaves du chef » –, corvéables à merci, ils étaient la propriété personnelle du lamido de Kontcha. Babbado Atikou augmenta les impôts versés par les tookiet mit la main sur l’institution judiciaire dont il alourdit les peines. 7 En tant que juge,alkali, il exigea des Pèrè de lourdes rançons qui les obligeaient à donner des esclaves et des concubines. Cette exploitation de la population locale lui permettait de rétribuer largement lessarki, notables en charge des administrations de son État, et les cavaliers de son armée. Le recensement de l’époque montre que 800 Peuls et Haoussas de Kontcha vivaient des ressources produites par 7 000 Pèrè. En 1950, l’administration coloniale décida de s’intéresser de plus près à cette politique répressive en envoyant dans la circonscription de Tignère l’administrateur Maurice Beaudelaire. Cet homme, réputé bon cavalier et parlant couramment la langue peule, passait le plus clair de son temps à visiter et recenser les habitants des villages relevant de sa juridiction afin de s’informer de leurs conditions de vie. Il recueillit ainsi des témoi-gnages précis sur la façon dont Babbado Atikou exploitait la population locale. Lors d’une de ses tournées, il fit savoir haut et fort qu’il allait rendre visite au lamido de Kontcha. Celui-ci se prépara à l’accueillir en déployant sur le bord du Déo toute sa suite, orchestre et cavalerie en grand apparat, dans le but d’éblouir son hôte. Mais se doutant du stratagè-me, Maurice Beaudelaire changea d’itinéraire et arriva à Kontcha par l’ouest comme s’il venait du Nigeria. Quand il entra dans la ville, elle était déserte. Seul le notable,adjia, chargé de la surveillance du territoire, était 8 présent . Lorsque le lamido, dépité de n’avoir pu impressionner le Gomna (« gouverneur » en pidgin local), vint le saluer, celui-ci refusa de lui serrer la main et lui demanda des comptes sur la gestion de son administration. À la suite de cet événement, une femme pèrè du nom de Diko Yébi solli-cita une audience auprès du gouverneur et lui révéla comment plusieurs membres de sa famille avaient été faits prisonniers puis asservis. « Qu’une femme puisse se plaindre du lamido était pour l’heure une 9 véritable révolution. » Le lendemain, Maurice Beaudelaire exigea des explications de Babbado Atikou qui, se sentant bafoué dans son autorité,
7. « Juge » en arabe. 8. Hamadjouldé,op. cit. : 63. 9.Ibid. : 68.
8
RITES THÉRAPEUTIQUES
décida d’aller se plaindre à l’administrateur supérieur, qui résidait à Ngaoundéré, de la conduite irrespectueuse de son subordonné. Mais à peine le lamido était-il parti avec son escorte qu’une violente tornade s’abattit sur eux et les contraignit à un demi-tour peu glorieux, ce qui ren-força le pouvoir de Beaudelaire. Celui-ci saisit l’occasion pour exiger sur le champ la libération des prisonniers et des esclaves. C’est ainsi que, le 22 avril 1950, le gouverneur sortit triomphalement de Kontcha avec deux 10 cents captifs libérés, dont la plupart étaient pèrè . Un mois plus tard, sou-tenu en haut lieu par l’administration coloniale française, il destitua Babbado Atikou, nomma un nouveau lamido, Dewa Ibrahim, et organisa la conférence de Gourwalti à laquelle participèrent des représentants peuls et pèrè. Cette assemblée créa les trois cantons de Gadjiwan, Mayo-Baléo et Almé dont les administrations furent complètement séparées de celle du lamidat de Kontcha. Désormais libérés d’un asservissement qui avait si longtemps pesé sur eux, les Pèrè entrent dans la troisième période de leur histoire. La route reliant la plaine pèrè à Tignère et aux plateaux de l’Adamaoua est construite en 1956, les premiers missionnaires catholiques s’implantent avec dispensaire et écoles primaires à Almé, et, quelques temps après, les missionnaires protestants se fixent à Gadijiwan. Dès que l’indépendance du Cameroun est signée en 1960, une sous-préfecture voit le jour à Mayo-Baléo afin d’administrer les habitants de la plaine pèrè. Quant auxarnado des trois subdivisions, ils sont, du fait de leur indépendance, de plus en plus considérés comme des lamido. Ils ont autour d’eux une petite cour de notables dont l’organisation domine encore aujourd’hui la vie poli-tique des cantons, qui n’a pas changé la vie sociale traditionnelle ancrée dans les clans.
Le terrain
C’est en 1977, lors du second séjour que j’effectuai au Cameroun, dans la région Centre-Ouest, afin de boucler une enquête sur une chefferie bamiléké, que je rencontrai un Français d’Afrique, chasseur dans l’âme, qui me parla avec enthousiasme du « pays koutine » et du village d’Almé. N’étant ni chasseur ni explorateur, j’écoutais ses récits avec un intérêt mitigé, mais lorsque, au cours d’un repas, il me dit à sa façon : « Là-bas, c’est le matriarcat », je dressai l’oreille car les sociétés matrilinéaires
10.Ibid. : 72.
INTRODUCTION
9
étaient pour moi une énigme que je voulais élucider. Intrigué, je m’arrangeai pour faire un détour par Almé avant de revenir en France. Le parcours en Land-Rover de Bafoussam à Tignère me parut interminable, et la descente sur une piste boueuse menant de la falaise jusqu’à la plaine pèrè, terrible-ment périlleuse ; quant aux rives des marigots qu’il fallait descendre pour 11 passer sur les radiers , certaines étaient vertigineuses. On m’avait pour-tant prévenu : « Almé est au bout du monde. » Je dus m’arrêter à Mayo-Baléo dans la nuit et ne pus repartir que le lendemain matin. Après deux heures de route, le village d’Almé m’apparut, campé sur une plate-forme peu élevée. La grande rue qui le traversait de part en part débouchait à angle droit sur une vaste place sur laquelle donnaient la mosquée et le palais du lamido. La mission catholique se trouvait un peu plus loin, en contrebas, avec ses maisons rondes construites dans le style du pays et agréablement ombragées d’arbres fruitiers. C’était le jour de Noël. Le père Cosmas Dietrich, fondateur de la mission, me réserva un accueil chaleureux bien que nous ne nous connaissions pas. Dès le lendemain il mit à ma disposition un de ses anciens catéchumènes, nommé Jean-Pierre Djidda, qui connaissait les coutumes du pays et parlait parfaitement le français. Le travail que nous avons effectué ensemble m’apporta la preuve que le système de parenté des Pèrè était sans conteste matrilinéaire, et non bilinéaire comme je l’avais craint en raison de la proximité de cette 12 société avec celle des Chamba, étudiée par Richard Fardon . De plus, il s’avéra que l’islamisation n’avait pas effacé les coutumes, encore très vivaces. Ma décision fut donc prise : je ferais dans ce pays une mission de longue durée. Almé étant coupé du reste du monde pendant la saison des pluies, je revins en juin 1987, juste avant la fermeture des radiers, pour y séjourner une année. À mon arrivée, je fus reçu par un notable du lamido,sarki Zongo, qui m’offrit d’emblée un logement dans sa maison où je résidai pendant toute la durée de mon séjour. Asoubarou, son épouse, très préve-nante, accepta de me faire la cuisine. Je retrouvai là Djidda qui m’accom-pagna pour traduire et transcrire divers types d’interviews auprès des chefs de village,waal tokonè, et des guérisseurs,dugi. J’engageai en plus deux jeunes garçons, Abdoulaye et Baba, afin de mener rapidement d’autres enquêtes, dont un recensement démographique des habitants du canton grâce auquel j’ai pu dénombrer tous les clans et déterminer statis-tiquement la fréquence, encore élevée aujourd’hui, des alliances matrimo-niales préférentielles. Marie-Lorraine, ma femme, venue me rejoindre
11. Piste construite en pierre dans le lit des rivières qui permet de les traverser en voi-ture tout-terrain. 12. Fardon 1983.
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