194
pages
Français
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2010
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Publié par
Date de parution
28 octobre 2010
Nombre de lectures
4
EAN13
9782738199973
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
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28 octobre 2010
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EAN13
9782738199973
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Français
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© ODILE JACOB, NOVEMBRE 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9997-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Pour Nora, ma fille, parce que les « chemins du retour » sont nombreux, divers et parfois inattendus.
Introduction
Pourquoi les loubavitch ?
Depuis quelques années, la montée du religieux sur la scène publique et politique requiert un effort d’analyse dont les sciences sociales ne sauraient faire l’économie. Dans ce contexte, le judaïsme en France s’est lui aussi transformé, morcelé et même fragmenté 1 en diverses tendances et obédiences. Afin d’expliquer ce phénomène massif qui au-delà de nos frontières mobilise tant d’individus, quelle que soit la religion concernée, la description et l’analyse du mouvement loubavitch en France permettent de mieux comprendre les conditions d’émergence de ce type de phénomène qui mêle l’ethnicité et la religion, le sentiment d’appartenance et les options intellectuelles, pour se situer dans le monde.
Le choix du terrain s’était imposé longtemps avant le début de l’enquête, lors de mon premier séjour en Israël quand, tournée vers l’Amérique latine, le goût des voyages devait me conduire des Indiens aux juifs. Cet itinéraire fut commun à de nombreuses personnes qui procédèrent à ce détour vers l’autre pour ensuite questionner leur propre identité. C’est le souvenir d’un soir à Jérusalem qui me détermina des années plus tard à entreprendre cette étude : accoudée à un muret de pierre, je regardais la lumière décliner sur la ville. À cette heure où les jasmins exhalent leur parfum, quand l’appel du muezzin rassemble les musulmans et lorsque les juifs se tournent vers le mur du Temple pour la prière du soir, le temps profane interrompu recomposait la ville selon un ordre céleste. Venant du quartier orthodoxe de Meah Sharim comme d’un autre siècle, des hommes vêtus de caftans et de bas blancs, portant des chapeaux à larges bords, descendaient les ruelles étroites de la vieille ville pour se rendre au mur occidental du Temple, le Kotel. Leur allure m’impressionnait. Leurs pas étaient sûrs. Attirés par une puissance pour moi inconnue, ils allaient au plus court, sans empressement mais décidés, comme si rien sur leur passage ne pouvait leur faire obstacle. Leur air à la fois résolu et absent suggérait une calme conviction et une force inébranlable. Ils semblaient passer dans le monde sans le voir et devenaient dans mon imagination les récipiendaires d’une culture et d’une foi à jamais révolues. En les regardant marcher ainsi, j’assimilais leur état à celui de sages orientaux dont l’époque était encore friande. Ces juifs que je croyais irrémédiablement accrochés au passé me paraissaient exotiques, mais leur altérité semblait suppléer mon propre vide identitaire. Ils étaient juifs, tout en étant autre je leur reconnaissais un air familier. M’étant jusqu’alors très peu questionnée sur ma propre judaïté, non parce qu’elle allait de soi, mais parce qu’elle était très peu existante, je commençais à interroger l’autre. Très vite, les questionnements égotiques s’estompèrent et c’est, je crois, cette mise à distance du moi qui m’amena vers ce qui me manquait : un petit pas vers la connaissance d’une culture.
En somme, la destination d’un été qui, je le pensais, était purement arbitraire dans une société où le voyage n’est qu’une forme de consommation, m’apprit que les choix de consommation font partie d’un ensemble qui révèle la place du sujet dans la société. En me rendant en Israël, j’étais en terre à la fois inconnue et familière et j’étais venue voir la judaïté dans ce qu’elle a justement de plus visible. Les Nétourei Karta et les hassidim semblaient paradigmatiques d’un judaïsme sans concession et sans hésitation identitaire. Ces juifs religieux étaient pour moi la mémoire vivante de générations dont je me sentais issue. Peu importe le degré réel de parenté, ils m’apprirent une certaine proximité tout autant qu’un éloignement certain… C’est alors que je décidai de rencontrer à Paris des hassidim. En les découvrant je découvris aussi les énormes distances que la sécularisation avait mises entre les différentes manières d’être juif ou de se reconnaître comme tel. Au premier abord donc, les hassidim me semblaient constituer un groupe homogène, traditionnel, fermé, une sorte d’enclave religieuse et culturelle. Pour l’ethnologue, cela présentait deux avantages : l’un thématique, l’autre méthodologique. Par la connaissance du milieu, je voulais décrire un style de vie qui, plongé dans la tradition, ferait la démonstration d’une possibilité de vivre dans le monde contemporain sans en partager les valeurs tant sociales que morales. La vie des hassidim aurait été en quelque sorte le contrepoint d’un modèle général, ils auraient fait la démonstration explicite que des modes de vie différents résistent et s’opposent à une homogénéisation culturelle induite par la société industrielle. Comme beaucoup de chercheurs en sciences sociales, j’étais à l’affût des contre-cultures. Quant à l’avantage méthodologique, il résidait essentiellement dans l’aspect fermé et circonscrit de ce que je croyais être une microsociété, ou en tout cas, un isolat. Par cette insularité apparente, la définition de l’objet me paraissait faciliter le travail de la recherche. Je restais ainsi, somme toute, dans le domaine de l’ethnographie classique, puisqu’il s’agissait d’une société close comme l’aurait été une société traditionnelle et exotique, c’est-à-dire formant un tout et dont l’approche par l’intérieur et limitée aux frontières du groupe devait suffire à notre connaissance.
Il y avait là, pensais-je, une sorte de confort méthodologique et intellectuel. Cet isolat m’aurait permis d’échapper aux difficultés de la définition de l’objet et à celle de l’observation en milieu urbain. Cette illusion en supposait une autre, qui consistait à penser que les hassidim pouvaient alors témoigner de la nécessité de vivre en système clos pour demeurer fidèle à soi. Le tissu social dans lequel ils s’inscrivaient n’étant alors formé que de fragments, de segments s’agençant comme des cubes pour former un tout, l’ensemble de ces juxtapositions n’aurait pas laissé de place à l’échange et à l’interaction, chaque sous-ensemble, ou microsociété, se défendant de l’autre pour exister. Ces présupposés ont vite été gommés par l’observation. C’est au contraire, nous le verrons, la capacité à se maintenir au sein de la société moderne et à y opérer un certain type d’interactions qui permet au groupe d’exister et de se développer.
L’observation d’hommes en redingotes noires portant barbe et papillotes, qui ressemblent étonnamment à ces juifs d’un autre temps, de Pologne et de Russie, dépeints par les écrivains yiddish ou présentés par Roman Vischniac dans ses admirables photos avait de quoi surprendre par sa nouveauté dans les rues de Paris. Sortant d’un lieu de prière ou d’étude, ils poursuivaient inlassablement leurs discussions en yiddish, en hébreu, en anglais, en français… Toujours pressés, ils semblaient regarder sans voir, comme s’ils ignoraient le monde qui les entourait, mais dans leur indifférence apparente, ils se désignaient : ils étaient des juifs religieux, des orthodoxes, pour la plupart des hassidim, adeptes des cours rabbiniques qui, nées en Pologne, perdurent au cœur des grandes villes du XX e siècle à New York, Anvers et aujourd’hui à Paris. Seul un œil averti pouvait reconnaître les femmes, car leurs perruques suivaient les modes, leurs robes aussi. Un fait demeurait remarquable : le grand nombre de leurs enfants. Elles étaient rarement seules, elles poussaient une voiture d’enfant à laquelle s’accrochaient les plus petits pendant que les autres allaient et venaient autour d’elles. Lorsqu’elles réprimandaient l’un d’entre eux, ou les appelaient pour traverser la rue, on entendait alors que Dvora devait faire attention, que Shmouel devait donner la main à Mendi, quant à Hanah, elle devrait se tenir comme une « jeune fille ».
Les photos représentant de telles scènes d’exotisme urbain sont aujourd’hui innombrables. Ainsi, chaque fois que l’actualité traite des juifs ou d’Israël, la presse, la télévision, tous les médias dont l’image est le support ne manquent pas de nous présenter un juif pieux, le bras en appui sur le mur du Temple, priant avec ferveur, entouré d’autres juifs vêtus comme lui de ces vêtements traditionnels facilement repérables. Loin d’être fortuite, cette représentation réitérée semble plutôt témoigner de la difficulté à identifier les juifs et ce recours à un véritable stéréotype a plus de valeur symbolique que réelle. En effet, il semble faciliter la tâche par une sorte de raccourci qui permettrait à la multiplicité des identités juives de se confondre pour ne former qu’une entité unique. Cette image fortement utilisée constitue en fait une parabole, une allégorie qui cristallise, concentre la judaïté dans sa forme la plus entière : l’orthodoxie. Elle vient remédier en quelque sorte aux hésitations de la représentation unique et impossible, en imposant une figure remarquable, spécifique, peu conforme à la réalité statistique, mais qui voudrait amener à des certitudes sur la communauté juive. Elle prescrit une différence évidente à l’œil, sans nuance, une représentation redondante du juif qui facilite sa signi