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pages
Français
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2014
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Publié par
Date de parution
10 novembre 2014
Nombre de lectures
296
EAN13
9782371680159
Langue
Français
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Date de parution
10 novembre 2014
Nombre de lectures
296
EAN13
9782371680159
Langue
Français
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Un livre des éditions Uppr
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De l’autre côté de la page
Avec le numérique le livre et la lecture traversent bien plus qu’une simple crise de croissance. C’est d’une véritable révolution culturelle qu’il s’agit. A la fin du 15e siècle l’invention de l’imprimerie ne fut qu’une évolution nécessaire. L’ambition de Gutenberg était seulement de permettre la reproduction en nombre des ouvrages jusqu’alors recopiés à la main, mais le dispositif de lecture du codex, des feuilles pliées, réunies en cahiers reliés et protégés par une couverture restait le même, et durant de nombreuses décennies le livre imprimé allait continuer à se référer à son prestigieux ancêtre manuscrit. De même l’invention et la transformation des alphabets ne traduisent qu’un simple processus évolutif par rapport à l’élaboration des écritures à partir de 3300 avant J.-C., qui fut, elle, une véritable révolution culturelle, tout comme quelques millénaires auparavant l’émergence de la faculté du langage au sein des premières sociétés d’hominidés. L’écriture a constitué un véritable saut ontologique, elle a donné aux hommes le pouvoir de garder trace du langage oral dans le temps et l’espace et de fixer leurs mythes. A en croire Platon dans son dialogue Phèdre , l’écriture a pourtant été un objet d’inquiétudes, notamment pour Socrate qui craignait qu’elle ne produise « dans les âmes […] que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire ». Dans ce dialogue Socrate rétorquait à son interlocuteur ce que certains opposent encore aujourd’hui aux utilisateurs de l’encyclopédie en ligne Wikipédia : « Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode… ».
Au 21e siècle il apparaît évident que l’imprimé ne peut plus suivre le rythme de l’époque, même si beaucoup pensent toujours comme Socrate. Nous constatons tous cependant que la nouvelle donne qui s’instaure ne se limite pas au monde du livre et de la presse écrite. A l’extrême même, l’impact du numérique sur l’écosystème de la lecture pourrait être purement et simplement considéré que comme un simple épiphénomène d’une révolution numérique globale. Mais, comme nous le verrons justement au cours de cet essai, il n’en est rien, bien au contraire. Précisément parce qu’il s’agit de langage et de lecture, c’est au niveau du processus d’hominisation-humanisation que les effets des mutations en cours s’exprimeront dans un plus ou moins proche avenir. Un signal faible qui va dans ce sens est le développement d’un capitalisme linguistique, désigné par David Rowan dans Wired dès août 2009, puis explicité par Frédéric Kaplan, professeur en charge de la chaire de Digital Humanities à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. En 2011 Kaplan a stigmatisé les effets de régularisation de la langue induits par l’algorithme d’enchérissement et de spéculation sur les mots développé par Google. Les mots employés dans les requêtes lors de recherches sur le web et qui entraînent l’affichage de liens commerciaux en haut des pages de résultats, l’achat et la fluctuation de valeur de ces mots-clés que ce processus sous-tend, les outils de complétion et de correction automatiques qui entrent en jeu, l’usage de plus en plus répandu de tags et hashtags, la syntaxe des métadonnées et autres langages de balisage, montrent bien comment de nouvelles stratégies linguistiques se frayent un chemin. L’on parle d’ailleurs pour cela de web... sémantique. Les outils logiciels d’annotation, de résumé ou de traduction automatiques de textes en sont un autre aspect.
Or, à l’échelle du vivant, le langage (pas forcément verbal, le code) est un système indispensable à la communication. Quant à la lecture, dans son acception la plus ouverte, elle est l’activité essentielle à tout organisme qui est naturellement confronté à la nécessité vitale de pouvoir déchiffrer, c’est-à-dire décoder (lire), et documenter son environnement pour y évoluer. Le premier niveau de lecture est ainsi biologique, reconnaissance immunitaire qui discrimine les éléments étrangers potentiellement perturbateurs. Une bactérie dans un corps humain ou un parisien dans le métro de Tokyo vivent une expérience différente de la lecture, mais qui toutes deux témoignent d’un rapport singulier du vivant au monde, rapport que nous ne faisons que légender plus avant avec nos discours, et à l’extrême avec les livres et la littérature.
Ainsi, la sphère concernée par les mutations du livre et de la lecture est bien plus vaste et essentielle que celle qui se limiterait simplement aux seuls impacts économiques sur le marché du livre d’un passage de l’édition imprimée à une édition numérique. Les vrais enjeux sont au niveau de ce que l’écrivain Alberto Manguel appelle «l’animal lecteur», le sujet pensant et membre à part entière de «l’espèce fabulatrice», pour reprendre cette belle expression de la romancière et essayiste Nancy Huston dans son ouvrage éponyme de 2008.
Notre humanité se fonde en effet sur cette extraordinaire capacité que nous avons à nous raconter des histoires pour tenter de comprendre le monde, pour essayer d’éclairer la vie et ses mystères. C’est dans cette perspective anthropologique et humaniste que je me propose d’avancer tout au long de cet essai.
Comme le remarquait Alexandre Moatti, chercheur en philosophie et histoire des sciences, en mai 2012 dans un numéro de la revue Le débat consacré au livre et au numérique, le développement de l’usage substantivé du mot «numérique», qui est originellement un adjectif, recouvre en fait un glissement de sens symptomatique qui signe clairement la phénoménalité d’aspects en réalité multiples et variés, relevant principalement de l’informatique, des technologies de l’information et de la communication, qui reposent en réalité sur d’importantes bases matérielles et logicielles. Là aussi il est question de langage et nous entendons bien, au travers cette quasi-divinisation du numérique, ce qui s’exprime de l’aspiration humaine vers l’immatériel.
Nous devrions toujours être attentifs au vocabulaire employé et avoir présent à l’esprit les réflexions du philosophe Gérard Rabinovitch qui pointe comment le langage peut préfigurer des réalités à venir. Nous devrions ainsi veiller aux développements que pourrait connaître, avec les impacts du numérique sur les dispositifs et les pratiques de lecture, l’hypothèse de Sapir-Whorf formalisée dans les années 1930 par les deux linguistes, Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf. Cette hypothèse postule que nos représentations mentales dépendent des catégories linguistiques dont nous usons, c’est-à-dire que la lisibilité de notre monde dépend peut-être autant de notre langage que de nos sens.
Comment alors, dans ce contexte et avec ce point de vue, exprimer clairement et en peu de mots l’importance et les enjeux des mutations que traversent les livres et la lecture ?
Je dirais simplement : nous passons de l’autre côté de la page.
Passer de l’autre côté de la page c’est comme passer de l’autre côté du miroir. C’est bien plus que de tourner la page, que de passer du recto au verso, ou même carrément à autre chose, se lancer à écrire une nouvelle page blanche. C’est traverser la page pour aborder un monde nouveau, comme la jeune Alice de Lewis Carroll traverse le miroir du salon familial pour accéder à un univers enchanteur. L’expérience a quelque chose de troublant. Elle sollicite à la fois nos facultés cognitives et notre imaginaire. Ce voyage peut aussi évoquer les palimpsestes. Car ce que nous appelons aujourd’hui «livre», ce que nous appelons «lecture», sont comme des manuscrits sur lesquels les générations qui nous ont précédé ont écrit en creux l’histoire, précisément, du livre et de la lecture. Aller maintenant à l’aventure de l’autre côté de la page c’est revivre ce qu’ont vécu nos ancêtres, par exemple lorsqu’ils sont passés des tablettes d’argile aux rouleaux de papyrus... Mais traverser ainsi les apparences d’un support physique est toujours aussi une vér