La crise de la société rurale en Égypte La fin du Fellah ? , livre ebook

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Date de parution

01 janvier 2010

EAN13

9782811103514

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Habib Ayeb
La crise de la société rurale en Égypte La fin du Fellah ?
KARTHALA
LA CRISE DE LA SOCIÉTÉ RURALE
EN ÉGYPTE
KARTHALAsur internet : http://www.karthala.com
Couverture : Un fellah de la Vallée du Nil. Photo H. Ayeb.
© Éditions Karthala, 2010 ISBN : 978-2-8111-0351-4
Habib Ayeb
La crise de la société rurale en Égypte
La fin du Fellah ?
Éditions Karthala 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
DU MÊME AUTEUR
Le Jourdain dans le conflit israélo-arabe, CERMOC, Beyrouth, 1993. L’Eau au Proche-Orient : ressources et conflits(en arabe), Centre d’Études Stratégiques et Politiques, Le Caire, 1996. L’eau au Proche-Orient, la guerre n’aura pas lieu, Karthala-CEDEJ, 1998.
À mes parents qui m’ont donné le goût de la vie et le sens des choses.
À Ilaria Alpi, Maurice Bernier, José Négrao, Alain Roussillon et Mohamed Hakem. Vous êtes partis trop jeunes, trop vite et sans prévenir.
À mes enfants Loubna et Nassym, À Anne pour tout ce que nous partageons.
À toutes les paysannes et tous les paysans que j’ai pu rencontrer sur mon chemin. Vous m’avez tant appris et donné. J’espère ne jamais vous trahir.
Introduction
Le bon paysan ne plaignait pas sa peine, l’agricul-teur moderne épargne sa peine à force d’intelligence et de machines. Mendras H., 243.
La disparition des paysans dans les pays qui se sont industrialisés le plus rapidement est due moins au jeu de forces économiques qu’à l’application à l’agriculture de moyens d’analyse et de mesures légis-latives ou de décisions administratives qui n’étaient pas faites pour elle. Mendras H., 16.
Quel est l’avenir, à court terme, de quelque trois millions six cents mille fellahs égyptiens et de leurs familles ? Quels sont les processus et les dynamiques qui déterminent la nature et l’ampleur des changements en cours dans la campagne égyptienne ? Jamais, poser cette question n’a été aussi justifié que depuis ces dernières années. Le processus de « disparition » du groupe social vraisemblablement le plus vaste d’Égypte, constitué par la communauté des fellahs égyptiens, est déjà en cours. La disparition du fellah, conséquence de l’effet combiné de l’appau-vrissement progressif de la paysannerie et de la volonté politique d’en limiter drastiquement le nombre, par le biais de mécanismes de marché et de la suppression des aides et des subventions, me semble, en effet, trop engagée pour imaginer un arrêt ou un retournement de situation, sans un changement radical de la politique agricole du pays. Et malheureusement, cette affirmation relève déjà plus de la constatation que de l’anticipation. Il suffit de se promener dans la campagne égyptienne et de parler avec ceux et celles qui l’habitent pour en mesurer l’ampleur. Pour les « développementalistes » et « modernisateurs à tout prix », ceci pourrait sonner comme une excellente nouvelle : « Enfin, le secteur agricole se débarrasse du surnombre démographique et va pouvoir enre-gistrer une croissance des chiffres macroéconomiques, grâce à l’apport de
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LA CRISE DE LA SOCIÉTÉ RURALE EN ÉGYPTE
nouveaux capitaux d’investissement. Enfin, la balance commerciale agri-cole pourra s’orienter vers un équilibre global... Enfin, de belles machines et de nouvelles technologies vont envahir les campagnes de la vallée et du delta du Nil, etc. ». Pour d’autres, peut-être plus sensibles aux dimensions sociales, cette évolution suscite surtout des questions, voire des inquiétudes : quel est le prix que les trois millions six cents milles paysans et leurs familles payent déjà ? De quoi sera fait leur proche avenir ? Quelles sont les consé-quences réelles de cette « modernisation » de l’agriculture sur les agricul-teurs et leurs familles ? Quelles en sont les conséquences immédiates et, à plus long terme, sur leurs enfants ? Que deviendra cette masse de pauvres qui aura probablement quitté la terre agricole limoneuse pour les faubourgs bétonnés des villes et autres agglomérations ? Quelles seront les conséquences de cette exclusion massive d’un large groupe social sur l’ensemble de la société ? Nous savons que l’automatisme ne fait pas partie des mécanismes sociaux et ne peut donc être considéré comme une « loi de sciences sociales ». Mais, quand on sait que la grande majorité des jeunes tués ou arrêtés en Égypte pour des actions « subversives » ou « terroristes » pendant les années 1990 étaient originaires de la campagne, on ne peut évacuer l’hypothèse d’une réponse violente de la société à de telles dissen-sions sociales et spatiales. Les probables bons chiffres d’un secteur agri-cole « réformé » et « modernisé » ne pourront pas éteindre l’explosion. Sans vouloir être catastrophiste ou présager le pire, une question sérieuse s’impose : quel sera le comportement des exclus de la terre ? Trois hypothèses sont objectivement envisageables : 1. Un mouvement de masse vers les espaces « urbains » provoquant un déplacement de la pauvreté de la campagne vers la ville et une aggra-vation de la situation des quartiers pauvres, voire une multiplication des bidonvilles jusqu’ici relativement rares en Égypte. 2. Un maintien de la grande majorité à la campagne, à la marge du secteur agricole et, par conséquent, la réapparition massive du phéno-mène des paysans sans terres auquel la première réforme agraire des années 1950 avait mit fin. Ce phénomène, comme le premier, ne man-quera pas de provoquer de nouvelles difficultés politiques pour le gouver-nement – par l’apparition de mouvements revendicatifs, à l’instar des mouvements des sans-terres en Amérique latine et dans quelques pays africains et asiatiques. 3. Le déclenchement des deux processus à la fois et l’aggravation de la pauvreté urbaine d’une part, et de la pauvreté rurale, de l’autre. Sur le plan des difficultés sociales et politiques, les conséquences seront d’au-tant plus difficiles à gérer que les autorités se devront d’agir sur les deux terrains à la fois. 4. Démarrage d’un cycle de croissance économique rapide, grâce à l’ensemble des réformes libérales du secteur agricole, qui « tirerait » vers le haut les futurs ex-fellahs en les réintégrant dans la sphère économique
INTRODUCTION
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du pays. C’est d’ailleurs sur cette hypothèse que se sont appuyés les auteurs de la réforme du secteur. Mais pour le moment rien ne permet de croire en une telle évolution. Qu’est qu’un fellah ? Le mot arabefelahahsignifie « le travail » de la terre. Le fellah est donc celui qui « travaille » la terre. Par conséquent, toute personne qui fait « fructifier » la terre par son travail physique est un fellah. Cela ne suppose pas un mode de faire-valoir précis et, dans cette catégorie, on peut inclure tous ceux qui travaillent la terre et en tirent la totalité ou une partie de leurs revenus. Le mot fellah peut aussi renvoyer à la surface de la terre et à la taille de « l’entreprise ». On peut considérer que la surface de la terre travaillée dépend de la quantité de travail qu’une personne ou une famille « moyenne » peut matériellement réaliser. Pour une agriculture pluviale, la surface peut aisément s’étendre sur quelques dizaines d’hectares. Pour une agriculture irriguée, en revanche, une famille peut difficilement assurer, sans l’aide des voisins ou des membres de la famille élargie, le travail de plus d’une dizaine d’hectares, au grand maximum. Au-delà de ces plafonds, on parlera plus facilement d’entreprise agricole, ce qui suppose un capital relativement important. Pour le cas égyptien je propose d’appliquer la notion de fellah, comme c’est le cas dans le dialecte égyptien, à ceux dont les exploitations ne dépassent pas la dizaine d’hectares, soit environ une vingtaine de fed-1 dans . Généralement, ces fellahs travaillent eux-mêmes leurs parcelles, avec l’aide des membres de la famille et sans faire appel à une main-d’œuvre externe permanente. Le fellah égyptien est donc un travailleur directde la terre. Sa vie en dépend presque entièrement, même quand ses revenus viennent en partie de l’extérieur de l’exploitation. Pour le fellah du Nil, ou d’ailleurs, la terre n’est pas seulement un espace d’extraction de produits vivriers et, accessoirement, de revenus. De la terre, il tire les produits qui nourrissent la famille et les animaux. Mais il y puise d’abord sa propre dignité et sa place dans la commu-nauté : posséder la terre, c’est avoir un nom, un statut et, donc, un rôle dans la société. La terre estavant toutun capital social et une sécurité alimentaire et financière ; elle n’a donc pas une véritable valeur mar-chande immédiate parce qu’elle n’est pas soumise exclusivement aux règles du marché. La vente de la terre n’est pas considérée, dans la société paysanne égyptienne, comme un simple acte commercial ; c’est, au mieux, l’unique solution à un problème ponctuel relativement grave et, au pire, un aveu d’échec et donc une perte de capacité et de dignité de fellah. Les conséquences sociales d’un tel acte, a priori anodin, se révè-lent souvent dramatiques. Par ailleurs, en Égypte – comme dans toutes les zones où l’agriculture n’est possible que par l’irrigation, et où la pluie n’intervient pas dans le processus de production – la terre n’acquiert un statut de noblesse que si
1. Un feddan = 1 acre = 0,42 hectares.
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