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Français
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2018
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Publié par
Date de parution
15 octobre 2018
Nombre de lectures
7
EAN13
9782342163681
Langue
Français
« Ce que je sais d'elle, je me le raconte à moi-même, ou aux autres. Mais ce que je ne sais pas ou ignore encore, reste un mystère dont la cupidité accentue ma rancœur lorsque j'en viens à connaître de telles choses. Après tout, la vengeance n'est-elle pas une affaire d'amitié ? Une sorte de complicité dans la continuité. L'amour que porte une mère à son fils n'est pas forcément synonyme d'affection. Comme un couple qui se respecte, chacun en arrive à garder ses secrets. Pourtant je me demande à quel moment je l'ai humiliée, pour qu'elle en vienne à me discréditer de la sorte avec autrui ? Je voudrais bien le savoir ! Je n'ai pas souvenir, durant toute ma vie, lui avoir fait un tel affront. Ni même l'offenser ou l'offusquer dans mes propos pendant l'adolescence ou à l'âge adulte... » Disparue, Geneviève n'en occupe pas moins une place de plus en plus importante dans le roman composé par J. Derain. Sortant peu à peu de l'ombre, dépouillée de ses non-dits, elle émerge peu à peu dans toute sa complexité de femme, d'amante, d'entrepreneuse et de mère, et s'impose comme une figure paradoxale, avec laquelle ne cesse de négocier Félix, son fils d'une cinquantaine d'années soudainement confronté à ses secrets. Œuvre au style dense et étouffé, et à la temporalité resserrée, La Mère compose dans le même temps un portrait de femme et le récit d'une relation filiale tantôt puissante, tantôt fragile, en quête d'apaisement.
Publié par
Date de parution
15 octobre 2018
Nombre de lectures
7
EAN13
9782342163681
Langue
Français
La Mère
Jack Derain
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La Mère
Chapitre I
Tout est vraiment calme en ce début d’automne. La douceur juvénile de l’air inspire des sensations de bien-être pour la saison quand la clarté du jour s’apprécie mieux au contact d’une température magnanime. Dans un souci de vouloir prolonger la période estivale, le décor continue à jouer un rôle majeur en magnifiant sa transparence. Le profond ressenti des âmes et des cœurs qui perçoivent les effets engagés obligent certains à reconnaître qu’une grâce leur est offerte. Dès lors le monde semble s’arrêter dans une course effrénée du bonheur et de la splendeur d’un élan excessif. Parvenu à ce stade, l’aspect serein établi depuis l’exorde du matin mérite une attention particulière avec ceux qui partagent le désir de se sentir libre.
Sans rien attendre d’autre qu’un doute ne surgisse malgré les apparences du milieu protégé. L’horizon, resté calme jusque-là, commence à profiler par des égides distinctes une allure trompeuse dont le cadre extérieur appréhende vite le changement. La crainte qui résulte de la démarche observée laisse supposer une dégradation progressive du climat ambiant. Sans faiblir aux pressions exercées, l’idylle du ciel et de la terre côtoie toujours l’extase afin de ne pas troubler « l’Éden environnant ». De cela, l’harmonie du moment s’approprie le droit de maintenir la situation présente vers une évolution fixe que la conscience saisit comme un cliché.
Jusqu’aux abords du cimetière qui mène au caveau et où va être enseveli le cercueil, la nature impose par sa verdure un respect rendu austère. Rien de moins contraignant n’est parvenu à ce degré de rigidité à enfreindre autant la scène qui se déroule de façon exemplaire. L’osmose arrive même à figer l’atmosphère des quelques personnes venues rendre un dernier hommage à celle qu’ils ont connu. Et si par inadvertance un soleil radieux ne venait faire partie de la fête en apportant un soutien réconfortant à ceux qui en ont besoin, on jurerait assister à une sinécure.
Félix et sa femme Marta l’ont bien perçu tout au long de la procession. Lui, n’a pas eu l’impression d’enterrer sa mère en ce vendredi après-midi. Il a plutôt songé à la prime jeunesse de son enfance pendant la durée de l’office funéraire. Sous les combles de l’église, il s’est agréablement souvenu des longs week-ends que cela entraînait une fois sorti de l’école. L’insouciance et la naïveté de ce qu’il allait entreprendre par la suite laissaient libre cours à l’imagination le samedi et le dimanche, dont il savait habilement meubler l’ennui. De retour au pensionnat de l’école le lundi suivant, il pouvait en faire profiter ses camarades de classe qui ne demandaient que ça.
Néanmoins, bien des années après et de sorte que personne n’entrevoie les séquelles encourues, le temps parachève sa course vers l’objectif à atteindre. C’est l’une de ses directives pernicieuses qui consistent à asservir l’humanité d’un processus irréversible. Défaire l’illusion au profit de la nostalgie. « Le merveilleux » s’achemine sur des commodités disposées à subir le réveil que suscitent les angoisses du passé. Car au terme d’une satisfaction désabusée, les choses changent constamment en empruntant un chemin qui ne suggère que des regrets. Les souvenirs finissent par ressembler à ces vieux habits oubliés dans le placard, pour s’estomper définitivement dans le recoin de chaque être. L’exemple est frappant de voir à quel point la joie mirifique grave les contours irréfutables du présent…
Sans accorder une attention particulière aux individus qui l’accompagnent dans la proximité du cimetière, tant isolé que désert, Félix paraît moins affligé par ce qui se passe autour de lui que de la disposition de chacun à se trouver ici. L’intrigue est étonnante de voir tout ce monde concerné par le deuil. Là, il éprouve une certaine aversion aux regards des gens qui ne représentent rien et dont il ignorait leur identité jusqu’à ce jour.
À près de cinquante ans, les tempes légèrement grisonnantes et d’aspect encore jeune, il se sent distancé par son époque à l’aube du XXI e siècle. À l’exception de Georges, un collègue de travail qu’il apprécie beaucoup et qui a fait le déplacement dans la seule intention de lui témoigner son amitié, aucun autre n’a véritablement d’estime à ses yeux. On peut affirmer avec certitude que le point épineux de son existence se trouve désormais confronté aux limites de l’isolement. Pire que ça ! Les circonstances tendraient à lui faire croire que si la famille n’existe plus, l’histoire de sa vie elle aussi n’existerait plus pour en parler. Le problème essentiel de Félix est devenu un véritable devoir de confession que seule sa conscience est capable de résoudre.
L’altération de son état mental n’a fait qu’accentuer les complications dissimulées dans les méandres de son esprit. L’avatar glissé en lui, on ne sait trop comment, a suscité un inconvénient majeur dans le but de créer l’unique source de contrariété qu’il devrait combattre avec énergie. En proie à un solipsisme contraignant qui le dirigea vers ce qu’il est convenu d’appeler la fatalité, son parcours professionnel, ainsi que les sentiments humains entretenus avec les autres furent par contre excellents.
De toute évidence, l’exactitude sur ce malaise s’est révélée manifeste, lorsqu’il a dû admettre que seules les années écoulées étaient responsables de l’élimination du charme de l’insouciance. L’âge adulte a fini par se substituer à la compréhension de son adolescence en n’ayant d’autre signification que de négliger l’action vécue. La désuétude, la disgrâce ou la désillusion sont tombées comme le couperet d’une guillotine au tranchant de la lame. Aussi le jour où son regard s’est plongé dans le miroir de la vieillesse, il n’a plus observé que le reflet d’une illusion venant apporter tout le poids du silence.
De concert avec l’attrait d’une jeunesse abondante, les relations qu’il entretient ensuite furent dictées par sa conduite personnelle. L’obstination incessante à vouloir retenir « le réservoir » de ses souvenirs s’est avérée fatidique à la longue. Félix s’est retrouvé enfermé dans une sorte de prison. Selon lui, la seule manière de sortir du gouffre serait de se disculper envers autrui. Oublier un instant ce qu’il représente réellement pour révéler les secrets si longtemps enfouis en son for intérieur avec celle qui l’a vu naître : Geneviève, sa mère.
Sans entamer une psychanalyse approfondie qui ne ferait qu’entériner le salut de son âme, il devrait justifier la biographie inédite de ce qu’il est, afin d’échapper un tant soit peu à la mémoire indéfectible dont il est pourvu. Par cet effort de volonté, les difficultés cesseraient d’exister sur-le-champ et la chance de parler suffirait à faire tomber les tabous. Il se dégagerait alors du carcan qui l’a mis à l’étroit durant une bonne partie de son adolescence. À vraiment y réfléchir ce ne serait pas un moindre mal, car aujourd’hui il ne sait plus très bien si c’est de lui ou de sa mère que l’enterrement a lieu.
En marge de ces divulgations, l’oraison funèbre que le prêtre va prononcer marque la fin du calvaire des personnes réunies. Attenant au caveau, le cercueil repose sur un socle en bois devant tous ceux qui le regardent comme un objet certifiant l’antériorité auquel on attache moralement une grande valeur. La relique atteste représenter les doléances d’une époque révolue. Félix profite de ce choix et observe dans la morne perspective du carré, la compassion que les personnes manifestent sur leur visage. Cela le rend méditatif. Inopiné, il réalise que l’estime de sa mère, vis-à-vis des autres, ne lui était pas exclusivement réservée. À les voir tous ici rassemblés, il n’y a nul doute que Geneviève aurait apprécié assister au spectacle de son propre enterrement si l’occasion lui en avait été donnée…
Assujetties d’une brise légère, les feuilles commencent justes à tomber des arbres et parsèment de leurs formes sans vie les allées pavées qui se faufilent dans tous les sens. Jonchées n’importe où, le vent bénéficie de la primauté et balaye certaines d’entre elles d’un tourbillon moribond dont l’interaction stoppe net la course folle vers un destin définitif. Amoncelées çà et là, les feuilles engendrent des tas dont l’exutoire sera de donner du travail aux jardiniers qui entretiennent le cimetière dans quelques jours.
La prédestination favorise l’essor de ce qui se trouve autour de nous, pense Félix ; « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle » et les humains s’en vont rejoindre le territoire des ombres avec acrimonie. L’univers qui les sépare à jamais de l’endroit passé sur terre, leur permet de ménager une monture qui leur ressemble. Celle de pouvoir soulager sa conscience personnelle en vertu d’un jugement à venir, où chacun peut se donner le droit de défendre sa cause. Après cela, le verdict rendu à l’intention des participants dont l’adjudication confirme l’inamovibilité de la sentence. Le repos des humains passe du purgatoire au paradis. Enfin ! C’est ce que les altruistes croient continuellement en ce bas monde…
Succédant à l’été et précédant l’hiver à une cadence lancinante, cette période transitoire ressemble fort à l’interrogation qu’il essaye de comprendre, sans obtenir de réponses à ses questions. Le sens rédhibitoire de la vie serait-il aussi aléatoire que ces feuilles qui viennent mourir à nos pieds ? Et au-delà de l’évidence que suscite la chute des feuilles, la rupture maternelle est-elle