156
pages
Français
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2016
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Publié par
Date de parution
10 février 2016
Nombre de lectures
8
EAN13
9782342049152
Langue
Français
Alors que l'été s'achève sur une plage du Portugal, un groupe d'amis en vacances vient de raccompagner Ida, à la gare. Elle a rompu avec José et a décidé de rentrer seule à Paris. José va vivre cette rupture, cette séparation, de façon bien étrange : pour lui, Ida est toujours là, présence obsessionnelle, même sous les traits de ses nouvelles conquêtes. Ida, la femme aimée, est partie. Ida, son souvenir, est partout. Après le départ de la femme de sa vie, José devient artiste peintre sous un pseudonyme et s'enfonce dans un monde de souvenirs et de fantasmes... Saura-t-il renaître et se retrouver ? L'auteur donne vie à un univers mélancolique aux allures de rêve éveillé. Suivant son personnage aux portes de la dépression, il dépeint avec justesse le manque et l'obsession, et signe avant tout une déchirante histoire d'amour perdue à travers le temps.
Publié par
Date de parution
10 février 2016
Nombre de lectures
8
EAN13
9782342049152
Langue
Français
Ida, Ida
Francis Aracil
Publibook
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Bâtiment A, 1er étage
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Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Ida, Ida
« Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. »
Septembre 1992
Assis sur le sable, entre les barques renversées, les pêcheurs impassibles raccommodaient leurs filets.
Des coups de canon retentirent, à la pointe extrême de la falaise. Les embruns gagnaient le rivage. Il allait faire nuit. Le phare disparaissait. Son rai de lumière s’estompait un peu plus à chaque passage, jusqu’à devenir un halo blanchâtre, opaque. Les navires en mer devaient éviter les écueils nombreux, disait-on, en cet endroit. Les salves se faisaient inquiétantes, impuissantes face à la marée de brume dans laquelle, insensiblement, allait s’engloutir l’océan tout entier.
L’été finissait aussi à Nazaré, ce petit port de pêche portugais au sud duquel, sur les dunes blondes, des jeunes gens avaient dressé leur campement. Campement, qu’ils avaient décidé de lever, le lendemain, à l’aube. On les affublait de tous les noms. Eux-mêmes, s’étaient surnommés « No Made », par dérision. Ils revenaient à pied de la gare de Nazaré. Ida s’était engouffrée dans le train sans même se retourner…
Comme recueillis, ils longeaient à présent la plage, et observaient avec des yeux d’enfants, pleins de tendresse, le petit village, ces cabanons blanchis à la chaux qui, la nuit venue, s’animaient de l’intérieur sur fond de rires et de fados. Côté océan, côté brume, s’éloignaient en silence des petits bateaux chargés de lamparos. Ils glissaient comme dans un décor surréaliste, suspendus et sans bruit. L’eau était fraîche. Les « No Made » marchaient sur les vaguelettes mourantes et le clapotis un peu sourd les accompagnait dans leur approche des dunes. L’obscurité se faisait de plus en plus dense. La progression touchait à son but, et ils aperçurent bientôt les deux vieux camping-cars bariolés qui, disposés comme ils étaient, pouvaient abriter du vent marin, le vent du large ; trois tentes légères, basses, qui se hérissaient dans l’ombre. Une ombre, une obscurité qui se diluait dans cette nouvelle nuit, si pesante. Une nuit qui faisait goûter ses odeurs âcres, ces larmes d’envie, ces effleurements amoureux, et ces insupportables chimères.
La nuit fut étrangement calme.
Le soleil, étrangement lumineux, se leva au-dessus de L’Estrémadure. Les jeunes femmes, si étrangement rousses… Tout était devenu si étrange… Leurs longs cheveux au vent, elles glissèrent lentement sous la brise, descendirent jusque dans l’écume des vagues qu’elles caressèrent de leurs mains, et se laissèrent immerger. Elles avaient gardé leurs longues jupes amples qui s’agitaient comme des pétales d’orchidées. Les hommes démontèrent les tentes et rangèrent le réchaud et tout le bataclan… Ils s’abritèrent du vent du large pour allumer de gros cigares. La plage était déserte, encore fraîche de la nuit… Ils se retournèrent et regardèrent en silence, au-dessus de la mer, le ballet désordonné des mouettes blanches et grises qui lançaient leurs cris graves et nerveux comme des plaintes. Certaines d’entre elles se posaient et se laissaient bercer, ballotter par les flots. Elles observaient, surveillaient, hautaines et amusées le jeu des jeunes femmes aux aspersions d’abord hésitantes, comme retenues, un rien pudiques. Ida , était cambrée. Ses hanches étaient plutôt larges. La compagne de son frère, Lise, était plus mince, plus fluide et plus grande qu’elle. Elles étaient, toutes deux, divinement belles. Les seins, le ventre, le dos, les épaules, brillaient au soleil comme de la porcelaine diaphane et si lisse… Le vent marin grossissait. Agitées par leurs mains, agitées aussi par les jeux et les immersions, leurs longues chevelures abondantes et cuivrées, habituellement ondulées ou tressées, prenaient rapidement cet aspect libre et sauvage, nimbes des muses éternelles, si cruelles. Les mèches, coulées soyeuses, plaquées sur le corps et le visage, les faisaient ressembler à ces égéries de Gustav Klimt, envoûtées et envoûtantes… Cependant, elles demeuraient étrangement belles, jaillissant des vagues étincelantes, et les éclats du ciel reflétaient cette beauté un peu froide, presque irréelle. Les jupes mouillées épousaient le creux des cuisses, collaient aux seins, à la courbe large des reins. Un instant plus tard, instant que les hommes auraient souhaité éternel, elles revinrent vers eux, heureuses, ondulant, secouant leurs toisons ignées et allèrent s’alanguir sur le sable, au pied de la dune. Deux d’entre elles ôtèrent leurs jupes et s’en servirent pour assécher leur corps nu, irisé et frémissant qui exhalait ce parfum secret de la femme, musc et miel intimement mêlés. Lise s’assoupit sur le côté, son bras rejetant sa chevelure en arrière, et elle resta là, ses yeux fixant cette herbe séchée par le vent, blanchie par le sel. Tout aussi absente, Ida suivait sur son ventre le chemin que faisaient les gouttes marines, glissant l’une vers l’autre, se confondant pour atteindre… son « hile ». Une jeune fille du campement était restée debout et avait ramené ses cheveux sur sa poitrine. Elle les lissait de ses mains, de ses doigts, longuement, pour ensuite les partager délicatement… et tresser une natte encore humide.
Savourant cette nonchalance, leur calme et leur beauté, les hommes, ce matin-là, les regardaient en silence. Une douleur sourde semblait s’être installée définitivement dans l’esprit et le cœur de José. Le moment était venu de se séparer. Les uns, à bord de leurs véhicules originaux, les autres voulant regagner la France, par leurs propres moyens. C’est ainsi, après quelques manœuvres pour dégager les camping-cars, et alors que le ciel s’était chargé de gros nuages immobiles au-dessus des collines de Nazaré, que les « No Made » quittèrent, non sans regrets, ce petit port de pêche qui marquait, cette année, l’ultime limite de leur escapade. José prit place, comme à l’aller, dans le véhicule de Pierre et Lise. Pierre, le frère d’Ida, tout comme Lise, sa compagne, avaient terminé des études d’architecte, et ensemble, sitôt rentrés à Paris, ils devaient inaugurer, rue de Vaugirard, leur tout nouveau cabinet. Ida prit place à l’arrière, à côté de José. Pour eux deux, la vie était moins souriante. Ida, sans conviction, apparemment, poursuivait des études de langues orientales. José avait, lui, raté le concours d’entrée à Normal-Sup, et s’était mis à peindre… Lise conduisait. Pierre détaillait à haute voix le circuit du retour, tout en consultant une vieille carte routière écornée :
— Nous passerons à Coimbra… Fuentes de Oñoro… la frontière… Ensuite, nous prendrons direction Salamanca…
Il se tut. Il avait forcé malgré lui sur la prononciation locale. Il resta un long moment songeur, le regard rivé sur la carte. Le camping-car secouait. Dehors, tout semblait latent. Il articula mollement quelques mots : « Ça va, derrière ? », avant de replier et de ranger la carte. Pierre escamotait toujours un peu les « r ». Personne ne répondit franchement, mais tout le monde sourit. Subitement :
— À nous la route ! lança-t-il gaiement.
Et il entonna brusquement, d’abord seul, une vieille chanson créole, bientôt reprise en chœur par Lise, José et Ida . Une vraie insouciance les gagnait, comme à force d’habitude.
Ce n’est que très tard dans l’après-midi, alors qu’ils avaient franchi la frontière à l’endroit prévu, et après avoir même dépassé l’imposante, l’impressionnante cité de Salamanque, qu’ils décidèrent d’interrompre là, pour un temps, leur retour, ici, au cœur de l’histoire de l’Espagne, sur les hauteurs de Medina del Campo, honorable bourgade de la Vieille Castille. Comme à l’accoutumée, ils cherchèrent pour s’installer, un endroit abrité des vents et des regards toujours trop insistants des paysans du coin. Un chien mal fagoté les surprit, mais après une belle démonstration d’aboiements, le cabot fit retraite, s’éloigna, se retourna, l’air penaud, la mine dépitée…
— Demain, je ne repartirai pas avec vous…
Les visages se figèrent subitement. Ida s’assit sous un arbre, au creux de son ombre, en bordure de la vigne, et poursuivit :
— J’ai le temps… Je veux marcher… Je camperai… Je rentrerai quand je rentrerai…
Les visages exprimèrent cette lente agonie des attentes jusqu’alors si simples… trop simples.
— José, tu viens avec moi… ?
José fronça les sourcils et interrogea du regard Pierre et Lise… N’y trouvant aucun secours et, afin de couper court à toute hésitation, il s’écarta et s’activa près du véhicule. Il sortit le nécessaire, casserole et réchaud… Pierre et Lise vinrent le rejoindre. Ida resta assise sous l’arbre. Elle scrutait au loin les vallons labourés, les moissons passées. Plus en contrebas, quelques vignobles où s’affairaient encore quelques vendangeurs. Le doux crépuscule s’installait alentour, mais la décision soudaine d’ Ida avait obscurci les pensées. Le feu du ciel aussi emportait tout. Il faisait froid…
Le temps s’était écoulé et, la nuit était venue, sans bruit. C’était même étrange : les oiseaux ne piaffaient plus, ne gazouillaient même pas. À l’intérieur du camping-car, Pierre et Lise avaient tiré les couchettes et s’étaient enlacés sous le même duvet. À l’extérieur, pour la première fois, José voyait cette lumière dans le regard vert d’ Ida . Un regard de félin, un regard fendu, asiatique, deux émeraudes insistantes et secrètes. La lune était pleine. Ces yeux. Ces yeux qui le fixaient… Il aurait bien voulu parler, chuchoter, balbutier des