201
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Français
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2012
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Publié par
Date de parution
12 juillet 2012
Nombre de lectures
47
EAN13
9782728916849
Langue
Français
Pourquoi Dieu permet-il le mal et la souffrance ? Qu'est-ce qui nous attend après la mort ? L'enfer est-il vide ? Comment concilier la foi chrétienne avec la théorie évolutionniste ? La fin du monde sera-t-elle vraiment une sorte de gigantesque catastrophe finale ?, etc.
Autant d'interrogations fondamentales qui saisissent non seulement le croyant mais aussi toute personne soucieuse d'approcher le cœur du mystère de la vie et de la foi.
Par ses réponses à 150 authentiques questions, le cardinal Ravasi, bibliste de renommée internationale, invite son lecteur à confronter son propre questionnement à la Bible, Parole de Dieu incarnée dans l'histoire et la fragilité de l'homme.
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12 juillet 2012
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47
EAN13
9782728916849
Langue
Français
« Tout le monde est capable de donner les réponses ; mais il faut un génie pour poser les bonnes questions. » Oscar Wilde, écrivain anglais raffiné du XIXe siècle, mais également fin caricaturiste, mettait ainsi en relief un aspect de la connaissance humaine pressenti un siècle auparavant par un auteur moraliste français, le duc de Lévis, dans son recueil de Maximes et préceptes : « Il est encore plus facile de juger de l’esprit d’un homme par ses questions que par ses réponses. » En réalité, le livre que tient en main le lecteur est avant tout un livre de questions, si ce n’est géniales au moins significatives, qui me sont parvenues des années durant par des personnes que je n’ai presque pas rencontrées directement mais avec qui j’ai dialogué à travers des journaux ou la télévision, recueillant leurs interrogations religieuses ou philosophiques.
Il s’agissait souvent d’interrogations inattendues qui ne m’étaient jamais venues à l’esprit et qui, d’une certaine manière, me surprenaient. Parfois, les questions me semblaient tout à fait marginales et secondaires alors qu’elles apparaissaient fondamentales pour beaucoup. Il s’agissait souvent de questions si radicales, fondamentales et absolues, qu’elles me conduisaient à reconnaître l’insuffisance de ma réponse dans la manière même de les entendre. Bien sûr, j’avais à faire à des interpellations polémiques ou provocantes, parfois parsemées de malice. Il s’agit bien de la base de la confrontation. Nous n’aurions pas la déclaration « politico-économique » explicite de Jésus, désormais essentielle dans l’histoire sociale de l’Occident si les pharisiens et les hérodiens ne l’avaient pas interpellé « pour le prendre au piège » : « Est-il permis ou non de payer l’impôt à César. » (Mc 12, 13-17.)
Il y avait également de nombreuses questions rhétoriques, non pas en raison du caractère évident de la réponse mais plutôt parce que celui qui écrivait recherchait uniquement une parole qui le confortait dans ses idées, laissant ainsi apparaître l’inutilité de la réponse elle-même. À ce propos, toujours sous l’aspect spirituel, on peut reprendre la boutade d’un autre écrivain dans le style de Wilde, Clive Staples Lewis, mort en 1963 : « Souvent nous disons que Dieu ne répond pas à nos questions ; en réalité, c’est plutôt nous qui n’écoutons pas ses réponses. » Dans l’éventail de mes interlocuteurs, on pouvait percevoir parfois une pointe de sarcasme qui cherchait à démystifier la question, peut-être pour éviter de réfléchir en profondeur et de découvrir des éléments qui contraindraient à changer de point de vue ou de choix. C’est un peu ce qui était arrivé aux disciples du Christ lorsque, après avoir écarté les rêves d’un messianisme triomphant, Jésus avait annoncé se diriger vers une arrestation, un procès et une fin infamante : « Mais ils ne comprenaient pas cette parole : elle leur demeurait voilée pour qu’ils n’en saisissent pas le sens, et ils craignaient de l’interroger sur cette parole. » (Lc 9, 44-45.)
Il est donc opportun, même de façon très simplifiée, de s’interroger sur le questionnement, en esquissant une petite grammaire ou théorie de la question, tout en étant conscient qu’il s’agit là de l’âme du dialogue et ainsi de l’échange humain et social. On découvre ainsi qu’il existe un véritable ars interrogandi qui confirme la pertinence du propos de Wilde. Le lexique de nos différentes langues indique déjà l’arborescence du sujet : en français, par exemple, demander, questionner, poser une question, consulter, interpeller, sonder, s’enquérir, chercher, scruter, et ainsi de suite ; ils ne se recoupent pas et ne sont pas des synonymes parfaits. On en trouve une bonne illustration dans la différence latine que nous apprenions sur les bancs de l’école entre quaerere, « demander pour savoir », et petere, « demander pour avoir ».
Bien sûr, à la source de la question se trouve la recherche de sens qui structure l’être humain comme le disait le célèbre protagoniste de l’Apologie de Socrate de Platon : « Une vie sans recherche ne mérite pas d’être vécue. » C’est bien pour cela que l’enfant ne lâche pas prise avec ses « pourquoi ? » On retrouve chez lui, à l’état pur et pas encore anesthésié, contrairement à l’adulte superficiel, désenchanté ou déçu, le désir de savoir, l’angoisse de comprendre, la curiosité de la recherche. Toutes les questions relèvent de cette exigence radicale et expriment d’une certaine manière l’interrogation de fond sur le sens ultime de l’existence, sur les choix décisifs, sur les valeurs à rechercher. Sans la fleur des questions qui éclot avec tous ses pétales, nous n’aurions pas le fruit (pas toujours automatique et assuré) des réponses qui indiquent un chemin ou un but dans l’itinéraire de la vie.
C’est bien pour cela que le questionnement est l’âme de la religion, non pas seulement en raison de la prière perçue comme une supplique, une demande, une invocation pour obtenir de l’aide ou une révélation : ainsi les psaumes bibliques ou la pratique séculaire des oracles qui interpellent la divinité, même dans des demandes très concrètes comme avant d’entreprendre une guerre (1 S 14, 37) ou la libération d’une maladie (2 R 8, 8). La demande religieuse est motivée par une raison plus profonde : sonder le mystère de Dieu, sa transcendance et son caractère incompréhensible. À ce sujet, le Livre de Job est extraordinaire, un paradigme de l’interrogation ininterrompue dirigée vers le Ciel apparemment silencieux : « Engage le débat, dit Job au Seigneur, et je répondrai ; ou plutôt je parlerai et tu me répliqueras. » (13, 22.) Dieu finit par briser le silence et interpelle avec ironie son interlocuteur : « Ceins tes reins comme un brave : je vais t’interroger et tu m’instruiras. » (38, 3.) L’issue surprenante de ce dialogue sera justement un discours divin épiphanique puissant que l’on retrouve dans les chapitres 38 et 39 et qui est construit paradoxalement sur une suite de questions que le Seigneur adresse à Job et qui contient in nuce la réponse attendue.
Recourir à l’interrogation pour formuler une solution, voilà qui est étonnant. Certes, ce peut être une méthode pour laisser jaillir le caractère insondable du mystère ou bien son caractère inépuisable. On dit habituellement qu’un Juif répond à une question en posant une autre question. Ce mode de l’interrogation met en relief la dynamique de la recherche religieuse qui permet, comme le dit le psalmiste, de « voir une autre lumière dans la lumière » (Ps 36, 10), la connaissance s’élevant à travers plusieurs étapes de révélation et conduisant à aller plus loin, dans une recherche incessante. Un peu comme si on tombait amoureux : or, la conquête est toujours « in-finie » puisque l’expérience est infinie et l’objet infini également. Le Cantique des Cantiques, le poème biblique de l’amour, ne se conclut pas par l’embrassade mais par une ultime course : « Fuis, mon bien-aimé. Sois semblable à une gazelle, à un jeune faon, sur les montagnes embaumées ! » (Ct 8, 14.)
Il arrive cependant que la question adressée à Dieu revienne à celui qui l’a lancée vers le haut. Elle reste comme une griffe – que nous rappelle d’une certaine manière le signe typographique du point d’interrogation – qui déchire la chair et l’âme. C’est typiquement le cas des questions posées par les personnes qui souffrent et qui trouvent le modèle de leur questionnement dans les premiers mots du Psaume 13 : « Jusques à quand, Seigneur, m’oublieras-tu ? Jusqu’à la fin ? Jusques à quand vas-tu cacher ta face ? Jusques à quand mettrai-je en mon âme la révolte, en mon cœur le chagrin, de jour et de nuit ? Jusques à quand mon adversaire aura-t-il le dessus ? » Ce sont les questions de la souffrance, du mal de vivre, de la désolation et du désespoir qui convergent dans l’incontournable « pourquoi ? », équivalent du « jusques à quand ? » repris quatre fois par le psalmiste. L’interrogation peut donc avoir de forts accents existentiels et peut atteindre les fondements de l’identité. La question que le Christ laisse entre les mains de ses disciples est bien significative : « Mais, pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15.) Nous pouvons chacun nous adresser personnellement la même question – « Mais toi, qui es-tu ? » – dans l’intimité absolue de notre conscience. Ces questions peuvent troubler la vie, briser la banalité ordonnée du quotidien ou bien agiter le calme de nos habitudes.
Avant de terminer ces réflexions sur l’importance du questionnement, il faut ajouter une considération qui concerne toutes les sciences, aussi bien techniques qu’humaines. Un autre écrivain, le romancier Honoré de Balzac, l’explique très clairement dans son ouvrage La Peau de chagrin (1831) : « La clef de toutes les sciences est sans contredit le point d’interrogation, nous devons la plupart des grandes découvertes au : Comment ? et la sagesse dans la vie consiste peut-être à se demander à tout propos : Pourquoi ? »
La croissance du savoir s’appuie sur une interrogation continuelle à laquelle succède une réponse qui contient, à son tour, la possibilité d’une autre question ; c’est du haut de cette pyramide élevée que l’on peut contempler les espaces toujours plus vastes de la réalité. La tradition religieuse d’Israël se fonde ainsi sur l’alternance incessante d’interrogations et de réponses des générations que l’on retrouve dans la célébration de la Pâque : « Et quand vos fils vous diront : Que signifie pour vous ce rite ? Vous leur direz […] » (Ex 12, 26-27.) Bien sûr, la réponse commémore un événement passé ; mais elle est également la justification d’un présent de liberté et l’ouverture à un avenir, elle est tendue vers la pleine libération messianique. C’est ce que l’on appelle, en hébreu, zikkarôn, « mémorial », dans lequel le fils interroge le père pour « [rappeler] les jours d’autrefois et [considérer] les années, d’âge en âge » (Dt 32, 7), avant tout pour recueillir un témoignage qui conduit à un nouvel horizon de compréhension, d’espérance et de salut.
« L’art d’interroger n’est pas si facile qu’on pense ; c’est bien plus l’art des maîtres que des disciples ; il faut avoir déjà beaucoup appris de choses pour savoir demander ce qu’on ne sait pas. » Belle remarque de Jean-Jacques Rousseau dans sa Nouvelle Héloïse (1761) qui résume la première étape de notre réflexion sur l’ars interrogandi, un exercice de l’esprit et de la vie absolument nécessaire pour croître intellectuellement et spirituellement. Il nous faut maintenant redescendre sur l’autre versant du dialogue : à la question doit succéder la réponse. Et pourtant, comme nous le laissions supposer, on trouve déjà le germe de la réponse dans l’interrogation. Dans son Journal publié de façon posthume, Franz Kafka allait jusqu’à dire que « les questions qui ne se donnent pas de réponse elles-mêmes en naissant n’obtiennent jamais de réponse ».
C’est un peu ce à quoi nous invitaient nos professeurs lorsqu’ils nous demandaient, avant de nous mettre à remplir nos copies, de lire attentivement le titre de la question, la formulation du problème ou l’énoncé de la thèse à démontrer. Cependant, Kafka laisse entendre qu’il y a des questions sans réponse : elles nous révèlent notre limite de créature, comme un coup de fouet qui fustige l’arrogance de l’omniscience ou de l’hybris, qui prétend être l’arbitre suprême capable de juger les réponses soulevées par convenance ou simple vanité et superficialité, pour déterminer ce qui est bien ou mal, ce qui est vrai ou faux, ce qui est juste ou injuste. Il y a toutefois une absence de réponse qui sonne comme une genèse plus immédiate. « Je regarde, dit le prophète Isaïe, personne ! Parmi eux, pas un qui donne un avis, que je puisse interroger et qui réponde ! » (Is 41, 28.)
La fin des maîtres ou bien la fameuse « mort du père » et l’extension des idéologies, voilà qui a introduit dans la société contemporaine le rejet des réponses nettes et définies, la dérision pour toute certitude et la passion pour ce qui est relatif. « La vérité, quelle qu’elle soit, ne vous rendra pas libre », affirmait la philosophe contemporaine Sandra Harding, déformant les mots mêmes de Jésus dans l’Évangile de Jean (8, 32). Avec cette perspective, les réponses ne sont plus vraies mais « probables » ; les demandes fondamentales sont alors exorcisées, évitées et même méprisées justement parce qu’elles exigent des réponses basées sur les catégories d’une pensée forte et substantielle.
On trouve également une absence de réponse plus modeste : elle jaillit de l’accroissement des voix plus disgracieuses et superficielles qui nient toute approche sérieuse, qui chavirent dans l’appauvrissement des lieux communs et qui choisissent de rejeter tout ce qui risque de troubler le calme plat de leur conscience et de leur esprit.
« L’homme savant sait ce qu’il dit alors que l’homme stupide dit ce qu’il sait », ironise un aphorisme juif. Avec la conscience éclairée de ses limites, le sage propose des réponses qu’il maîtrise de façon ponctuelle et complète, essentielle et documentée. On retrouve ainsi la figure du roi Salomon qui « éclaire » la reine de Saba « sur toutes ses questions et aucune ne fut pour lui un secret qu’il ne pût élucider » (2 Ch 9, 2).
Il peut s’agir également du juste refus d’une réponse, et pas seulement par la reconnaissance des limites de notre sagesse et de notre connaissance. Notons que notre fonctionnement judiciaire propose « la faculté de ne pas répondre ». Jésus lui-même recourt à cette faculté devant le tribunal du sanhédrin qui l’interrogeait : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas, et si je vous interroge, vous ne répondrez pas. » (Lc 22, 67-68.)
Il faut savoir répondre au stupide par le silence : « Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie, de peur de lui devenir semblable, toi aussi » (Pr 26, 4) même si le même auteur, un sage d’Israël, affirme juste après la nécessité de répondre dans d’autres cas ou d’autres contextes : « Réponds à l’insensé selon sa folie, de peur qu’il ne soit sage à ses propres yeux. » (Pr 26, 5.) Même s’il aurait pu répondre à celui qui voulait le prendre en défaut, comme nous l’avons vu ci-dessus, Jésus oppose un silence glacial au tribunal juif (« Mais lui se taisait et ne répondit rien. » [Mc 14, 61]) ainsi qu’à Pilate, au moins chez l’évangéliste Marc qui, contrairement à Jean (il offre une réponse plus détaillée de Jésus en Jn 18, 33-38), présente ainsi la réponse de Jésus : « Pilate l’interrogea : “Tu es le roi des Juifs ?” Jésus lui répond : “Tu le dis.” Et les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations. Et Pilate de l’interroger à nouveau : “Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent !” Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate était étonné. » (Mc 15, 2-5.) Traîné devant le roi Hérode Antipas, banal et vulgaire, Jésus répond par le même silence : « Il l’interrogea donc avec force paroles, mais il ne lui répondit rien. » (Lc 23, 9.)
On peut noter un certain style dans la réponse : clarté, essentiel, rigueur. Un sage biblique du IIe siècle av. J.-C., dans le Siracide, l’évoquait déjà dans un enseignement offert au modèle du disciple idéal : « Parle, jeune homme, quand c’est nécessaire, deux fois au plus, si l’on t’interroge. Résume ton discours, dis beaucoup en peu de mots, sache te montrer ensemble entendu et silencieux. » (32, 7-8.) D’où la maxime latine populaire lapidaire Intelligenti pauca devenue proverbiale en italien : « À bon entendeur, peu de paroles. » La brièveté sera alors une constante dans nos réponses, en lien avec la brièveté de la question, plutôt qu’un approfondissement systématique qui serait pourtant légitime dans d’autres contextes et dans d’autres genres littéraires (il suffit de penser aux chefs-d’œuvre que sont les Dialogues de Platon). Les anciens Latins étaient convaincus que Dictum sapienti sat est, c’est-à-dire que « c’est assez d’une parole pour qui sait comprendre » (Plaute dans Persa en 729 et Truculentus en 644 ; mais également Térence dans Phormion en 541). Saint Colomban (540 env. - 615) exhortait semblablement : Cum sapiente loquens perpaucis utere verbis (Carmen monostichum, v. 46). Lorsque l’on parle avec un être intelligent, on utilise peu de paroles. La personne intelligente comprendra que nos réponses laissent place à un approfondissement personnel ultérieur.
Nous voilà devant les questions de nos lecteurs, demandes théologiques ou plus généralement religieuses et morales. Les réponses sont clairement teintées : nous nous situons dans le cadre du christianisme avec ses racines hébraïques qui éclairent des interrogations ; ces interrogations ne sont pas forcément exclusives de cette foi chrétienne, elles sont même souvent partagées par d’autres credo tout en étant ouvertes à d’autres points de départ. Il s’agit habituellement de questions universelles qui saisissent le cœur d’hommes et de femmes qui ont pu trouver des réponses ailleurs, dans des perspectives purement rationnelles ou philosophiques. Bien sûr, il s’agit de nos réponses, ancrées dans le christianisme et dans ce « grand code » de notre culture occidentale qu’est la Bible, très éloigné du pessimisme mis en forme par le célèbre écrivain allemand du XIXe siècle, Heinrich Heine, dans Lazare : « Telles sont les questions que nous répétons sans cesse, jusqu’à ce qu’on nous ferme la bouche avec une poignée de terre ; – mais est-ce là une réponse ? »
Toutefois, en ce qui concerne la réponse finale et définitive, nous regarderons au-delà de la pelle du fossoyeur et du silence suffoquant de la mort, conscients qu’il est nécessaire de répéter sans cesse nos questions sur la vie et sur la mort. Pour clore ce long préambule, avant de cheminer à l’intérieur de la forêt des questions et des réponses qui s’ouvre devant nous avec les pages qui vont suivre, voici ce magnifique passage tiré de la La Nuit (1958) de l’écrivain juif Élie Wiesel : « L’homme s’élève vers Dieu par les questions qu’il Lui pose. Tel est le vrai dialogue : l’homme interroge et Dieu répond. Mais, ses réponses, on ne les comprend pas. On ne peut les comprendre. Parce qu’elles viennent du fond de l’âme et y demeurent jusqu’à la mort. Les vraies réponses, Éliezer, tu ne les trouveras qu’en toi. – Et pourquoi pries-tu, Moché ? lui demandai-je. – Je prie le Dieu qui est en moi de me donner la force de pouvoir lui poser de vraies questions. »
Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.
BlaisePascal, Pensées, n. 347 (éd. Chevalier).
« Il est beau de penser librement ; mais il est encore plus beau de penser de façon juste. » Voilà une épigraphe inscrite à l’université suédoise d’Uppsala. L’original est en latin puisqu’il s’agit d’un proverbe ancien qui s’adapte particulièrement à toute époque. On retrouve un des aspects premiers de la recherche, celui de la juste méthodologie. C’est pour cela que nous avons intitulé ce premier chapitre « Questions premières » : il n’est pas question des premières interrogations mais des questions premières qui déterminent les questions suivantes et leurs réponses respectives.
Nous avons affaire à une discipline au nom technique d’« herméneutique » que nous chercherons à illustrer dès les premières questions-réponses. C’est l’effort d’élaboration d’un statut, d’une règle, d’une méthode, justement pour « interpréter » aussi bien la réalité qu’un texte, de façon fondée, cohérente et accomplie. Dans le domaine religieux, beaucoup d’affirmations, mais aussi de choix de vie, s’appuient sur de mauvaises interprétations des textes sacrés : c’est particulièrement le cas dans le fondamentalisme ; ça l’est également pour le subjectivisme qui conduit au relativisme de la vérité.
Nous n’allons pas proposer une ribambelle de règles ou de lois « herméneutiques » mais nous appuyer sur une longue série d’interrogations thématiques, cherchant à offrir un guide pour permettre d’évaluer et de vérifier la pensée et la connaissance théologiques. Évagre le Pontique, auteur spirituel important du IVe siècle, affirmait dans ses Maximes (ou Sentences sur la connaissance) : « Sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée entrer sans l’interroger. » Il s’agissait d’un conseil plutôt éthique, mais il peut être appliqué avec profit au domaine de l’intelligence et de la connaissance. C’est ce que nous désirons faire avec ces « questions premières » ainsi qu’avec leurs réponses.
On demande souvent aux croyants de lire la Bible. Désormais, on invite également les non-croyants à ne pas ignorer les Écritures judéo-chrétiennes parce qu’elles sont le « grand code » culturel de l’Occident, notre point de référence en termes d’idéal et d’art, présidant aux choix de vie individuels. Mais, comment interpréter toutes ces pages datées, scandaleuses, immorales que l’on trouve dans l’Ancien Testament ? Le Nouveau Testament lui-même ne parle pas à la légère : il suffit de lire l’Apocalypse ou de voir la fin « charitablement » prophétisée par saint Pierre pour les époux Ananie et Saphire, coupables de faire ce que tous les chrétiens font sans se soucier puisqu’ils ne versent certainement pas tous leurs biens dans la caisse de la Charité. (Cf. Ac 5, 1-11.)
Cette question, toute simple en apparence, est en réalité l’un des éléments les plus complexes qui tiraille l’esprit et le cœur de celui qui désire s’attacher sérieusement à la Bible. On parle techniquement d’une « question herméneutique », des critères pour une juste interprétation des Saintes Écritures (le mot, d’origine grecque, renvoie au Dieu Hermès, interprète de la volonté et des oracles des dieux). En réalité, théologiquement parlant, les Écritures présentent deux natures aux yeux du croyant, comme le Verbe exalté par saint Jean dans le prologue de son Évangile. Il s’agit d’un côté d’une parole divine éternelle ; d’un autre côté d’une parole « incarnée » dans une histoire, avec un langage humain et trois langues concrètes (hébreu, araméen, grec). L’interprétation doit donc suivre deux approches.
En tant que Parole de Dieu, la Bible exige qu’il y ait un guide transcendant, capable de faire percevoir la vérité de foi et de vie présente dans le texte historique et littéraire. Ainsi le Christ, en raison de la pleine compréhension de ses paroles, promet l’aide de l’Esprit Saint qui « vous enseignera toute chose et vous rappellera tout ce que je vous ai dit […] il vous introduira dans la vérité tout entière » (Jn 14, 26 ; 16, 13). Lorsqu’elle énonce les vérités fondamentales de la foi, l’Église est donc soutenue et conduite par l’« Esprit de vérité » donné par le Père et le Christ ressuscité. Cependant, ces vérités transcendantes ont été révélées à travers des événements historiques et des paroles humaines.
Si je mets de côté l’aide de l’Esprit Saint pour pénétrer en profondeur la révélation du mystère et de la vérité de Dieu, alors je réduis les Écritures à de simples textes littéraires du Proche-Orient antique, les mettant au même niveau que les autres littératures. La démarche « herméneutique » exige bien sûr une vérification à deux niveaux, le niveau transcendant et le niveau historique, avec des critères précis et codifiés au niveau théologique et au niveau historico-critique. Les hommes étant faillibles, il peut y avoir des déviations. La mission de l’Esprit de vérité consiste à empêcher la dégradation de la vérité substantielle de la foi, tenant compte de la fragilité des interprétations du milieu, des influences, des formulations contingentes de la vérité dans l’histoire du christianisme.
Les auteurs sacrés ont écrit avec leur conception de l’histoire, leur mentalité et leur culture pour décrire les grands événements du salut (Création, exode, réflexions de sagesse, miracles, vie et paroles du Christ). En même temps, l’Esprit de Dieu qui les « inspirait » faisait en sorte qu’ils « enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu pour notre salut a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées » (Concile Vatican II, Dei Verbum, §11). La finalité de la vérité de Dieu n’est pas un enseignement scientifique ni historiographique, qui apparaîtrait daté et dépassé dans la Bible : la vérité doit servir « pour notre salut ».
Il est nécessaire d’interpréter les Écritures pour ne pas tomber dans le fondamentalisme qui assaille l’islam et n’épargne pas certains groupes chrétiens ou certaines sectes chrétiennes, surtout devant les éléments qui viennent clairement du milieu historique et tribal de l’Ancien Testament. Mais lorsque nous sommes dans le Nouveau Testament, sous le régime de l’amour, comment parvenir « héroïquement » à dépasser l’épisode déconcertant d’Ananie et Saphire, un couple chrétien dont la seule faute est finalement d’avoir été prudent dans la gestion de ses économies et qui est supprimé par Dieu à la suite d’une sorte de malédiction prononcée par saint Pierre ?
Après les réflexions générales qui répondaient à la première question, nous voilà devant une demande « herméneutique » beaucoup plus précise et circonscrite qui évoque la situation d’un couple des origines du christianisme. Nous l’avons déjà évoquée dans notre réflexion sur l’interprétation de la Bible. La surprise de n’importe quel lecteur de la Bible devant l’histoire d’Ananie et Saphire, tombant raides morts après une âpre réprimande de l’apôtre Pierre, est partagée également par les chercheurs qui notent l’incohérence à première vue déconcertante de ce passage : comment la « Bonne Nouvelle chrétienne » peut-elle apparaître dès les premiers passages avec un miracle de mort, semblant aller à l’encontre de l’agir du Christ qui redonnait vie aux morts ?
Il apparaît évident, au moins au niveau de la narration et de la reconstruction de l’épisode, que Luc, auteur des Actes des Apôtres, a cherché à faire allusion à une scène de l’Ancien Testament, la révolte de Coré, Datân et Abiram, appelés à être engloutis dans la terre après la malédiction de Moïse : « Le sol se fendit sous leurs pieds, la terre ouvrit sa bouche et les engloutit […]. Ils descendirent vivants au shéol, eux et tout ce qui leur appartenait. » (Cf. Nb 16.)
Mais revenons à notre couple judéo-chrétien de Jérusalem, Ananie – nom hébreu commun porté par au moins dix personnages bibliques (la signification du nom, « le Seigneur m’a offert sa grâce », sonne comme une ironie dans notre récit) – et Saphire, un nom qui renvoie au saphir et à la lazulite. Qu’avaient-ils fait de si infamant pour mériter une telle fin tragique ? Pour comprendre la gravité de leur faute, décrite au chapitre 5 des Actes des Apôtres (1-11), il faut rappeler le fondement de la vie de la première communauté chrétienne de Jérusalem.
Quelques versets plus haut, on lit que « la multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun. […] Aussi parmi eux nul n’était dans le besoin ; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins. » (4, 32-35.) Luc nomme cela en grec la koinonía, la « communion fraternelle » des biens, le partage qui annule toute propriété privée et personnelle.
Nos deux époux avaient donc vendu une propriété et s’étaient réservé une partie de la somme, le reste étant confié par Ananie à Pierre pour la communauté. L’Apôtre s’aperçoit de la tromperie et réagit avec véhémence : « Ananie, […] pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l’Esprit Saint et détournes une partie du prix du champ ? » (5, 3.) C’est alors qu’intervient la terrible condamnation, sur le modèle de certains jugements divins vétérotestamentaires : « Ananie tomba et expira. » (5, 5.)
Le même événement se répète pour son épouse Saphire qui se présente trois heures après, ignorant ce qui s’est passé et reprenant la même version, recevant une condamnation identique par Pierre qui la laisse morte à terre (5, 7-10). L’histoire comporte sans doute un noyau de vérité historique : Luc a peut-être raconté en l’interprétant religieusement la mort inattendue et très rapprochée des deux époux chrétiens pointés du doigt pour leur comportement égoïste.
Mais nous sommes en présence du style biblique, avec l’utilisation de modalités particulières typiques des récits scripturaires ; il faut donc remarquer l’intention de Luc de souligner avant tout le sens profond et symbolique de ce qui est arrivé. Celui qui, avide de possession et rempli d’égoïsme, viole le précepte de la charité à l’œuvre envers le prochain est « excommunié », il est comme mort pour la communauté, il s’est mis en dehors du cercle vital de la communion ecclésiale et de la grâce divine. Saint Paul reprend cela d’une certaine manière en condamnant un inceste dans la communauté de Corinthe (1 Co 5, 5 : « Que cet individu soit livré à Satan pour la perte de sa chair, afin que l’esprit soit sauvé au Jour du Seigneur. »). Il s’agit donc d’un paradigme du jugement sur le mal qui ne supprime pas pour autant la constante affirmation de la Bible de la conversion-renaissance et du pardon-résurrection.
Je ne comprends pas pourquoi certains livres sont considérés comme des apocryphes. Qu’est-ce qui permet de dire qu’un livre est inspiré ou non par Dieu ? Il m’a semblé que les apocryphes étaient exclus de la Bible parce ce qu’ils s’appuyaient sur des légendes et donnaient la part belle à l’imagination. La Genèse et l’Apocalypse n’en font-ils pas autant ?
Techniquement parlant, il s’agit de la « canonicité » de l’Écriture Sainte, une question qui a tourmenté l’Église des premiers siècles et qui était liée à la nécessité d’élaborer une unité de mesure théologique – d’où le mot « canon » qui renvoie en grec à la règle qui permet d’effectuer des mesures, une sorte de mètre primordial – pour mettre en évidence quelle est la Parole de Dieu authentique mise par écrit. Cette vérification ne pouvait pas être uniquement historique et littéraire, comme l’évoque notre interlocuteur, lorsqu’il suppose que certains livres appelés apocryphes, c’est-à-dire « cachés », et donc relégués aux marges de la communauté ecclésiale, ont été rejetés parce qu’ils s’appuyaient sur des légendes et laissaient une grande place à l’imagination. S’il s’agissait là du mètre ou du canon de mesure, on pourrait à juste titre remettre en question d’autres pages retenues comme « canoniques » qui comportent des éléments mythiques (même si ces éléments ont été remaniés), se servant de l’imagination à travers des récits ou des paraboles pour transmettre la vérité, prenant plaisir aux récits enflammés…