Humanités (Alain) , livre ebook

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Livre rassemblant les propos écrits par le philosophe français Alain (Émile Chartier), et publié sous le titre de "Humanités".
Édition avec une mise en page confortable pour la lecture : Texte aéré (interligne de 1.5), police de caractères "Bahnschrift".
TABLE DES MATIERES :
I. RABELAIS
II. SAINT SIMON
III. LE POETE ET LE ROI. - ESSAI SUR LA GRANDEUR D'APRES LOUIS XIV
IV. EN LISANT FIELDING
V. DU ROMANESQUE D'AMBITION OU DE L'AMOUR SELON STENDHAL
VI. GOBINEAU ROMANESQUE
VII. LE STYLE DE BALZAC
VIII. LA SITUATION DU POETE. - HOMMAGE A VICTOR HUGO
IX. LE DEJEUNER CHEZ LAPEROUSE
X. HOMMAGE A LA POESIE
XI. LE LANGAGE DE JEAN SEBASTIEN BACH
XII. CESAR FRANCK
XIII. INGRES OU LE DESSIN CONTRE LA COULEUR
XIV. F. X. ROUSSEL
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Alain
Humanités
ɳʂʘʂʓʊʅ ɶʖʃʍʊʔʉʊʏʈ
Humanités Alain (Émile Chartier)
TABLE DES MATIERES
I. RABELAIS ..................................................................................... ɺ II. SAINT-SIMON ........................................................................... ɸɺ III. LE POETE ET LE ROI. - ESSAI SUR LA GRANDEUR D'APRES LOUIS 2IV ..................................................................... ɼɽ IV. EN LISANT FIELDING............................................................ ɿɹ V. DU ROMANESQUE D'AMBITION OU DE L'AMOUR SELON STENDHAL ......................................................................ɷɷɹ VI. GOBINEAU ROMANESQUE................................................ ɷɺɶ VII. LE ST3LE DE BAL7AC ........................................................ɷɼɻ VIII. LA SITUATION DU POETE. - HOMMAGE A VICTOR HUGO...............................................................................................ɸɷɼ I2. LE DEJEUNER CHE7 LAPEROUSE .................................ɸɼɺ 2. HOMMAGE A LA POESIE.....................................................ɸɾɺ 2I. LE LANGAGE DE JEAN-SEBASTIEN BACH.................ɹɶɼ 2II. CESAR FRANCK .................................................................. ɹɸɼ 2III. INGRES OU LE DESSIN CONTRE LA COULEUR.......ɹɺɸ 2IV. F.-2. ROUSSEL ...................................................................ɹɾɶ
Humanités
I. RABELAIS
Je me mets à lire tout ingénument. Je suis saisi
par un tumulte de mots. Que signifie ? On dirait
que l'écrivain se plaît à faire entendre la langue.
La variété, l'extraordinaire l'emportent. Il ne se
soucie point du sens ; un son en attire un autre ;
ce n'est point ressemblance qui les enchaîne,
c'est plutôt différence, contraste. Il joue de la
langue comme un musicien prélude, cherchant la
combinaison et se laissant conduire. Ce caractère
dans Rabelais ne cesse point. Tout y est prétexte ;
les
objets
auxquels
il
pense,
comme
les
v(tements de Pantagruel, ou les plats d'un repas,
ou
les
livres
d'une
bibliothèque.
Je
disais
autrefois d'un poète qu'il fait sonner le langage.
Cette partie de la poésie est certainement dans
Rabelais ; mais il s'y joint un emportement de
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Humanités
sentiment. Cet auteur s'enivre de sa langue, il est
ravi de cette abondance qui se montre. Voilà donc
un trait de Rabelais. En voici un autre. Quoi donc ?
En toute matière, l'obscénité est le départ d'une
fusée. Comme s'il se moquait de ceux qui
rougissent de cette langue effrontée. Mais il y a
autre chose.
Il rougit de rougir. C'est qu'il
découvre, lui médecin, quelque nécessité que l'on
voudrait cacher. Cette nécessité naturelle est son
Dieu. Il croit l'offenser, puisqu'elle lui fait honte. Et
ce n'est pas exceptionnel. Chacun a de naissance
cette nature grossière dont il croit devoir rougir.
Il ne faut pas rougir ; il faut accepter toute la
nature humaine. Sans quoi rien n'est qu'hypo-
crisie ; et, bien sûr, il faut redoubler, faire sortir
l'animal humain. C'est une sorte de devoir de
franchise.
Plus
je
suis
choqué,
mieux
je
comprends. Je le sens naturiste ou réaliste. Il
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Humanités
veut essayer de vivre toute sa vie. Ici je retrouve
l'ivresse du vocabulaire. Il est strictement vrai
que l'impudicité enivre. Faut-il craindre de boire ?
Faut-il
craindre
le
plaisir ?
Une
nouvelle
philosophie se montre, qui est la cynique. Il n'a
point honte de Dieu qui nous a faits tels. De là ces
séries fameuses, mais que l'on cache, torche-cul
et chier et manger. Ici paraît donc une grandeur
humaine qu'il ne faut pas méconnaître. Jusque
dans l'église, Panurge ose tenir aux femmes des
propos offensants et humiliants. À la face du
Seigneur il poursuit son plaisir. Il faut faire bien
attention. Car ceux qui traitent les choses de
l'esprit comme choses du corps ne savent pas ce
que c'est que plaisir. Le moindre plaisir est de tout
l'homme, comme a dit Condillac : « je suis odeur
de rose. » Or cette odeur n'est agréable que parce
qu'elle envahit tout notre
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(tre comme une
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Humanités
douleur. Aussi n'est-ce point dans le nez que je
sens l'odeur de rose, mais je la sens comme je
perçois l'univers. Le plaisir de boire est de
m(me ; ce qui plaît dans le boire c'est la plénitude,
c'est l'abondance, c'est une sorte d'emphase dans
le boire. Aussi faut-il beaucoup boire et pour cela
manger salé. Il ne voit pas un verre plein sans le
vider. Faire raison dit le buveur. Et en effet, si on
ne le vide pas jusqu'au fond, que faire de cette
petite goutte ? Un plaisir sans plaisir, sans
abondance. Un plaisir d'avare qui mange aux frais
d'autrui. Cela manque de courage ; ainsi on est
amené à la guerre par tous ces excès. Tout
naturellement nous apprenons que Frère Jean
tue comme il boit, à grands coups du bâton de la
croix. Qu'importe le flacon ?
C'est un art propre à Rabelais qu'il présente
d'abord les masses et en fait sortir les individus.
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Humanités
Oui, ses premières énumérations font comme
des paysages. Ou plutôt c'est une foire ; s'il parle
des jeux, il en cite une centaine, comme si l'on
passait au milieu des marchands. S'il va à la
chasse, il en rapporte des quantités de gibier,
mais aussi une variété dont on ne voit pas la fin.
Cette surabondance est en lui et c'est m(me une
partie de sa sagesse. De m(me que bien boire,
c'est beaucoup boire, de m(me bien nommer,
c'est beaucoup nommer. Un écrivain n'existe que
par la présence et, mieux, l'afflux des paroles. Il
se donne tout le choix possible. Et, quand on y
regarde, on découvre une propriété des termes
qui leur est inhérente. L'étymologie se présente
d'elle-m(me. C'est pourquoi on peut lire Rabelais
sans dictionnaire. Mais plutôt il est lui-m(me un
dictionnaire ; les mots sont pleins de force, et
encore appuyés par leurs voisins. Je suis assuré
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Humanités
que l'imitation de Rabelais donnerait aux écoliers
une idée du bon style et leur mettrait pour
toujours dans les oreilles une rumeur de beau
langage. Et comme le passage est naturel du mot
à l'idée, les voilà
partis à bien raisonner,
c'est-à-dire que les voilà rivaux de Pantagruel, et
tout à fait dignes de l'admiration du père et du
grand-père. Rien n'est plus beau que le discours
de Janotus : « Rendez-nous les cloches ! » On y
sent une abondance qui ne fait que croître, et
arrive à un joyeux délire ʞcloches, clochando !ʟ.
Cet enivrement d'écrire est en tout écrivain, et,
bien loin d'ajouter, il ne fait que retrancher
comme on taille une haie vive. Il y a sans aucun
doute un peu de folie dans l'inspiration, comme il
est plus sensible dans la poésie, où c'est la
sonorité qui rassemble les mots. Toutefois la
prose dépend des m(mes conditions. En ce sens
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Humanités
Rabelais ne cesse d'effleurer la poésie et nage
dans la prose. Ce n'est certes pas par hasard qu'il
se croit Tourangeau ; car s'il est un pays où la
belle langue est par tous adorée, c'est bien
celui-là. Cette vertu agit sur tous, mais beaucoup
n'y font pas attention ; ils ne peuvent pourtant pas
confondre Rabelais avec un bavard.
À ce sujet, je pense qu'un étranger qui voudrait
apprendre le français, ferait bien d'apprendre la
prose de Rabelais ; car, après un exercice
suffisant, il éprouverait la transparence de la
langue, et serait capable d'improviser en français
sans le moindre effort, en se fiant à ces honn(tes
mots de Touraine. Mais, sous ce rapport, on
n'enseigne nullement la langue. On n'y fait pas ces
précieux exercices d'assouplissement qui nous
conduisent à la variété des mots et qui nous
façonnent
le
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bec
selon
le
français.
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Humanités
Concevez-vous l'état d'un homme qui se méfie du
français ?
Lisez
Eugénie
Grandet,
vous
découvrirez peut-(tre que c'est un marché
d'affections, de respects, de prudence en vrai
français. Cela ne peut se traduire en langage
académique. Cela est de Saumur comme le vin.
Je crois assez que les romanciers anglais se
livrent aussi à l'ivresse de parler anglais comme
dans le comté, et de là cette abondance si
naturelle qu'ils font voir.
Je reviens où j'en étais, au passage du discours
surabondant à la guerre, à laquelle il faut bien
s'attendre ; car la guerre est un excès ; c'est
m(me en cela que la guerre est bonne ; il faut
faire la guerre comme on boit, et aussitôt l'on
discerne deux guerres ; l'une qui va aux faits et
c'est la guerre de Picrochole, l'autre qui est
naturelle comme le boire et le manger, qui est
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