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Génération trithérapie
Rencontre avec des jeunes gays séropositifs
Hervé Latapie
Pourquoi la contamination par le sida a-t-elle repris chez les homosexuels ? Pourquoi, en ce moment même, des jeunes d’à peine vingt ans vont-ils attraper le virus ? Pourquoi des vieux séronegs de plus de cinquante ans, qui ont vécu toute l’histoire de la maladie, deviennent-ils aujourd’hui séropositifs ? Pourquoi l’usage systématique de la capote, considéré comme un réflexe quasi normal à la fin des années 1980, pose-t-il à présent problème ?
Parce que la maladie, en se banalisant, en devenant plus supportable grâce aux traitements, a rendu invisibles les malades. Cette évolution cloue le bec aux messages de prévention. Comment donner envie aux uns, ceux qui ne l’on pas encore attrapé, de se protéger, sans stigmatiser les autres, ceux qui l’ont ?
Il est temps de faciliter la sortie du placard des nouveaux séropositifs, de comprendre comment ils le sont devenus, comment ils le vivent, et pourquoi ils hésitent à prendre la parole publiquement.
L’auteur, Hervé Latapie, ancien professeur de sciences économiques et sociales, anime aujourd’hui une discothèque à Paris. Engagé dans la vie militante et culturelle gay, il s’intéresse tout particulièrement à l’évolution de la sociabilité homosexuelle.
Éditions Le Gueuloir, diffusion Textes Gais
http://www.textesgais.fr
Génération Trithérapie
Rencontre avec des jeunes gays séropositifs
Hervé Latapie
À François, alias Kassandre, dont la rencontre m’a permis de concevoir et d’écrire ce livre. Sans lui le « vieux pédé séroneg » que je suis n’aurait jamais rencontré les jeunes gays séropositifs.
Merci à tous ceux qui ont accepté de témoigner, en particulier aux séropotes de l’association Jspotes.
À tous mes amis morts du sida, qui n’ont pas pu connaître la trithérapie.
Introduction : Ma rencontre avec les Jeunes Séropotes
Je fréquente le milieu gay depuis le début des années 1980, virevoltant d’un lieu de rencontres à un autre (bars, boîtes, saunas…), et j’ai très vite été impliqué dans la vie associative et le mouvement gay. Depuis le milieu des années 1990, j’anime une boîte de nuit gay et lesbienne. Je fais donc partie de la génération qui a vécu toute l’histoire du sida, de son apparition au début des années 1980 à aujourd’hui. Je suis séronégatif, par chance, mais pas par hasard. La chance a été d’attraper très jeune une maladie sexuellement transmissible bénigne, et d’avoir été traité par un médecin gay spécialiste, qui m’a enseigné la prévention avant qu’elle ne soit devenue – tristement – d’actualité. J’ai donc adopté des pratiques sexuelles sans risque. Par ailleurs, aux tout tout débuts de l’épidémie, je vivais aux Pays-Bas, où la prise de conscience de la gravité de la situation a été plus rapide et surtout plus pragmatique. Il n’y a donc aucun hasard : j’ai été de suite encouragé à adopter et à maintenir le cap du safe sex.
À la fin des années 1990, j’ai été témoin de la lente dégradation de la prévention du sida. Un petit détail dans la boîte de nuit dont je m’occupe me paraît symbolique : j’ai commencé à retrouver par terre des capotes et des dosettes de gel que nous mettons gratuitement à la disposition des clients dans les toilettes. Les premières fois que je les ai ramassées, cela m’a vraiment mis en colère. Puis peu à peu je me suis résigné : le sida n’était plus, du moins en apparence, au centre des préoccupations des gays.
J’ai continué à en parler régulièrement, notamment sur mon blog, mais en salle, lorsque je prenais le micro pour parler au public, j’ai plusieurs fois senti l’attention moins réceptive aux messages de prévention, comme s’ils étaient perçus comme du plombage d’ambiance. Un jour, en avril 2006, alors que j’animais un bal des célibataires (grand moment de convivialité), travelotté pour incarner mon personnage de Taulière, j’étais à la recherche de volontaires pour participer à un jeu. En malin-maligne, j’inventais une manière détournée d’aborder le sujet. Il s’agissait de placer une capote sur un gode en ayant les yeux bandés, le mieux et le plus vite possible, en ayant les yeux bandés. J’expliquais que je voulais recréer les conditions de vie dans une backroom : comment enfiler un préservatif sur un sexe en érection lorsqu’on est dans le noir et que l’on a les mains pleines de gel glissant ? Or j’ai eu bien du mal à trouver des amateurs pour se prêter à cet exercice. Les clients semblaient gênés, pas très à l’aise avec cette histoire de préservatifs. Finalement j’ai trouvé trois volontaires, plus délurés que les autres, qui se sont prêtés avec humour à la démonstration. Un peu plus tard, le plus coquin du trio est venu me parler pour m’expliquer qu’il faisait partie d’une association regroupant des jeunes séropositifs décidés à s’entraider pour accepter et surmonter tout ce qu’impliquait leur séropositivité. Ils voulaient sortir de leur isolement, dénoncer les discriminations dont ils se sentaient victimes, et ce garçon a employé devant moi une expression que j’entendais pour la première fois : la sérophobie.
Cette conversation, me semble-t-il, résumait parfaitement la nouvelle problématique du sida : ce jeune me présentait leur action comme un aveu, sur le ton de la confidence, et précisait avec insistance qu’il comptait sur ma discrétion. J’ai de suite été estomaqué par tout ce qu’il m’a raconté, tout simplement parce que je ne l’avais encore entendu nulle part, et que je mesurais à quel point les séropos étaient relégués au placard, et que là était probablement le nœud du problème du relâchement des comportements. Ce soir-là débuta une amitié, fondée sur l’envie de travailler ensemble. Je me suis empressé de clarifier mon statut de « vieille séroneg » pour ne laisser planer aucun doute : notre connivence n’allait pas se bâtir sur un vécu commun, mais plutôt sur un échange d’expériences différentes.
Dans les mois qui ont suivi, nous nous sommes lancés ensemble dans l’organisation de fêtes, en leur donnant un titre ambitieux et hélas présomptueux : Superpositif ! Notre objectif, outre d’offrir un soutien financier à l’association des Jeunes Séropotes, était de briser l’invisibilité de la séropositivité chez les gays. L’échec fut révélateur : la fréquentation fut plus que modeste, même en annonçant un programme musical spécial Madonna (le nec plus ultra à cette époque pour mobiliser les foules). Il a fallu nous résoudre au constat que le concept n’était pas très populaire : les séropos font peur ! C’est lors des préparatifs de ces soirées que j’ai été amené à me retrouver plus souvent parmi eux. À force de discuter avec certains d’entre eux, j’ai été convaincu qu’il fallait recueillir leurs témoignages. La tâche n’était pas évidente, car elle revenait à ce qu’un séronégatif leur donne, en quelque sorte, des leçons de visibilité.
J’ai donc appliqué la même méthode que j’avais utilisée pour raconter ma rencontre avec le monde de la prostitution masculine gay (voir Doubles vies, enquête sur la prostitution masculine gay , 2010, Éditions Le Gueuloir) : les écouter et leur donner la parole. Notre dialogue allait être une confrontation entre mon expérience de vieux séroneg et leur vécu actuel de « séropotes ». À moi d’être porteur de la mémoire et de ses enseignements, à eux l’ancrage dans le nouveau vécu de la maladie.
J’ai d’abord réuni chez moi en juillet 2007 un petit groupe d’une douzaine de membres de l’association. J’étais seul au milieu d’eux. Chacun a pu prendre la parole, et se définir par rapport à la question cruciale de la visibilité : à qui on le dit, à qui on ne le dit pas, et pourquoi ? Au cours de cette première rencontre, très intense, se sont dégagés les autres principaux thèmes qui obsèdent la vie d’un jeune séropo aujourd’hui : la gestion de la maladie au jour le jour, le traitement, la sexualité. Par la suite, j’ai continué à en discuter avec quelques-uns d’entre eux qui sont devenus de vrais amis. Puis j’ai souhaité effectuer quelques entretiens individuels pour approfondir ce qu’ils m’avaient déjà raconté et pour vérifier que d’autres trajectoires individuelles ne contredisaient pas nos intuitions. Cela n’a pas été facile. Ce n’est pas évident pour eux d’en parler. C’est trop douloureux. Ainsi, plusieurs m’ont fixé un rendez-vous pour l’annuler à la dernière minute. Mais peu à peu j’ai fini par recueillir pas mal de témoignages (une bonne vingtaine à ce jour). Ces longues conversations enregistrées sont venues compléter toutes les bribes de propos tenus sur le sujet tant dans ma vie privée que professionnelle (dans la boîte de nuit où je travaille, je croise beaucoup de monde, et l’ambiance de la nuit est souvent propice aux confidences).
Toutes ces rencontres ont progressivement confirmé ma conviction : le nœud du problème du sida chez les gays aujourd’hui est son invisibilité. Il y a eu un moment au milieu des années 1990 où nous avons raté quelque chose, et où tout à coup il est devenu plus prudent pour les séropos de se faire discret. Ce retour au placard pour toute une génération de gays séropos a envoyé valser la discipline de la prévention. Au point que même les grandes associations historiques de lutte contre le sida, en particulier Aides, mais aussi l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), semblent aujourd’hui davantage miser sur une solution biomédicale de l’épidémie au détriment d’une approche psychosociale. Comme s’il était devenu admis que les comportements à risque des gays étaient ingérables, rendant la prévention classique inefficace.
Cette enquête essaye d’expliquer tout cela, en se fondant sur le récit de ces expériences individuelles. Mon souhait est bien entendu que ces J’ai souhaité un jour organiser une rencontre (j’avoue que j’avais l’idée d’une confrontation) entre un militant « historique » d’Act-Up et des jeunes séropotes. Philippe Mangeot, ancien président d’Act-Up a accepté, et je pense qu’une partie de l’échange auquel j’ai assisté ce soir là est particulièrement révélateur du tournant important qu’il y a eu dans la lutte contre le Sida : il y a eu un moment où les « vieilles » associations ont raté quelque chose. Aujourd’hui c’est aux « séropotes » de prendreprennent la relève, et qu’ils nous aident à renouveler notre réflexion. L’objectif devient crucial : que les gays se remobilisent contre le sida et adoptent à nouveau des comportements qui ne les enferment plus dans la logique du placard. Alors pourquoi se priver d’un des plus beaux slogans de la grande époque de la lutte contre le sida : action = vie !
et mon souhait est de les aider à relever le défi.
Mais au fait, comment se définissent-ils ? Qu’est Qu’est-ce qu’un séropote ?
Ils ne sont pas forcément si jeunes que cela, mais ils se distinguent des « vieux » séropositifs par un stigmate supplémentaire : ils ont été contaminés à une époque où nul ne pouvait ignorer ni l’existence de la maladie, ni les moyens de s’en prémunir. En quelque sorte, ces nouveaux contaminés seront parfois soupçonnés d’être responsables de ce qui leur arrive. Les plus « récents » d’entre eux ont également été contaminés alors qu’il existe des traitements de plus en plus efficaces. En cela aussi ils s’opposent aux plus anciens, atteints à une époque où l’on ne savait rien, ou pas grand-chose : aux tout dé