Face au risque épidémique , livre ebook

© Odile Jacob, février 2014 15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-7241-9
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Non plus fuir, vite, loin et longtemps, mais se préparer, sans délai, avec force et constance.
S OMMAIRE
Couverture
Titre
Copyright
Dédicace
Introduction
Première partie - PRÉMICES
Chapitre 1 - Dieppe sans voir la mer !
La longue série des cas d’infection grave à méningocoques dans la zone de Dieppe
Les moteurs de l’angoisse
« On a souvent besoin d’un plus petit que soi »
Leçons de crise en Seine-Maritime
Chapitre 2 - « Il tue »
Un virus et un moustique menant chacun leur petite vie
La lutte est difficile contre un adversaire trop familier
Viol en Réunion
Brève histoire d’une explosion
La crise du chik
Chapitre 3 - Les oiseaux
L’épizootie aviaire due au virus H5N1
L’accroissement de la perception du risque de pandémie grippale
Leçons de crise de la grippe aviaire
Deuxième partie - PRÉLUDE, PUIS COUP DE CYMBALES
Chapitre 1 - Face au défi des épidémies sans frontières
La barrière de la quarantaine : première règle de sécurité sanitaire internationale
La quarantaine mise en cause, la quarantaine exportée, puis la quarantaine dépassée
L’avènement d’une réglementation de sécurité sanitaire de portée internationale
Chapitre 2 - Chronique d’une pandémie grippale annoncée
Mobilisation planétaire
En France, le plan Pandémie grippale
Les vicissitudes mondiales de la mobilisation générale
Sous le coup de la fatigue pandémique
Une nouvelle pandémie nous attend
Chapitre 3 - Comme un coup de tonnerre en plein ciel serein
Le coup de tonnerre du vendredi 24 avril 2009
En un mois, le virus dépasse les bornes et bouscule les plans, tout en gardant une grande part de mystère
Troisième partie - ALLEGRO MA NON TROPPO FORTE
Chapitre 1 - Branle-bas de combat
La pandémie grippale durant l’été 2009
Les trois arrière-plans de la préparation de la vaccination contre le virus H1N1
La préparation d’une campagne de vaccination contre le virus H1N1
Tirer les leçons du passé
Chapitre 2 - Le visage inattendu de la crise pandémique
Avant même son début, des nuages s’étaient amoncelés sur la campagne de vaccination
Les vicissitudes de la campagne de vaccination
Chapitre 3 - L’heure des comptes
En France, à l’heure des comptes
Le Règlement sanitaire international et l’OMS à l’épreuve de la pandémie grippale en 2009… et de l’Europe
L’évaluation de la mise en œuvre du nouveau Règlement sanitaire international et de la gestion de la pandémie grippale par l’OMS
Leçons de crise pandémique en forme de poupées russes
Conclusion - La prochaine fois, serons-nous préparés ?
Un aide-mémoire contre l’oubli des crises épidémiques
La volonté de comprendre les épidémies
L’ambition de prévenir les pandémies
Épilogue
Remerciements et reconnaissance
Notes
Introduction

Phusis kruptesthai philei 1 .

Comme le papillon, je suis passé dans la lumière crue des crises sanitaires par le stade de la chenille ! Euproctis chrysorrhoea , le bombyx « cul-brun », chenille défoliatrice, donna le signal du départ.
Début mai 2005, les autorités publiques étaient mobilisées par une rave-party 2 , une foule de quelques dizaines de milliers de ravers devant être accueillie sur une ancienne base aérienne. L’affaire était de culture plus que de nature, jusqu’à ce qu’un examen des lieux, la veille de l’événement, révèle la présence inattendue sur le sol d’innombrables exemplaires de la chenille d’un papillon de nuit. En cas de contact avec l’homme, les poils urticants de cette chenille, d’autant plus velue qu’approche l’été, entraînent des éruptions cutanées avec des démangeaisons, voire des atteintes respiratoires ou de l’œil. Or les participants convergeaient déjà en grand nombre vers la base. Même si le risque d’allergie grave était faible, plusieurs milliers de personnes allaient être en contact intime avec ces chenilles. Des conséquences sévères pouvaient donc en résulter chez plusieurs personnes, qui plus est durant la nuit et dans une zone d’accès difficile.
Fallait-il stopper le flot ? Pouvant juger que la chenille n’était qu’un prétexte pour interdire la rave-party, les participants n’allaient-ils pas, mécontents, se heurter alors aux forces de l’ordre ? Et si des décès étaient causés par une allergie grave ? L’argumentation serait ensuite rapide : le risque était connu et, même difficile à mettre en œuvre, l’interdiction de la rave-party était faisable !
La base aérienne était une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floral fréquentée par l’œdicnème criard, l’outarde canepetière ou l’engoulevent d’Europe, des « alliés sanitaires » de faible secours, cependant. Même les plus insectivores n’étaient pas gros mangeurs de chenilles urticantes et tous ces oiseaux étaient grands fuyards à l’arrivée d’une rave-party !
Interdire l’accès au dernier moment parut disproportionné. Pour réduire le risque dû aux chenilles, un message fut diffusé : ne vous roulez pas par terre ! Le poste d’assistance médicale fut renforcé et les professionnels de santé et les hôpitaux voisins furent alertés sur le risque d’allergie grave. Deux décès furent déplorés, mais sans lien avec les chenilles. Sans suffire à déclencher une crise sanitaire, la présence inattendue des chenilles à cette rave-party suscita cependant de nombreuses interrogations sur l’autorisation des rave-parties, la sécurité de leur organisation, la gestion du patrimoine des armées, la protection des oiseaux, la prolifération des chenilles « tueuses » au sein des forêts françaises, et les délais de prise en charge des manifestations allergiques graves liées aux « insectes ».
L’inattendu est un des ingrédients dont se nourrit la crise. Il se manifesta à propos de cette amorce de crise due aux chenilles, mais il avait été au cœur des grandes crises sanitaires qui s’étaient enchaînées en France, de la transfusion sanguine, de l’amiante et de la canicule.
Dans les crises sanitaires d’origine épidémique, il est aussi toujours présent. Il y a bien longtemps que les épidémies font jouer à l’homme et à la nature une grave partie de cache-cache. Héraclite, l’obscur, cité en exergue de cette introduction, n’avait-il pas écrit que « la nature aime à se voiler » ?
L’inattendu avait marqué l’épidémie de sida apparue au début des années 1980, puis la maladie de la vache folle au début des années 1990, puis encore les attaques terroristes par le bacille de l’anthrax en 2001, enfin l’épidémie liée au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003. Le milieu de la première décennie des années 2000 vit émerger de nouveaux risques épidémiques, tout aussi surprenants.
Le but de ce livre est de revenir sur les crises sanitaires d’origine épidémique qui survinrent à partir de 2005, notamment sur la pandémie grippale de 2009, à la fois pour en faire récit et en tirer des leçons pour l’avenir quant à la sécurité sanitaire de la population .
Durant cette période, pendant plus de six ans, j’ai exercé la fonction de directeur général de la Santé. Dans notre pays, c’est l’un des acteurs centraux dans le cadre de ces crises, car sa mission de protection de la santé des Français le conduit à proposer des stratégies d’action aux responsables politiques, puis à les mettre en œuvre, une fois les décisions politiques prises. Il se trouve placé entre deux portes : l’une qui ouvre sur l’espace de l’expertise scientifique et de la gestion du risque, et l’autre qui mène à la décision politique. Avec un recul suffisant pour réfléchir sur ce qui s’est passé, mais pas si long que le souvenir s’en estompe, je suis d’autant plus enclin à évoquer ces crises sanitaires que m’incombe sans doute une ultime responsabilité : transmettre ce qui pourrait être utile dans la perspective des crises sanitaires de nature épidémique à venir.
Ce témoignage, qui veut faire œuvre pédagogique, est évidemment contraint.
Tout d’abord par le devoir de réserve propre à la fonction de directeur général de la Santé. Qu’est-ce qui, en pratique, ne pourra être mentionné ? Finalement peu de chose : certains aspects de la circulation des informations environnant les prises de décision, quelques anecdotes qui pimentent les scènes de la vie politique, médiatique ou de l’administration de la santé, ou encore les manifestations des traits de caractère de telle ou telle personnalité connue ou qui gagnerait à l’être. Ce que j’ai pu percevoir sur ce versant serait intéressant en termes d’ambiance et du point de vue de la narration mais n’est pas indispensable à l’analyse qui va suivre et restera donc en blanc sur la carte.
Ce témoignage est aussi contraint par un devoir de reconnaissance. Ce livre est pour moi l’occasion de l’exprimer à toutes celles et à tous ceux qui, dans ces circonstances et à des niveaux très divers, dans des contrées parfois lointaines ou au contraire parmi les collègues les plus proches, ont agi pour protéger la santé de leurs concitoyens ou de leurs prochains.
Je veux souligner ici la leçon principale de ces crises : la prévention des épidémies est un enjeu essentiel de la sécurité sanitaire et un défi qui doit être relevé sans faiblir. Ce défi est difficile, en raison de la nature imprévisible et éminemment variable des épidémies et de leur