Une anthropologie entre pouvoirs et histoire Conversations autour de l’œuvre de Jean-Pierre Chauveau , livre ebook

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Publié par

Date de parution

01 janvier 2011

Nombre de lectures

0

EAN13

9782811105860

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

4 Mo

SOUS LA DIRECTION DE Eyolf Jul-Larsen, Pierre-Joseph Laurent, Pierre-Yves Le Meur, Éric Léonard
Une anthropologie entre pouvoirs et histoire
Conversations autour de lȸuvre de Jean-Pierre Chauveau
APAD - IRD - KARTHALA
UNE ANTHROPOLOGIE
ENTRE POUVOIRS ET HISTOIRE
APAD sur internet : www.association-apad.org IRD sur internet : www.ird.fr KARTHALAsur internet: http://www.karthala.com
Couverture : « Le vertige des masques», tableau de l’artiste ivoirien Tanochy Ahonso (DR) [Site : http://grahpoll.free.fr/poemes.htm]. Avec en épigraphe sur le site de l’auteur : « Notre société actuelle, est en proieà une crise identitaire et humanitaireàl’échelle planétaire. Une société qui célèbre l’individu et parle de mondialisation. Une société où toutes les passions sont exacerbées et où l’autre devient suspect. Une société qui se veut pourtant hétérogène et où la mixité est de plus en plus évidente. Une société où tout peut encore arriver.»
© IRD et Karthala, 2011 ISBN (IRD) : 978-2-7099-1720-9 ISBN (Karthala) : 978-2-8111-0586-0
SOUS LA DIRECTION DE Eyolf Jul-Larsen, Pierre-Joseph Laurent, Pierre-Yves Le Meur, Éric Léonard
Une anthropologie entre pouvoirs et histoire
Conversations autour de l’œuvre de Jean-Pierre Chauveau
APAD Po Box 631 SE-751 26 Uppsala
Karthala 22-24, d Arago 75013 Paris
IRD 44, d de Dunkerqe 13572 Marseille cedex 2
L’APAD
Fondée en 1991 par J.-P. Olivier de Sardan, l’APAD (Asso-ciation euro-africaine pour l’anthropologie du changement social et du développement) est un réseau international réu-nissant des chercheurs et des institutions qui travaillent sur les processus sociaux liés au développement et sur le devenir des espaces publics en Afrique. L’APAD promeut les échanges d’idées et d’expériences entre chercheurs européens et africains ainsi qu’entre les praticiens du développement. L’APAD organise également des conférences thématiques bisanuelles et publie une revue, le Bulletin de l’APAD, en version électronique (www.revues.org) et papier.
APAD, Dept. of Cultural Anthropology and Ethnology, PO Box 631, SE-751 26 Uppsala Suède
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INTRODUCTION
La gouvernementalité comme millefeuille
De l’art de la métaphore pâtissière chez Jean-Pierre Chauveau
1 Pierre-YvesLEMEUR
« ... fou du roi, l’anthropologue a beau ne pasêtre régicide, il ne peut s’empêcher non seulement de penser, mais de constater que le sérieux tue.» Mike Singleton
« La droite est grande, précise, sage, c’est la plus sage des lignes.» Eugène Zamiatine
Récemment, lors d’un séminaire de l’École des hautes en sciences socialesàla Vieille Charité organiséàMarseille sur le thème « Terre, ressources naturelles, conits dans les sociétés du Sud », Jean-Pierre nous a offert une présentation intitulée « Transferts fonciers coutumiers, question foncière et crise politico-militaire en Côte d’Ivoire forestière» (2009a). Son exposé faisait la part belleàla longue durée pour interpréter les ressorts de la crise ivoirienne ; le concept de gouvernementalité occu-pait une place de choix dans la description et l’analyse des articulations entre échelles et entre formes de gouvernement des hommes et des res-sources. Les dispositifs de gouvernementalité étaient assimilés, sans plus de précision,àdes dispositifs de pouvoir et l’accent était mis sur leur pluralité : gouvernementalité étatique, cheffale, lignagère, intergénération-nelle, intrafamiliale... Par ailleurs, la gouvernementalité rurale de la Côte
1. Anthropologue, IRD, UMR 220 GRED, Nouméa ; pierre-yves.lemeur@ird.fr. Je remercie ici en toute amitié Jean-Philippe Colin, Jean-Pierre Jacob, Pierre-Joseph Laurent, Philippe Lavigne Delville etÉric Léonard pour leurs lectures précieuses de ce texte.
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UNE ANTHROPOLOGIE ENTRE POUVOIRS ET HISTOIRE
d’Ivoire contemporaine était vue comme le résultat composite des interac-tions entre ces diverses couches,àla profondeur historique variable. Cet exposé s’inscrit dans la continuité de travaux que Jean-Pierre a conduits depuis une quarantaine d’année en Côte d’Ivoire forestière sur les transformations mutuelles de l’économie de plantation, des relations foncières, des arènes politiques locales et des modalités d’ancrage local de l’État. Il met en particulier l’accent sur les relations entre les dimen-sions foncières et sociopolitiques qui règlent l’accèsàla terre des étran-gers dans les communautés locales en Côte d’Ivoire forestière. Il montre que cette relation traverse des moments de connexion et de déconnexion relativesàl’échelon local et que ces variations ne sont compréhensibles qu’en relation avec un mode de régulation politique de la question foncière et ses formes de mise en débatàl’échelon national. Cette présentation s’insère dans une série de textes récents de Jean-Pierre qui explorent cette thématique selon des angles complémentaires et mettent l’accent sur la relation de tutorat qui règle les modalités d’insertion foncière et sociopoli-2 tique des « étrangers»dans les sociétés villageoises, en lien avec la thématique des transferts fonciers (Chauveau, 2006a et b ; Chauveau et Colin, 2010) et celle des relations intergénérationnelles en milieu rural (Chauveau, 2005b ; Chauveau et Bobo 2003), et aussi sur les interventions foncières de type « plan foncier rural»(Chauveau etal., 1998 ; Chauveau, 2003) et plus largement sur l’économie politique de la loi foncière ivoi-rienne de 1998 (Chauveau, 2002a et b ; 2009b). Si le concept de gouvernementalité qui structure la présentation évo-quée en amorce de cette introduction est nalement peu mobilisé dans ces autres textes (voir toutefois Chauveau, 2005a et b ; Chauveau et Bobo, 2008), il occupe pourtant une position signicative quant à une manière de conceptualiser et d’écrire qui signe les travaux de recherche de Jean-Pierre. Nous verrons que le recours parfois impliciteàFoucault cache une généalogie conceptuelle, marquée par une grande continuité dans l’ambi-tion de saisir les jeux d’échelle dans une lecture historique des transfor-mations des arènes locales et nationales ivoiriennes. Il marque aussi un tournant (ou un retour) vers une approche plus empirique et partiellement interactionniste liéeàla création de l’Association euro-africaine pour l’anthropologie du développement et du changement social (APAD), en 1990, dont Jean-Pierre fut un acteur clef. La notion de gouvernementalité, de par sa relative exibilité – on peut en avoir un usage plutôt substantif
2. Dans le réexion de Jean-Pierre Chauveau, comme dans le cadre de ce texte, la notion d’étranger est employée au sens émique qui lui est conféré dans les contextes villa-geois, c’est-à-dire pour désigner l’ensemble des individus dont les origines sont exogènes àla société dans laquelle ils sont installés et qui les a accueillis, qu’il s’agisse de non-Ivoi-riens ou d’Ivoirens allochtones. Les durcissements coloniaux des frontières ethniques tendentàfaire du statut d’« étranger»un état permanent et trans-générationnel (l’intro-duction revient sur ce thème, ainsi que plusieurs contributions de l’ouvrage, en particulier LentzAutochtonie et citoyenneté, ainsi que celles rassemblées dans la section « »(Ges-chiere,Dozon,Hochet;pour le milieu rural Hilgerspour une extension de la discussion vers le monde urbain).
INTRODUCTION
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ou plutôt exploratoire (cf. Blundo et Le Meur, 2009 : 8-12) – permet de penser deux articulations centrales dans les travaux de Jean-Pierre : entre les échelons locaux et supra-locaux, et entre logiques des acteurs et jeu des structures et des institutions (le second terme tendantàremplacer le premierà; cf. Chauveau, 1997a). D’unpartir du milieu des années 1990 point de vue diachronique, la gouvernementalité, entre autres du fait même de cette plasticité conceptuelle, a accompagné et mis en forme le tournant plus interactionniste, « apadien», de Jean-Pierre dans les années 1990, et la remontée vers une réexion renouvelée sur la variation et l’in-tégration des échelles : l’acmé pâtissière évoquée dans le titre de cette introduction. On verra enn que les références conceptuelles de Jean-Pierre, et surtout la manière dont il les manipule, se manifestent dans une écriture de type historique, « braudélienne», par opposition au style plus « wébérien»de son collègue et ami Olivier de Sardan. Cet ouvrage n’a pas pour seul objectif de rendre hommageàun auteur important – ce but pourrait en l’occurrence sufre –, il plaide pour une manière de faire de l’anthropologie attentive au jeu des relations de pouvoir et de savoir, nécessairement ancrée dans l’épaisseur de l’histoire. C’est ce que les contributions réunies ici nous rappellent, au-delàde leur diversité, dans la conversation qu’elles entretiennent avec Jean-Pierre et sonœuvre, chacuneàleur manière, plus ou moins explicite ou indirecte selon les cas, comme nous le verrons tout au long de cette introduction. Nous en ferons également une présentation rapide en n de chapitre, avec l’organisation d’ensemble de l’ouvrage.
La gouvernementalité, un concept structurant chez Jean-Pierre ? Courte archéologie
L’usage explicite du concept de gouvernementalité est tardif dans les écrits de Jean-Pierre. Il est notamment absent de ses réexions sur le déve-loppement, la participation et le populisme bureaucratique. Foucault est certes mentionné (1994 : 29), mais en référenceàdes travaux (Les mots et les choses, 1966 ;L’archéologie du savoir, 1969,L’ordre du discours, 1971) qui sont antérieursàl’élaboration du concept et au tournant qu’il opérera en direction d’une approche non plus « archéologique»(discur-3 sive et teintée de structuralisme ) mais « généalogique», pour reprendre la formule de Dreyfus et Rabinow (1984), qui désormais thématise les 4 relations de pouvoir, entre autres en rapport avec les enjeux du savoir .
3. Foucault s’est défendu de manière plus (2001/1969 : 816) ou moins (2001/1967 : 608-612) nette d’être structuraliste : 166-171) et la préface de Dreyfus; voir Veyne (2008 et Rabinow (1984). 4. Foucault développe au début des années 1970 la notion de généalogie comme histoire des interprétations plutôt qu’interprétation de l’histoire, en référence expliciteà
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UNE ANTHROPOLOGIE ENTRE POUVOIRS ET HISTOIRE
« Nous utilisons dans l’intitulé le terme “d’archéologie” (au sens de Foucault) de préférenceàcelui “d’histoire” pour éviter de laisser croire que la participation paysanne aurait été – et serait encore aujourd’hui – un objet de connaissance unié dont il serait possible de décrire rétrospectivement le développement – conception linéaire et cumulative, en un mot positi-viste, qui nourrit précisément les malentendus actuels. Il convient plutôt de considérer la participation des populationsàl’œuvre de développement comme un élément régulier de la structure de connaissance et du système de valeurs caractéristiques des sociétés dites modernes»28-29).(1994 :
Plaçant les dispositifs du développement au centre du fonctionnement des sociétés contemporaines et ne les voyant plus comme des épiphéno-mènes exogèfonctionnement réelnes, étrangers au « »des sociétés afri-caines, ce passage est clair quantà: analyser des récur-l’objectif du texte rences, des « invariants structurels»dans le discours du développement pour en mettre au jour les tendances, tout aussi structurelles,àl’amnésie, et non pour en livrer une vision structuraliste et a-historique. Il s’agit,àla suite de Foucault, de prendre au sérieux les « pratiques discursives»et leurs effets sociaux. En même temps, il faut remarquer que Jean-Pierre est, au fond, venuàla question du développementviaune approche histo-rique relativisant la place du projet de « mise en valeur coloniale»dans l’explication du succès de l’économie de plantation ivoirienne (cf. Chau-veau, 1985 ; Chauveau et Dozon, 1985). En même temps, comme le montrent bienChantal Blanc-PamardetPhilippe Lavigne Delvilledans leurs contributionsàce livre, l’intérêt de Jean-Pierre pour les dispositifs du développement et les malentendus qu’ils génèrent est ancien (Chau-5 veau 1979c, 1992/1982) . Curieusement, un texte de 1987 coécrit avec Jean-Pierre Dozon, qui met en perspective historique les relations de construction mutuelle entre État et ethnies en Côte d’Ivoire, revendique quantàlui l’usage d’une méthode généalogique, sans référenceàFoucault cette fois, mais selon une justication similaire à celle qui fondait le recours à la démarche archéologique :
« Il ne peut plusêtre question d’une reconstitution termeàterme (chaque ethnie prise individuellement faceàunÉtat extérieur) mais d’un décryptage de cristallisations successives dont la stratication permettra de rendre compte de la situation de l’État contemporain faceà“ses” ethnies. À la méthode historique rétrospective qui postule un minimum de
Nietzche etàsaGénéalogie de la morale(Foucault, 2001/1971), avant de faire de cette notion la pierre angulaire de ses travaux ultérieurs (Foucault, 1975, 1976 ; voir aussi Dreyfus et Rabinow, 1984 : 155-173), lui permettant de problématiser en termes institu-tionnels les relations entre savoir et pouvoir au-delàde l’analyse des formations discur-sives qui prédominait dans sa période « archéologique». 5. L’intérêt de Jean-Pierre pour le développement – si ce n’est l’approche privilégiée – remonteàplus loin encore, comme en témoigne le titre de son mémoire de maîtrise en sociologie (Chauveau, 1969).
INTRODUCTION
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linéarité et d’invariance pourêtre cohérente, l’on doit substituer une méthode généalogique[italique des auteurs] qui s’efforce de situer des liations historiques sans préjuger de déterminations poséesa priori» (1987 : 233).
On remarquera le vocabulaire imprégné d’archéologie (« stratica-tion»), voire de géologie (« cristallisation»), dont l’empreinte marquera les élaborations ultérieures de Jean-Pierre dans le domaine de la « tecto-nique des plaques»qui viendront enrichir autant qu’égayer les travaux sur la question foncière discutés dans le cadre du séminaire annuel de l’EHESS de la Vieille Charité dont Jean-Pierre a été – est – le pilier. Notons aussi que l’une des formes de cristallisation – Latour et Callon parleraient « d’ins-cription » – des interactions entre ethnies et État en Côte d’Ivoire est consti-tuée par la succession de « cartes ethniques»dont les transformations représentent autant d’états successifs de la relation. Cette « raison cartogra-phique»(iidnouveau. : 234) fait écho – mais non référence – au Foucault « cartographe»: 31de Deleuze (1986 et sq.), s’attelantàune topographie des lieux et des ux qui irriguent la microphysique du pouvoir. Revenonsàla gouvernementalité. Le concept même, forgé dans les années 1977-78 (Foucault, 2001/1978, 2004a et b), a connu un succès plus tardif dans les sciences sociales, entre autreàmesure que les écrits souvent dispersés et les cours de Foucault étaient rassemblés et édités. Si l’on se situe par rapportàdes ouvrages importants qui ont jalonné l’histoire de l’anthropologie du développement, on s’aperçoit que le terme apparaît chez Ferguson (1994) et Escobar (1995), dans le cadre d’une approche discursive et déconstructionniste, ou « néo-dépendantiste»pour reprendre l’expression très juste de Bierschenk (2008), approche parfois un peu 6 simpliste aussi , puis sous une forme beaucoup plus empirique et produc-tive d’un point de vue heuristique, en particulier dans les travaux d’Agrawal (2005) et Li (2007). Le terme est également resté longtemps absent des travaux de Jean-Pierre sur le foncier (1997a) et la crise ivoirienne (2000). On repère une première occurrence dans Chauveau et Lavigne Delville (2002 : 214), dans un titre de section – « mode de gouvernementalité postcolonial » –, 7 mais sans dénition ni référence précise. Le titre de la contribution de Jean-Pierre au dossier sur « Les jeunes ruraux en Afrique de l’Ouest» qu’il a lui-même dirigé porte explicitement sur le thè« Les rapportsme : entre générations ont une histoire. Accèsàla terre et gouvernementalité locale en pays gban (Côte d’Ivoire)»(2005b). La notion est reprise sans référenceàFoucault :
6. En fait, Escobar utilise peu le terme de gouvernementalité, et essentiellement en référenceàl’étude de Ferguson (1995 : 143-146) et son usage de Foucault, centré sur les pratiques discursives constitutives de la machine développementiste, se situe plutôt du côté de la période « archéologique». 7. Le terme fut en fait suggéré par Philippe Lavigne Delville, dans l’acception large de « façon d’exercer le pouvoir d’État»(communication personnelle).
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