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Le Prophète de l’Islam
et ses Califes
Khaled Ridha
Le Prophète de l’Islam
et ses Califes
Religion, classes sociales et pouvoir
Analyse économique, sociale et politique
de la société arabe aux débuts de l’Islam
(610-661)
Publibook
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IDDN.FR.010.0116308.000.R.P.2011.030.31500
Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux Éditions Publibook en 2011
Ce manuscrit a été rédigé en 1985. La présente version
a été revue et corrigée en 2009. Elle n’a apporté que peu
de modifications au texte original. La correction définitive
a été terminée en novembre 2010.
7
Introduction
L’Islam occupe aujourd’hui le devant de l’actualité.
Au Nord, il est perçu comme une menace : « une
croisade des fous de Dieu ».
Au Sud, il est vécu comme un processus de libération.
Ces deux perceptions ont besoin d’être corrigées dans
le sens d’une plus grande compréhension mutuelle.
La dépendance économique et culturelle des pays
musulmans à l’égard de l’Occident demeure le principal
obstacle à un dialogue franc et ouvert.
Les crises des modes de développement dans de
nombreux pays musulmans ont engendré un sentiment
d’insécurité et d’impasse face aux défis du monde
moderne
Le renouveau religieux est une des réponses à
l’angoisse des classes opprimées du monde musulman
devant une réalité qui leur échappe.
L’Islam a légué aux peuples musulmans un riche
patrimoine culturel qui risque de les enchaîner en projetant
leurs aspirations actuelles sur un passé riche et glorieux.
D’autre part, les crises économiques cycliques qui
secouent le monde occidental le rendent méfiant, voire
même hostile à toute remise en cause de sa supériorité
économique et culturelle.
Le conflit des intérêts de part et d’autre rend le dialogue
difficile.
Les deux mondes, chrétien et musulman, bien qu’ayant
été proches autant par l’histoire que par la géographie,
continuent à se juger au travers de préjugés et de
stéréotypes. Exception faite de spécialistes, le public de l’un
9 ignore quasiment tout de la dynamique et des
préoccupations de l’autre.
En étudiant de façon critique une période centrale de
l’histoire musulmane, l’objectif de cet ouvrage est :
- D’une part, de fournir aux musulmans une
approche critique de leur histoire qui leur permettra de
saisir à la fois la grandeur et les limites de leur
héritage culturel
- D’autre part, de présenter aux non-musulmans une
genèse de l’Islam qui leur facilite la
compréhension des espoirs et des inquiétudes des peuples
musulmans.
Un constat s’impose : en dépit de l’image négative
projetée par les médias et de la répression menée par de
nombreux gouvernements contre les islamistes, l’Islam
garde une force d’attraction considérable auprès des
peuples musulmans.
Son caractère social prononcé fait de lui un vecteur
d’espérance et de mobilisation pour les opprimés et les
laissés pour compte des politiques officielles.
L’Islam contestataire fonde son discours sur cette
matrice formée de la rencontre entre, d’une part, des Textes
appelant à l’équité et, d’autre part, des réalités politiques
où prévalent l’oppression et l’injustice.
À l’opposé, l’Islam « officiel », conservateur par
essence, propose une lecture où la soumission, le
« centrisme » et le fatalisme sont les piliers sur lesquels il
tente de maintenir sa domination et ses privilèges.
Les luttes politiques et sociales se doublent ainsi d’une
lutte théologique où les uns et les autres puisent leurs
arguments dans les Textes et leurs interprétations héritées.
La période fondatrice, qui s’étale entre 610 et 661, sert de
modèle aux uns et aux autres.
C’est en effet durant ces cinquante années que l’Islam
est né avec ses Textes, qu’il a triomphé par ses conquêtes
10 avant de se diviser en sectes rivales : kharidjite, chiite et
légaliste, devenant plus tard sunnite.
La littérature classique et « orthodoxe » présente cette
période comme celle de l’entente, de l’harmonie et du
consensus par opposition aux périodes ultérieures jugées
troubles.
Niant les contradictions, elle considère tous les
protagonistes de la guerre civile qui a sévi entre 656 et 661
comme des hommes nobles, dignes et vertueux. Elle
préfère passer sous silence les ruses, les massacres et les
animosités en qualifiant cette guerre de « Grande
Épreuve ». Parfois, elle attribue cette tragédie à un
complot ourdi par un juif converti qui s’activait à affaiblir
l’Islam en divisant les musulmans
Les auteurs classiques les plus objectifs, expliquent les
événements par le facteur tribal. Les mobiles économiques
et sociaux sont complètement ignorés.
Cette étude vise à pallier cette omission.
Elle décrit la genèse de l’Islam en termes de luttes entre
classes sociales, analyse la société arabe avant l’Islam et
les réponses que celui-ci apporte aux questions
économiques et sociales.
Elle révèle les transformations réalisées par la nouvelle
religion et les défis que posèrent les conquêtes aux Arabes.
Dans son interaction avec la réalité historique et les
classes sociales en présence, le Message véhiculé par les
Textes fondateurs a donné lieu à trois doctrines sociales
différentes : le « justicialisme » des petits commerçants, la
tendance oligarchique des grands propriétaires fonciers et
l’égalitarisme des « sans-capital ».
Ce dernier, vaincu en 661, a été marginalisé par la
suite, ne subsistant que parmi les sectes chiites radicales.
C’est la tendance oligarchique qui a prévalu tout au
long de l’histoire musulmane, le « justicialisme » étant
relégué au niveau d’un Idéal difficile à atteindre.
11 Ainsi ce qui au départ n’était qu’une tendance parmi
d’autres est devenu la norme de la société musulmane :
« Les richesses sont octroyées et réparties par la
Volonté divine… Les disparités sociales sont légitimes et
immuables… Le devoir du riche est de verser l’aumône
aux pauvres, libre à lui d’accumuler les fortunes… L’État
doit défendre les propriétés individuelles et les biens en
veillant à réprimer toute contestation sociale… Le bon
musulman est soumis, patient et à la limite, fataliste »
C’est la conception défendue par les pouvoirs, les
classes dominantes et leurs alliés : les juristes « orthodoxes ».
L’Islam contestataire puise, lui, dans la doctrine
justicialiste ses arguments et ses mots d’ordre. S’il met
l’accent sur la justice sociale, il évite qu’elle soit
contaminée par les idéaux proclam