318
pages
Français
Ebooks
1996
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Publié par
Date de parution
01 septembre 1996
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738164476
Langue
Français
DU MÊME AUTEUR CHEZ ODILE JACOB
Les Indomptables. Figures de l’anorexie (avec Caroline Eliacheff), 1989.
Questions d’inceste (avec Patrick Ayoun et Luc Massardier), 2005.
© O DILE J ACOB , 1996, MARS 2011 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6447-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Préambule
Propos et méthode
Après avoir tenté de décrire et d’analyser dans mes précédents ouvrages ce que pouvait être l’expérience de l’enfant confronté à la mort, je propose d’étudier maintenant l’autre principal protagoniste de ce drame, le parent dont l’enfant est mort. Par quels chemins ces parents vont-ils passer – consciemment et inconsciemment – pour trouver une issue – et laquelle ? – au traumatisme, à la situation intolérable créée par la perte d’un enfant ?
Les entretiens avec des parents dont l’enfant était en situation proche de la mort m’ont permis d’entendre le désarroi, les parades ébauchées ou construites pour colmater la douleur, et l’enracinement de ces modulations du deuil dans un passé chaque fois particulier – c’est-à-dire spécifique à chaque sujet – ainsi que son évolution. Celle-ci, parfois imprévisible, s’avérait néanmoins, après analyse, dépendre d’un certain nombre de « données » de base, une sorte de « capital », fruit des expériences passées de chaque parent – père et mère – pris individuellement et du couple en tant que tel.
Ces entretiens ne prétendaient pas avoir la visée d’une cure psychanalytique, mais ils étaient aussi ouverts qu’un psychanalyste peut tenter de le faire 1 . Ils m’ont rapidement permis de mettre en doute la validité de certains schémas directifs concernant l’évolution d’un deuil « normal », ses étapes prévisibles, les critères diagnostiques d’un deuil désigné comme « pathologique », ainsi que l’efficacité des conseils donnés pour aménager les différents temps du deuil normal, ou celle des « guides du deuil ».
Comment exposer les différentes questions soulevées par ces entretiens 2 ? Apporter aujourd’hui ces témoignages de familles que j’ai connues et écoutées lors de la maladie de leur enfant m’a paru éthiquement impossible, fût-ce tant d’années après les drames. Cette distance dans le temps aurait signifié un décalage entre la clinique et la recherche à l’opposé de ce que je considère comme une véritable recherche en psychanalyse. Solliciter de nouvelles rencontres avec ces mêmes sujets impliquant des retours sur le passé, hors de toute demande d’une aide thérapeutique personnelle, violer ainsi l’intimité et l’équilibre re-construit – à quel prix – risquaient fort de constituer arbitrairement un véritable traumatisme !
Mais des témoignages spontanés existent : des parents endeuillés ont trouvé dans l’écriture une aide pour élaborer, à leur manière, et intégrer selon leur tempo les mouvements de la pensée et de la sensibilité imposés par la perte de leur enfant. Freud et Lacan ont reconnu et montré par leurs travaux sur des œuvres d’artistes (poètes, peintres…) que ceux-ci ont souvent des dons exceptionnels pour analyser, formuler leurs états d’âme, précieux et éclairants. « États d’âme » ? Freud, écrivain allemand, utilisait les termes de Seele ou Psyche , c’est-à-dire l’ âme , mais le terme a été modifié ou rejeté par l’ensemble des traducteurs 3 . Les dons d’expression n’impliquent en aucune façon des « états d’âme », soit des sentiments, affects, des processus psychiques différents de ceux d’autres personnes dépourvues de telles aptitudes. En tant que sujets, nous sommes tous animés de pulsions, désirs, fantasmes… Seule l’aptitude à les exprimer diffère. C’est précisément pour leur valeur commune, sinon universelle, que j’ai choisi d’interroger quelques biographies et textes d’écrivains, à partir des questions qui s’étaient révélées essentielles dans la compréhension des mouvements de l’esprit et de l’âme des parents d’enfants mourants ou morts.
Mon projet se situe dans une optique bien précise : décrire et comprendre l’itinéraire psychique de parents endeuillés afin d’éclairer ceux qui ont à traverser cette détresse plutôt que de la subir dans l’aveuglement. Chaque cas illustre un ou plusieurs aspects du bouleversement psychique et affectif inévitable. Chaque parent vit cette détresse d’une certaine façon, non forcément identique, sans pour autant passer par tous les aléas d’un personnage auquel il serait enclin à s’identifier. Ces documents présentent des tableaux ou des fragments d’un parcours dans lequel chacun peut repérer un trait commun, et apporter une autre touche, la sienne.
Comment se présentent certaines questions récurrentes ?
L’histoire subjective de chaque parent, son histoire familiale avant la perte de cet enfant, apparaît toujours fondamentale, en particulier les morts antérieures et ce qui les a entourées : du souvenir à jamais inscrit, réinscrit, souvenir vivant ou mortifère, au déni ou au silence, voire à la forclusion 4 de cet événement majeur, irrécusable pour le vivant. L’impact des deuils familiaux vécus dans l’enfance et l’adolescence est particulièrement évident dans les œuvres et la vie de Gustav Mahler et de Stéphane Mallarmé. Le chanteur Eric Clapton, quant à lui, n’a pas, à proprement parler, vécu de deuil dans son passé, mais deux disparitions, celle de son père, puis celle de sa mère ont modelé son désir de paternité et ses réactions à la disparition réelle, brutale de son fils. Comme chez Mallarmé les projets d’œuvre à deux, père et fils, ont perpétué la présence du fils.
Le sexe de l’enfant joue-t-il un rôle primordial dans ces différents deuils ? Ne serait-ce pas plutôt la place de l’enfant dans le psychisme de ses parents ? Alma Mahler, par exemple, a subi trois pertes d’enfant : aucune n’a eu le même retentissement sur elle. Elle restera inconsolable après la mort de Manon, tandis que celle de Putzi semble l’avoir affectée surtout par l’impact qu’elle a eu sur Mahler. Freud craignait de mourir avant sa mère : d’infliger un deuil d’enfant à sa mère. Il savait bien la place privilégiée qu’il occupait pour elle ! Il a fort bien décrit la blessure narcissique subie lors de la mort de sa fille, mais il avouera que celle de son petit-fils, Heinele, a été plus douloureuse, provoquant chez lui des modifications, presque des renversements, dans ses liens affectifs avec les autres. Anatole, fils disparu de Stéphane Mallarmé, occupait la même place (affective) qu’Heinele pour Freud. Les rapports entre l’écrivain et son fils ont déterminé une œuvre « commune » : écrite par le père pour le fils, avec ce fils-sacrifié, et par lui. Léopoldine Hugo avait été prénommée (donc désignée ?) comme le fils aîné, Léopold, mort très rapidement. Mais c’est la voix de Léopoldine que Victor cherche à entendre dans les séances de spiritisme, et les vers inspirés par sa mort sont dans les mémoires de tous les écoliers français ! Isadora Duncan avait un projet, le même, pour ses deux enfants, un garçon et une fille. Ils resteront toujours ensemble dans sa mémoire, dans ses visions, ses hallucinations et ses passages à l’acte.
Après la mort de ses deux filles, l’écrivain Geneviève Jurgensen décide et réussit à « élever ensemble », avec les disparues, d’autres enfants. Son récit – et sa vie depuis le drame – témoignent de la force du désir d’être mère. Force ou violence ? Les écrits de femmes en général – à propos de la mort d’enfant en particulier – paraissaient relativement peu nombreux jusqu’à une date récente. Avant une certaine « libération » (du moins dans la littérature), nous disposions surtout de récits par les philosophes, directeurs de conscience et autres docteurs sur les positions des femmes. Mais n’y a-t-il pas chez la femme-mère une violence dans le rapport charnel entretenu avec l’enfant, violence du corps à corps viscéral, impossible à entendre ? et qui rend encore certains de leurs écrits difficiles d’accès ? Celui de Geneviève Jurgensen, si maîtrisé soit-il dans son état actuel, rend parfaitement compte de cette problématique.
Le récit de la romancière Yūko Tsushima éclaire nombre de réactions immédiates : chagrin, accablement, repli sur soi, révolte et/ou culpabilité, accusations, stérilité affective momentanée, fuite dans l’action. Son appel à une autre, écrivain des temps anciens, se transforme en un dialogue de femmes, à travers les siècles, où les conditions de la femme, l’appel au père, la solitude de l’endeuillée, l’attachement et le regret du corps de l’enfant mort sont simplement pointés dans la dignité et la discrétion.
Ainsi, différents essais de restauration, de réparation, de compensation se disent et font agir ces auteurs : nouvelles maternités, militantisme, entrée en religion (ou retour à), spiritisme, et surtout nouvelles créations. Serait-ce là une spécificité du deuil d’enfant ? Nous savons cependant que c’est après la mort de son père que Freud a entrepris son auto-analyse et découvert les bases théoriques de la psychanalyse ! Les effets à long terme peuvent être dramatiques : rupture de couples (Mahler, Mallarmé), différents modes d’évasion (alcool, drogue), troubles psychiques (visions, hallucinations) ou plus heureux dans la reprise d’investissements libidinaux, voire une expansion quasi désordonnée de celle-ci (Victor Hugo), ou impliquer un dégagement de la réalité afin d’atteindre un au-delà, une autre sph