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Un anti-manuel de management à l'humour décapant.

Une plongée imaginaire dans la vie d'une entreprise qui ressemble beaucoup à la vôtre, sarcastiquement contée par le ton moqueur de Théodore Musard et Achille Wolfoni pour se gausser des petits et des grands ridicules de la vie de l'entreprise.


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Publié par

Date de parution

26 septembre 2011

Nombre de lectures

115

EAN13

9782317003066

Langue

Français

Image couverture
Musard et Wolfoni
N+1
Survivre en entreprise en dix leçons
MangoBrothers

à Karine
1
Prendre ses marques
Hier, il ne portait pas de cravate. Il prenait une veste en vitesse, pour assurer lors de ses rendez-vous, mais il passait le plus clair de ses journées en bras de chemise. Le vendredi, c’était Casual Friday. Il venait à la boîte en jean et pull à col roulé. C’était avant. Une autre vie. Ça paraissait si loin déjà : la préhistoire. Quand il n’était le N+1 de personne. Quelque chose comme Mister Nobody.
C’était bel et bien terminé, fini. Désormais, il n’était plus le N-1 de son N+1 puisque celui-ci était devenu World Wide. Une sorte de N+2 si l’on veut. Et encore, N+2, cela relevait d’une approche verticale. Si l’on adoptait une approche transversale, on aurait presque pu parler entre eux de partnership.
Ça faisait en tout cas un bon appui au Coma, au Comin, au Codir. C’est ce qu’il avait expliqué ce matin-là à Karine en nouant sa cravate. Elle essayait de suivre, sans toujours tout comprendre. On aurait dit parfois qu’elle le faisait exprès. Combien de fois avait-il fallu lui dire que le Coma (comité des managers) n’avait rien à voir avec le Comex (comité exécutif), le comité de direction (Codir) avec le comité d’innovation (Comin) ! Berluchaud avec Montagné, Weston avec Berlutti. C’était comme confondre la Ligue des champions avec l’Europa League, le challenge Yves Dumanoir et le Bouclier de Brennus.
Ça ne l’éclairait pas beaucoup. Elle se perdait dans les noms propres et dans les sigles. Pourtant, elle était prof de français. Il se demandait parfois ce qu’elle leur racontait, aux mômes.
Il avait continué en lui disant qu’à son avis il en avait pour deux ans à ce poste, et qu’ensuite il pouvait légitimement espérer une progression spectaculaire ; qu’il l’avait senti au dernier kick off, où Steve et Bob étaient venus lui lancer des amazing en lui tapant l’épaule avec cet œil allumé, animal, qui révèle les vainqueurs. « Pour parler vite, il avait dit, j’ai un missile Tomawak dans le cul. » Cette fois, Karine avait compris.
Il avait hésité entre une cravate rouge, une bleue et une taupe. Le mec sur LCI en portait une sombre, il avait donc pris la taupe. Il était encore un peu à l’étroit dans ses nouvelles pompes, mais elles en disaient plus que tous les discours. Ça valait la peine d’avoir mal aux pieds. Il était rasé de près, avait un peu maigri, il tapait du poing dans la paume. Il se sentait comme une force qui va.
Il n’avait pas le trac. Aucun stress. Juste concentré. La première journée est toujours décisive. C’est là qu’il faut prendre ses marques. Entrer dans ses fonctions comme dans un costume sur mesure, un sweat dans lequel on aurait grandi. Donner le sentiment qu’on y est aussi à l’aise que si l’on était né avec. Que votre promotion avait un caractère d’évidence. Qu’elle avait consacré l’inévitable. Que vous étiez le meilleur pour le job qu’on attendait de vous. Que vous étiez à vrai dire le seul possible.
En s’approchant de la tour, il reprenait un à un les détails qui feraient de cette journée un moment décisif. « Tout est dans les détails », avait dit René Char, ou Michel Serres, il ne savait plus, à moins qu’il l’ait lu dans L’Essentiel du management. Tout compte. Tout fait signe. L’arrivée dans le hall, d’abord, avec ses rites. Sourire distant, bienveillant et condescendant pour les subordonnés, poignée de main froide pour les rivaux, accolade enthousiaste avec bons mots pour ceux qui comptent et qui peuvent servir. Il n’était pas encore assez haut placé dans la hiérarchie pour qu’on lui ouvre le battant de verre et qu’il évite les tourniquets, mais il y serait bientôt. De l’obstination, de la patience. Savoir serrer les poings. Attendre. Ça viendrait step by step.
Ensuite, il y aurait l’ascenseur : les piques lancées entre deux rires volontairement gras, l’iPhone consulté d’un regard absorbé pendant les blagues du matin des sans-grades, le « bonne journée ! » dynamique lancé à la cantonade.
Après, c’est le couloir qu’il faudrait emprunter comme un danseur, avec du rythme. Ni trop lentement, ni trop vite : une force tranquille. Le sourire accroché au visage et l’air finement préoccupé. « Tu vas bien ? », « Ciao, ciao ! », « Bravo ! », « Excellent ! », « On va y arriver ! », « On se voit ? » Faire attention à sa démarche. Un pas lent a tôt fait de vous ranger parmi les dilettantes. Un pas trop rapide pourrait laisser croire que vous êtes débordé. Pas au niveau. Dépassé par l’ampleur d’un boulot qui n’était pas fait pour vous. Un pas ferme, décidé, jovial. Qui manifeste de l’enthousiasme à l’égard de la journée qui commence en même temps que de la décontraction vis-àvis d’un travail qu’on maîtrise. Ne pas tenir sa serviette à la main comme un écolier son cartable. La glisser sous un bras en gardant la main dans la poche, peut-être ? Ou la jeter négligemment par-dessus son épaule ? Encore faut-il avoir veillé à ce qu’elle ne soit pas trop lourde ! Une serviette vide dénonce l’inconséquent qui se fout de tout quand il passe la porte de l’entreprise pour rentrer chez lui. Le petit fonctionnaire, le bourgeois pressé de retrouver sa vie privée, sa petite vie. Un gros cartable dénonce le laborieux qui fait des heures supplémentaires faute de savoir gérer convenablement son temps. Le manque d’assurance. L’inquiétude. N’emporter avec soi que sa tablette, quelques mémos, quelques fiches.
Entrer dans son nouveau bureau comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Car maintenant, il avait un bureau. Un bureau rien que pour lui, avec une photo du Sahel en Plexiglas sur le mur, une grande baie vitrée le séparant de l’open space. Karine lui avait offert un cadre numérique avec les photos de leur voyage au Taj Mahal. Elle aurait sans doute aimé qu’il l’emporte avec lui pour le poser sur sa table. Simplement pas possible. Déplacé. Le genre de truc qui vous fait reculer de trois cases ; on en aurait ri à tout l’étage. Job is job. Ici, il n’était pas en mode vacances, il était en mode boulot. Dur de le lui faire comprendre. Elle s’y ferait.
Les mails défilaient comme des cours de Bourse. Ils vous indiquent chaque matin ce que vous valez. Les félicitations du DG, le bravo d’un client : comme si une flèche verte vous indiquait que votre cote avait pris 3 %. Les propositions d’appartement du comité d’entreprise et les blagues internes : le cours est stable. Quelques messages rappelant des tâches en attente, un communiqué sur la réduction des coûts et le resserrement de la procédure de vérification des notes de frais : la journée part à la baisse.
Maintenant qu’il était manager au Head Office, il devrait monter chaque jour. Jusqu’au krach ? Pas de vie exaltante qui n’ait sa part d’aventure et de risque !
De son bureau, il voyait son équipe. Un plateau avec une dizaine de bureaux, une machine à café Nespresso, un écran plat pour suivre les infos et jeter un coup d’œil sur Roland-Garros, quelques plantes vertes. Si incroyable que cela puisse paraître, il avait été l’un d’entre eux. Maintenant, c’était ses hommes. Il se sentait comme Luc Besson assis sur son fauteuil pliant avec son mégaphone avant la première prise.
Ce matin-là, mystérieusement, le terrain était calme. Pas un bruit, pas un téléphone ne sonnait. Sans doute parce que personne n’était encore arrivé. Il était pourtant 9 h 30. Ils devaient tous avoir des rendez-vous à l’extérieur. C’était marrant, cette expression. Personne n’a jamais de rendez-vous à l’intérieur, si ?
Ce rare instant de calme était une providence, il allait en profiter pour choisir le restaurant où il emmènerait déjeuner un de ses clients. L’Italien ? Raffiné mais un peu prétentieux, et pas toujours aimable. On l’envoyait systématiquement à l’étage alors qu’il avait remarqué que les privilégiés, les gens qui comptent, obtenaient des places au rez-de-chaussée, dans l’ancienne épicerie, où les tables sont installées au milieu des réserves de pâtes et de riz, des pots de sauce tomate et des flacons d’herbes de Provence. Le Japonais ? Ç’aurait témoigné de sa solidarité avec les victimes des catastrophes naturelles. Mais savait-on jamais si leur poisson n’avait pas été irradié, avec toutes les saloperies qu’ils avaient laissé partir de leurs centrales ? Peut-être pas la peine de prendre des risques. Pas responsable à son niveau. Il avait fini par choisir un bistrot ouvert par un chef étoilé, où l’on servait le meilleur tournedos de Paris. On lui avait dit que la cave était exquise. Il le vérifierait tout à l’heure. Il savait que c’était hors de prix. Les ronds de serviette, les nappes à carreaux, la sciure sur le sol : toute cette authenticité, il fallait bien que ça se paie. Mais, après tout, c’était le moment où jamais de manifester son changement d’échelle. Il avait grimpé, il ne serait pas le seul : ses frais allaient être premiers de cordée.
Quand Mélody était arrivée, elle n’avait pas osé lui faire la bise comme d’habitude. La cravate, sans doute, et le nouveau bureau.
« Pas de chichis, Mélody, il lui avait dit en la prenant par l’épaule. Je tiens, malgré ce nouveau challenge, à ce qu’entre nous rien ne change ! »
Elle lui avait jeté un regard inquiet. Peut-être était-elle un peu amoureuse de lui… C’était possible après tout, surtout avec ce fute très près du corps et ce col ouvert qui laissait voir la naissance de ses seins, mais il n’allait pas risquer de compromettre son parcours avec une histoire qui n’était plus de son niveau. Il lui faudrait se méfier. Penser à maintenir les distances. De toute manière, quand on peut, c’est tout de même toujours mieux d’éviter l’amour au bureau. Trop d’emmerdes. On se retrouve tous les jours, après… Pas les conditions idéales pour se casser sans se retourner. Il lui avait brusquement tourné le dos. Bien vu : elle s’était immédiatement mise au boulot. La vente aux enchères d’Easy Jet commençait, et elle comptait bien passer le week-end à Bratislava.
Les autres étaient apparus un à un, en soufflant plus ou moins des histoires de RER en retard, de nounou en grève, de belle-mère égoïste qui ne veut même pas déposer les enfants à l’école…
Il ne comprenait pas pourquoi tout le monde ne venait pas comme lui en scooter, mais c’était la vie privée. « Tant qu’elle ne nuit pas à la vie professionnelle, lui avait dit la DRH, le manager n’a pas à s’y ingérer. »
Il avait prévu de commencer la journée par une réunion. Quelque chose d’informel, mais qui permettrait de faire le point, d’examiner le court et le moyen terme et de lancer quelques pistes de réflexion stratégique sur la conjoncture.
Il fallait aussi les observer discrètement pour savoir comment les challenger.
Il aurait pu les réunir dans son bureau, mais ç’aurait manqué de solennité pour marquer un nouveau départ. On se serait bousculé autour de sa petite table ronde, il aurait fallu apporter des fauteuils d’à côté pour asseoir tout le monde : tout ça aurait créé une atmosphère de familiarité. Déplacé. Rester proche, mais ailleurs, au-delà. Au-dessus.
Il avait réservé la salle Gordon-Willis, une belle salle avec une grande table noire et des fauteuils de cuir, un écran géant, un paper board et un rétroprojecteur. Pas possible. Apparemment, le DG n’avait pas l’intention de la lui abandonner. Il y tenait tous ses meetings. La Sandy-Bates était également prise. La Sid-Waterman avait été réservée par le marketing. Même la Annie-Hall était occupée. Il avait dû se replier sur la Fielding-Mellis.
C’était un peu étriqué, sans fenêtre, mais il y avait une baie vitrée donnant sur le couloir, pas loin de la machine à café. Au moins, on les verrait.
Il avait fait un petit mot introductif sur l’envie, le désir, le plaisir, les équipes, les défis… Il s’était souvenu de l’après-midi cohésion qui avait été organisée l’année précédente avec Guy Forget. Il avait insisté comme lui sur la notion de plaisir dans l’effort pour montrer qu’il ne les dirigerait pas à la schlague. On était au XXIe siècle, merde ! Il s’était un peu étendu sur la chance qu’ils avaient d’être dans une entreprise stable avec un actionnaire bienveillant et Patrick, Jean-Marc, Mathieu, Laurent, Antoine, Frédérick : tous ces directeurs particulièrement performants avec qui on formait comme une bande de potes. Ils avaient écouté dans un très grand silence. Ils n’avaient pas de questions, voulaient juste savoir quand est-ce qu’ils pourraient prendre leurs RTT et si on allait réévaluer les Tickets-repas.
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