131
pages
Français
Ebooks
1998
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Publié par
Date de parution
01 mai 1998
Nombre de lectures
14
EAN13
9782738180728
Langue
Français
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Date de parution
01 mai 1998
Nombre de lectures
14
EAN13
9782738180728
Langue
Français
© ÉDITIONS ODILE JACOB, MAI 1998
15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-8072-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction
La société du samedi
Le football est presque partout dans le monde le sport le plus populaire. Aux États-Unis mêmes, où a été organisée la précédente Coupe du Monde en 1994, le soccer , pour le distinguer du football américain, est devenu, si ce n’est majeur, du moins suffisamment populaire pour revendiquer des chiffres de licenciés et de spectateurs supérieurs à ceux de la France. Comment est-il devenu l’objet d’une telle passion ? Comment se fait-il que des millions d’individus, le samedi après-midi, le samedi soir ou le dimanche, se rendent dans les stades ou, encore plus nombreux, suivent régulièrement les résultats de leurs équipes favorites à la télévision ou dans la presse ? Pourquoi les émotions sont-elles si fortes et les affects engagés si importants qu’ils mettent en jeu la vie même des supporters, parfois au point, qu’il soit, comme le disait Bill Shankly, le manager du Liverpool FC, « plus important que la vie et la mort » ?
Les chiffres estimés d’audience télévisée pour la prochaine Coupe du Monde en France se comptent en milliards. Par son impact, le football est sans doute le sport qui manifeste le mieux ce qu’on a appelé la sportivisation de la société, c’est-à-dire la tendance à lire les règles du fonctionnement social et des relations internationales sous la forme d’une compétition entre équipes. Mais, effet de retour, cette sportivisation de la société implique que ce sport ne peut plus se penser comme un monde à part. L’évoquer, c’est évoquer l’emprise de l’argent, le poids des médias, les imbrications entre le sport et la politique, le dopage, la corruption, la violence des hooligans. Dans le contexte de la Coupe du Monde, on voit se reformer les camps : d’un côté, les dénonciateurs du foot-spectacle, du foot-opium des masses, du foot-fasciste ; de l’autre, les chantres de la globalisation et de la pacification par le football, des canons qui arrêtent de tirer, de la même émotion partout partagée.
Prenons le parti de la complexité et de la perplexité. Le football est intéressant non parce qu’il permet de rejouer pour la énième fois l’histoire de la dénonciation de l’aliénation ou de l’humanité réconciliée avec elle-même, mais parce qu’il fait voir, dans son histoire et dans son présent, comment les sociétés font et ont fait face à quelques-unes des questions qui se posent à elles. Comment se sont construites, durant la révolution industrielle, les communautés ouvrières ? Comment tirer parti des marchés que constituent les grandes villes ? Mais aussi : comment interpréter ces « communautés émotionnelles » que sont les foules des stades et comment les gérer ou les contrôler, ou encore que signifie la globalisation et quelle place reste-t-il dans ce processus pour les identités locales et nationales ?
Le football touche donc à tous les aspects des sociétés : il est de part en part social, culturel, économique et politique. Mais il faut bien choisir une ligne directrice, ou un point de vue, pour faire apparaître toutes ces dimensions : ce sera la question du public, spectateurs et supporters, c’est-à-dire de la popularité du football, du sens que l’on doit donner à cette notion qui nous oblige à chercher notre voie entre deux hypothèses, la première qu’il s’agit de l’expression pure d’entités collectives repérables, des cultures, et la seconde, radicalement artificialiste, qu’il s’agit de prendre acte d’un processus de construction mis en place par le haut, État ou médias.
On s’appuiera plutôt sur des approches qui situent le football au cœur des valeurs constitutives des sociétés modernes et qui le voient comme une manière de résoudre dans l’imaginaire et de représenter les tensions inhérentes aux sociétés démocratiques, comme une illusion réaliste 1 . Il s’agit, partant de la source anglaise et des modalités de sa diffusion dans le monde, de rappeler les liens qui unissent le développement du football et la constitution des groupes sociaux ou des sociétés nationales, dans un processus de construction réciproque, et qui permet de comprendre à la fois l’universalité de la passion pour le football, mais aussi les différences d’intensité et de signification de celle-ci. À travers des exemples, italiens, argentins, américains notamment, on essaiera de voir en quoi la présence du football dans les différentes sociétés renvoie aux modes de construction des identités collectives et individuelles et aux rapports entre classes sociales, genres, âges ou races, à la part prise par l’État ou par la culture populaire de masse dans ce processus. À travers ces différents exemples, il s’agit de privilégier une approche qui fait du football et de ces cultures autant un travail des sociétés ou des groupes sur eux-mêmes que l’expression pure des caractéristiques de cultures préexistantes ou le résultat d’une machination quand bien même ce serait celle, aveugle, des lois de l’histoire.
Un des modes d’existence du football est d’être, de façon plus ou moins permanente, un problème social, c’est-à-dire un phénomène dont certaines manifestations, voire l’existence même pour certains, apparaissent comme des révélateurs de la nature et de l’état du lien social et sont donc l’occasion d’interrogations dramatiques et d’appels à la mobilisation contre un fléau social. C’est ainsi qu’on se doit d’aborder la question de la violence dans le football, donc celle du hooliganisme : c’est un problème réel (il y a des bagarres entre supporters, il y a des blessés et des morts) qu’on doit essayer de comprendre, mais c’est aussi une forme de dénonciation de certains groupes ou d’une évolution sociale néfaste contre lesquels on appelle à réagir. Le hooliganisme est, de ce point de vue, ce qu’on nomme classiquement un phénomène de panique morale. Considéré souvent comme un aspect du problème des violences urbaines, on verra qu’il en comporte aussi les difficultés quand il s’agit d’en évaluer l’ampleur et la gravité à travers la nature des faits et comportements incriminés. Cette question du hooliganisme, dans ses dimensions objectives et subjectives, constituera donc une autre occasion d’interroger les sociétés à travers les comportements excessifs qu’on y repère et qu’on y dénonce.
Il sera beaucoup question de la Grande-Bretagne dans les premiers chapitres. Plusieurs raisons tiennent à cela. D’abord, parce que le football est une invention anglaise. Ensuite parce que, à travers la question du hooliganisme ou de l’emprise du football sur la société, on a un exemple de passion pour le football inconnu en France. Ce n’est pas le seul, bien sûr : l’Italie, le Brésil ou l’Argentine, l’Afrique en général seraient aussi de bons exemples. Pour l’Italie, Le Match de football 2 de C. Bromberger pourra satisfaire la curiosité des lecteurs ; pour l’Argentine ou le Brésil nous avons synthétisé ici les analyses de quelques-uns des meilleurs auteurs sur ces deux pays. Quant à l’Afrique, malheureusement, il nous manque encore beaucoup d’enquêtes pour pouvoir dire autre chose que des généralités. Mais l’Angleterre, ou la Grande-Bretagne de façon plus générale, est bien connue. Au moment où diverses enquêtes évoquent le rapprochement des comportements et des valeurs entre les sociétés française et britannique, on peut prendre quelque temps pour mesurer ce qui, dans le football, les distingue encore ou les rapproche. La présentation plus approfondie des cas britannique et français permettra de comprendre la place du football dans les deux sociétés. On y opposera une société qui fonde les identités collectives, les classes sociales par exemple, sur un mode culturel (les deux nations de Disraeli) et une autre qui les fonde à partir du registre politique (la lutte pour l’accès à la citoyenneté), donnant ainsi deux cultures du football et accessoirement deux types de supportérisme extrêmes.
L’étude anglaise fera une large part aux relations entre football et politique. On partira pour cela de la question du hooliganisme parce que celle-ci a servi de catalyseur, dans un premier temps en Angleterre, pour engager une transformation en profondeur du football : entrée des clubs en Bourse, dépendance accrue à l’égard des médias, changement dans la composition du public, mise en place de nouveaux systèmes de contrôle des foules. C’est un bon exemple de la manière dont peuvent s’articuler les différents modes de régulation d’un problème social : par la police, par le marché et par l’intervention sociale. Mais on verra aussi, toujours à partir de l’exemple anglais, comment cela traduit ce qu’on pourrait appeler un nouveau procès de civilisation s’appuyant sur les transformations sociales et culturelles récentes de la société anglaise. On pourra apprécier par comparaison en quoi l’organisation de la Coupe du Monde de football en France et la prévision de l’après-compétition s’inscrivent dans d’autres types d’équilibre entre régulation policière, régulation marchande et régulation sociale.
Dans quel contexte le présent ouvrage s’inscrit-t-il. La faible légitimité du sport, comme de toute la culture populaire, a limité le nombre de recherches sur le football. C’est pourquoi je dois remercier l’institut des Hautes Études de la Sécurité