75
pages
Français
Ebooks
2016
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Publié par
Date de parution
20 décembre 2016
Nombre de lectures
1
EAN13
9782363156228
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
20 décembre 2016
Nombre de lectures
1
EAN13
9782363156228
Langue
Français
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1 Mo
Une enfance myope
Roman
Margarita Perea Zaldívar
Iggybook 2016
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières
Chapitre I : Myope
Chapitre II : La confirmation
Chapitre III : La reconnaissance
Chapitre IV : La chasse
Chapitre V : L’ombre furtive
Chapitre VI : La rencontre
Chapitre I
Myope
Elle se regarde dans la glace et, ravie, lève la tête vers sa mère pour partager sa joie. Mais celle-ci, les yeux rougis, échange à voix basse avec l’opticien. Elle semble si triste.
– On ne lui voit presque plus les yeux ! Les verres sont tellement épais !
– Nous n’avons pu faire autrement. C’est qu’elle est très myope…
– Elle était mignonne, sans ça… Je ne comprends pas : elle est la seule dans notre famille. À huit ans !
Ana est désorientée par la peine de sa mère. Comment celle-ci peut-elle être désolée alors qu’elle adore ces lunettes toutes neuves qui pèsent merveilleusement lourd sur son nez ? Comment sa mère ne trouve-t-elle pas magnifiques cette monture ronde, fine, argentée, ces verres bien visibles qui renvoient ses yeux vers d’intrigantes profondeurs ? Elle regarde autour d’elle : le monde est d’une netteté enivrante, captivante, presque fatigante mais le parquet est bombé, il chavire. Elle se lève et pose son pied avec hésitation. L’opticien l’observe et explique :
– Pendant quelques heures, peut-être quelques jours, elle va avoir l’impression que le sol est courbe. Mais le cerveau va rectifier tout ça.
Pour garder de telles lunettes, elle est prête à tout accepter, y compris à oublier que la terre est plane. Elle ne se plaindra de rien. Elle avance prudemment jusqu’au comptoir où sa mère est en train de payer. Quand celle-ci s’apprête à sortir du magasin, elle lui prend la main, doucement, pour la rassurer et pour se laisser guider sur les pavés de la place Tourny qui forment d’inhabituels petits dômes : comment marcher là-dessus ? C’est alors qu’elle entend sa mère s’écrier :
– Vous n’avez pas honte ?
Elle s’est retournée vers un grand homme en imperméable gris clair qui accélère le pas et disparaît au coin de la rue Fondaudège.
– Vous avez vu ?
Les gens se sont arrêtés et discutent. Ana ne comprend pas bien mais ils semblent tous outrés, choqués. Elle entend :
– Un exhibitionniste, avec tout le paquet à l’air !
– Oui, et juste au moment où ma fille étrenne ses lunettes !
– C’est incroyable ! Que voulez-vous : ce sont des malades…
– Mon fils est policier à Castéja : je vais lui signaler.
– Merci Madame ! J’espère que la police l’attrapera… Bonne journée.
Tout au long du cours Clémenceau, Ana flotte. Ce sol incertain lui barbouille l’estomac. Sa mère s’en aperçoit.
– Tu te sens bien ? Tu es pâle…
– Non. Ça va…
Surtout ne rien avouer qui puisse remettre en question le port de ses belles lunettes.
– Ne fixe pas tes pieds : regarde plutôt au loin.
Elle lève les yeux vers les arbres de la place Gambetta. Au bout de quelques pas, son estomac et sa tête cessent de s’embrouiller, les petites sueurs froides de ses tempes régressent. Elle ignore les pavés et peut penser à autre chose.
– Maman, c’est quoi un exibioniste ?
– On dit un exhibitionniste. Un détraqué, un monsieur qui montre à tout le monde ce que l’on ne doit pas montrer en public.
– Il montre un paquet, c’est ça ? Quel paquet ?
– C’est une façon de parler… Tu as bien vu, non ? Il montrait son zizi, il n’avait pas fermé sa braguette.
Ana ne répond pas. Non, elle n’a rien vu, trop occupée qu’elle était à poser ses pieds sur un sol trompeur. Mais elle le sait à présent : à Bordeaux, il y a un exhibitionniste en imperméable gris clair qui peut resurgir n’importe où, à chaque coin de rue. Elle ne pourra plus le rater maintenant qu’elle est au courant et qu’elle y voit si bien. C’est une catastrophe qui s’abat sur elle, une terreur qui vient gâcher un moment de grande joie. Comment vivre tranquille avec ça à présent ?
Sa mère marche trop vite : elle a peur de rater l’heure de la sortie de l’école maternelle où se trouve sa petite sœur. Ana a du mal à suivre. Sa tête tourne encore à cause de toute cette netteté du monde mais aussi parce qu’elle ne cesse de penser à ce type qui a mis les gens en émoi et dont elle n’a vu que le dos. Sans le soutien de la main de sa mère, elle ne pourrait avancer. Elles arrivent essoufflées, juste au moment de la sonnerie de fin d’après-midi. Ana prend conscience qu’elle discerne parfaitement les détails des visages des habituelles mamans qui attendent la sortie, ces femmes qu’elle reconnaissait jusque-là à leur silhouette, leur façon de porter leur corps, leurs vêtements, leur voix. Pourtant, personne ne fait de commentaire, personne ne semble se rendre compte qu’elle n’est plus comme avant, qu’elle a des lunettes et qu’elle voit. Elle est étonnée et déçue car elle espérait des réactions, des compliments peut-être. Sa petite sœur arrive en sautant et la fixe.
– Ta tête est bizarre… Maman, j’en aurai aussi ?
La mère espère bien que non car les lunettes coûtent cher, très cher. Cela conforte Ana dans l’idée que porter des verres est un privilège.
Comme d’habitude, une fois franchie la porte de l’immeuble où elles habitent, il ne faut toucher à rien, ne pas effleurer les murs couverts de crasse, ne pas entrer en contact avec ce milieu incompatible avec leur chair si blanche et si propre. Si l’on rencontre la voisine du rez-de-chaussée qui occupe l’ensemble des pièces de ce niveau et arpente souvent le couloir, la mère dira bonjour, parlera avec elle de la façon la plus polie, mais les filles ne devront poser leurs mains sur rien. C’est que, à ce niveau, la tuberculose rode. Ana sait que le monsieur tousse à cause de cette maladie et pense que si les six enfants de la famille sont maigres et ont les yeux chassieux, c’est aussi pour cette raison. Aujourd’hui, précisément, la voisine est là qui la regarde arriver, les mains sur ses hanches larges enveloppées d’un tablier sombre.
– Ça y est ? Tu as tes lunettes, Ana ?
Et elle se tourne vers la mère, en soupirant :
– Pauvre petite !
Ana ne comprend toujours pas pourquoi elle devrait être malheureuse. Elle préfère ne pas regarder sa mère craignant que celle-ci ne pleure de nouveau sous l’effet de la compassion de la voisine. Elle s’éloigne et attend devant la première marche de l’escalier. Elle essaye juste de ne pas trop respirer l’épouvantable odeur de friture et de saleté mêlées qui provient de la souillarde. Elle attend la fin des échanges qui se font à voix basse avant de suivre sa mère et sa sœur dans l’escalier jusqu’au grenier aménagé en chambre et cuisine, leur appartement, au troisième étage. Sa petite sœur, en montant, lui souffle à l’oreille :
– Tu sais quoi ? J’ai entendu… La voisine et maman, elles ont dit comme ça qu’avec des verres si épais, tu ne pourras jamais te marier.
Mais Ana s’en moque.
– Je m’en fiche puisque je vivrai toujours avec toi ! C’est ce qu’on a dit, non ? Tu as juré aussi…
– Oui. Mais je ne savais pas qu’avec des lunettes on ne pouvait pas se marier.
– C’est même pas vrai : la voisine du premier, elle a des lunettes et un mari aussi. Mais on s’en fiche, nous deux.
Le soir, sa mère vient l’embrasser en se penchant au-dessus du canapé pliant qu’elle partage avec sa sœur.
– Mais Ana, il faut enlever tes lunettes pour dormir ! Tu les poses ici…
Et elle les lui retire pour les laisser sur la table de nuit. Ana ferme les yeux et respire la rassurante odeur des mains maternelles, mélange d’eau de javel et de savon. Elle a un peu mal aux ailes du nez et derrière les oreilles, là où la monture appui sur