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pages
Français
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2020
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Publié par
Date de parution
19 mars 2020
Nombre de lectures
2
EAN13
9782381530093
Langue
Français
J’aurais tellement aimé avoir un papa aimant, tendre et protecteur. Ce fut tout le contraire. Mon père n’était pas un père. Mon quotidien était coups de martinet, privations et fessées. À la maison, la violence était omniprésente. Je vivais dans la peur. Mon adolescence fut mouvementée. J’étais révoltée et je devenais une enfant de plus en plus difficile. J’ai fugué et je bravais les interdits sans réaliser que je mettais ma vie en danger. Les années ont passé, je suis devenue une femme, une mère, une grand-mère et mon père s’est transformé avec la maladie d’Alzheimer en un vieillard tendre et attachant. J’ai passé deux jours fabuleux avec lui l’été 2019, même s’il me demandait pourquoi je l’appelais papa. Deux mois après il mourait. Je pensais l’aimer. Je voulais simplement me persuader que j’avais un papa comme tout le monde. Il ne me manque pas.
Publié par
Date de parution
19 mars 2020
Nombre de lectures
2
EAN13
9782381530093
Langue
Français
Une Enfance Cabossée
La SAS 2C4L — NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu'ils produisent à la demande et pour le compte d'un auteur ou d'un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
Jacqueline Forest
Une Enfance Cabossée
Récit
Prologue
Le 18 novembre 1953 est le jour de ma naissance, une naissance non désirée par mon père. Ma mère a dû préparer mon trousseau en cachette avec l’aide de maman Lulu. Maman Lulu était notre voisine du dessus. À l’époque, mes parents louaient le rez-de-chaussée d’une maison dans la rue Wulfran-Warmé à Aviens. Maman Lulu habitait le premier étage avec son mari et son fils. Elle était notre ange gardien, notre petite fée qui aidait maman dans la dure vie quotidienne que lui menait notre père.
Mon prénom n’a pas été difficile à trouver, la maîtresse du moment de mon père s’appelait Jacqueline, alors ça a été Jacqueline : ma mère n’a pas eu le choix. Flore a trois ans et Paul dix-sept mois lorsque je pointe le bout de mon nez. Maman a vingt-trois ans et déjà trois enfants. Elle en aura un quatrième en 1958. Son mari n’est déjà plus fidèle. Je crois qu’il ne l’a jamais été. On peut être infidèle et être un bon mari et un bon père, mais il était ni l’un ni l’autre. Dur fardeau à porter pour une si jeune femme ! Mais il n’y avait pas que ça, les brimades étaient omniprésentes. Puis vint la violence. La peur s’installait petit à petit puis n’a plus jamais quitté maman. Et, ce fut à notre tour d’avoir peur de notre père, surtout moi.
Cette histoire est celle d’une petite fille qui va grandir, peut-être un peu trop vite. Elle va grandir en étant révoltée, elle va faire des bêtises, des petites comme tous les enfants, mais aussi des grosses qui auraient pu se terminer tragiquement, qui auraient pu lui faire perdre la vie. L’insouciance est là et c’est bien normal pour une enfant de penser que rien ne peut lui arriver. Des quatre enfants, elle sera persuadée de ne pas être aimée comme ses frères et sœurs. Elle aurait pourtant souhaité être mieux aimée. Maman faisait tout ce qu’elle pouvait, elle nous aimait, tous les quatre. Mais elle était tellement préoccupée à nous protéger et à se protéger que Jacqueline ne s’en rendait pas compte. Cette petite fille aura toujours en sa mémoire les mots de sa grand-mère paternelle « Tiens, c’est bizarre, celle-ci ne ressemble pas aux autres !!! ». Tout ça parce qu’elle est un peu plus brune que ses frères et sœurs. Elle a cru pendant des années avoir été adoptée. Puis les mots de son père : Ces sales gosses ! ces résidus de bidet ! C’est comme ça qu’il nous appelait quand nous vivions encore avec lui. C’est fou comme certains mots peuvent faire des ravages et rester gravés dans une mémoire d’enfant, d’adolescente, de femme, de mère et de grand-mère. À l’époque, « résidus de bidet », nous ne savions pas ce que cela voulait dire. Aujourd’hui ce terme me donne presque envie de vomir.
1
Mes plus vieux souvenirs
De la rue Wulfran Warmé, il ne me reste que peu de souvenirs. Cette coccinelle en fer que j’adorais et qui me consolait lors de mes chagrins et ce café de quartier où mon père jouait bien souvent à la belote avec ses copains. De temps en temps nous étions avec lui. Pourquoi ? Ça je ne le sais pas. Mon père n’était pourtant pas du genre à emmener ses ouailles avec lui. Nous étions trois bambins qui restaient là sagement à le regarder sans broncher.
Je me souviens de Yaya, cette dame qu’on ne connaissait pratiquement pas et qui habitait la maison d’à côté. Elle était allemande et parlait fort et disait souvent ya ya et cela nous faisait peur. Nous l’entendions lorsque nous étions dans notre petit jardin, car nos deux maisons étaient mitoyennes. Lorsque nous n’étions pas sages, maman nous menaçait d’appeler Yaya et cela nous calmait. C’était un peu le père Fouettard d’aujourd’hui.
Je me souviens aussi de ces après-midi où nous étions en famille chez des amis de mes parents qui avaient une grande pièce réservée aux trains électriques. Il y avait tout un circuit avec plusieurs trains qui passaient sous des ponts, entre des collines, et qui parfois s’arrêtaient dans une gare en sifflant. C’était magique. C’était beau.
Nous étions silencieux, nos petites têtes suivaient le trajet du train en rêvant. À cette époque, nous n’avions jamais été dans une gare et n’étions jamais montés dans un train. Parfois je m’imaginais dans cette gare à attendre avec une valise, je prenais la place des figurines, je m’évadais en silence sans rien dire à personne, je me racontais des histoires dans ma tête, des histoires qui restaient secrètes. J’étais bien dans ce monde imaginaire. La voix de mon père me faisait sortir de ce rêve merveilleux, il était l’heure de rentrer à la maison :
— Mettez vos chaussures les lardons, nous rentrons.
Ses enfants étaient aussi des lardons. Je n’ai jamais entendu prononcer ce mot par d’autres parents ! Je ne sais pas si c’était un mot gentil. Je ne le saurais jamais. Mes souvenirs dans cette maison s’arrêtent là.
Durant l’année 58, nous avons déménagé. Mon père gagnait bien sa vie. Nous avons donc quitté cette maison où nous nous chauffions au bois, où ma mère faisait la lessive dans une lessiveuse en métal avec maman lulu, notre voisine du dessus qui s’est beaucoup occupée de nous tous. Maman Lulu était un peu une maman qui nous gardait de temps en temps, qui nous chouchoutait aussi. Elle avait caché toute ma layette et mon berceau avant ma naissance, car mon père ne voulait pas entendre parler de moi.
Je saurai une fois adulte que maman a reçu des coups de pied dans le ventre lorsqu’elle a annoncé à mon père qu’elle était enceinte. Il espérait que ses coups déclenchent une fausse couche. J’étais là, bien accrochée, décidée à vivre. Lorsque j’écris ces phrases, je me dis qu’il faut être un monstre pour faire ça et je me ressaisis, car là je parle de mon père. Comment comprendre que je puisse l’aimer ? Je ne lui pardonne pas d’avoir autant fait souffrir ma mère. Je lui pardonne mes souffrances, car c’est mon père. C’est ma famille. Je l’aime malgré tout ce que j’ai vécu à cause de lui ou grâce à lui .
Maman, ma tante et maman Lulu m’ont dit beaucoup de choses lorsque j’étais une femme. Je n’en dévoilerai que très peu, car ce n’est pas joli joli. Je les garde enfouies dans ma mémoire par respect pour maman qui a été tellement maltraitée et aussi par respect pour mon père qui est, à l’heure où j’écris ces lignes, toujours en vie et tellement diminué. Il sait qu’il a été un mauvais père, une fois il me l’a dit. On ne peut pas revenir en arrière, alors j’essaie d’oublier, mais c’est difficile. Toutes ces choses m’ont bouleversée et ont accentué ma peine lorsque maman était en fin de vie, car je trouvais injuste qu’elle soit en train de mourir et que mon père soit encore en vie. Ma maman aura souffert une longue partie de sa vie et cela me hante encore aujourd’hui.
Ma mère avait peur de mon père, nous aussi d’ailleurs ! Nous le craignions tous beaucoup…
2
De jolies fleurs pour maman
Nous avons donc déménagé. Mes parents avaient fait construire un joli pavillon dans un lotissement à la sortie d’Aviens. Nous étions presque à la campagne. Derrière ce lotissement il y avait la ferme où mon frère et moi allions jouer bien souvent et puis c’était les champs, les champs à perte de vue. C’est là que tous mes souvenirs reviennent.
Je dois avoir six ou sept ans. Nous vivons tous dans cette jolie maison : mes parents, ma sœur Flore, mon frère Paul et moi. Et ensuite est arrivé Raoul, le petit dernier. Je ne me souviens pas de sa naissance, ni de ses premières années : mais je me souviens que c’était moi qui le déposais à l’école maternelle : j’en étais d’ailleurs très fière. L’hiver, ma mère lui mettait un foulard jaune tricoté main, je l’appelais mon petit poussin. J’étais sa grande sœur et je veillais sur lui. La rue Saint-Fuscien était située dans un quartier résidentiel de dix maisons à la sortie de la ville. De jeunes parents venaient de faire construire, il y avait beaucoup d’enfants de mon âge.
Tous les jours, nous partions le matin tous ensemble pour aller à l’école, il y avait bien vingt minutes de marche, ce trajet, nous le faisions quatre fois par jour, la cantine n’existait pas. Sur le chemin, il y avait l’épicerie, bar. Lorsqu’on avait eu une pièce lors d’un anniversaire ou après une visite chez nos grands-parents, nous nous arrêtions pour y acheter ces fameux chewing-gums gagnants à un centime dont nous parle si bien Renaud dans sa chanson. Il y avait aussi des rouleaux de zan avec au milieu un bonbon rouge ou bleu et les boules de noix de coco emballées individuellement. Il y en avait des jaunes, des blanches, des roses et des oranges.
J’hésitais longtemps avant de me décider et une fois que j’avais fait mon choix, je ressortais de cette épicerie avec mon trésor que je partageais avec mes frères et mes copains qui étaient agglutinés autour de moi, vérifiant l’équité du partage. J’étais gourmande, et pour moi c’était un vrai bonheur. Nous nous pressions d’avaler ces bonbons avant d’arriver à l’école, car il était interdit de manger des bonbons pendant la classe.
En arrivant à l’école, je déposais Raoul à la maternelle, puis nous, les grands, nous nous séparions pour rejoindre nos copains de classe et chacun rentrait dans sa classe. Ma maîtresse était la directrice de l’école et ma classe comprenait trois niveaux différents. Chaque groupe travaillait en silence. À cette époque, la maîtresse était respectée et crainte.
Lorsque la cloche sonnait, nous nous mettions tous en rang deux par deux sans bruit et l’on attendait le signal de l