284
pages
Français
Ebooks
2019
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
284
pages
Français
Ebooks
2019
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Publié par
Date de parution
02 septembre 2019
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342167627
Langue
Français
« Malgré les attaques répétées, les assauts violents pour me rejeter, pour me détruire, pour balayer l'éphémère, je ne me suis pas laissée démolir, démanteler, je ne me suis pas laissée « couler, évacuer » dans les toilettes. Je revendique le droit de naître. » L'autrice raconte comment elle s'est émancipée du carcan familial et en particulier de sa mère qui, enceinte trop jeune et trop seule, lui refuse son amour. Sa vie durant, l'enfant non désirée et gauchère endure la souffrance d'avoir été marginalisée et livrée à elle-même. Elle se remémore aussi le traumatisme du déracinement, lorsqu'elle doit quitter l'Algérie, sa terre natale. Malgré bien des obstacles, la jeune femme se raccroche à l'affection sans bornes de ses grands-parents et à sa foi pour trouver l'énergie de surmonter son mal-être. Elle prend sa revanche sur la vie pour s'élancer vers un destin plus heureux.
Publié par
Date de parution
02 septembre 2019
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342167627
Langue
Français
Tu portes malheur
Lesly Rosenberg
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Tu portes malheur
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
Chapitre premier « Programmée pour vivre »
« La solitude et le sentiment d’être indésirable
sont la pauvreté la plus terrible. »
Mère Teresa 1
Avant de me sentir bouger et vivre en ELLE, avant même de savoir qui je suis, avant de me voir, de me tenir dans ses bras et d’essayer de m’aimer, déjà ELLE me rejette et veut me détruire.
ELLE désire ardemment m’engloutir comme un navire emporté par les flots tumultueux que l’on ne voit plus quelques instants après la bourrasque de vents violents.
ELLE veut me faire disparaître comme la dernière petite bulle d’air qui, après les puissants tourbillons du naufrage causé par la tempête, vient s’évanouir à la surface de l’immense étendue liquide.
Vers quel port navigue-t-il ? Rien n’évoque sa destinée ou l’importance de ce voyage, de son existence ou de sa non-existence. Tout est tranquille, tout est calme, tout cesse d’être à la vue.
Le souvenir de ce navire qui vogue sur l’océan de ma vie et dont le voyage s’avère impossible, difficile et dangereux, réveille mes interrogations et mon amertume. Ma salive devient fiel et se répand en moi.
Mes souffrances jaillissent jusqu’à me faire chanceler.
Mon destin est semblable à cette embarcation qui coule, à un bâtiment que l’on oublie car rien ne rappelle qu’il était là. Aucune image, aucun sursaut d’une présence, pas la moindre vaguelette qui frétille, rien ne trouble ce silence angoissant, rien ne nous atteint car rien ne marque son emplacement.
Rien n’évoque l’importance de sa destinée ou la place qu’il occupait durant son existence. Tout est tranquille, tout est calme, on finit par oublier même son souvenir.
Je manque d’assurance, de confiance en moi. Ma vie sera calquée sur ce navire en perdition. Ce voyage m’angoisse et m’inquiète, car il laissera dans ma conscience et dans mon cœur l’empreinte indélébile d’une souffrance récurrente.
Et ELLE, cherchera-t-elle à effacer de sa conscience le sacrifice de cette vie qu’elle s’apprête à détruire ?
Ce naufrage sera-t-il un geste infondé et illégitime de cette femme porteuse d’une entité soudée dans son corps de mère ? Subsistera-t-il de cet acte un désespoir, l’abnégation de cette chose vivante dans son sein, qui n’y sera plus ?
ELLE, cette mère, c’est ainsi que je la nomme dans mes souvenirs. Rien, ELLE ne veut rien de cette chose, mais je suis là.
Tous les jours de ma vie lui rappelleront qu’elle-même fut abandonnée. ELLE ne cessera de voir au travers de moi celui qui l’a rejetée. ELLE est seule avec son secret et sa honte.
Rien, plus rien, c’est son but, son obsession. M’effacer de sa mémoire, me faire disparaître de son corps, m’empêcher de prendre ma place dans son cœur.
Touché-coulé ! Il ne reste rien ! Plus rien…
Non je ne suis pas rien, je suis un être, un bébé, ton bébé, maman. Je ne suis pas un « rien du tout », car « tout », c’est nous, c’est toi et moi, maman, en totalité.
Toi et moi c’est l’absolu, le contraire de rien. Rejeter « tout » mais pas ton bébé. Maman, je veux vivre et t’aimer !
Malgré les attaques répétées, les assauts violents pour me rejeter, pour me détruire, pour balayer l’éphémère, je ne me suis pas laissé démolir, démanteler, je ne me suis pas laissé évacuer par les toilettes. Je revendique le droit de naître.
Non, quel que soit ton objectif, quelle que soit ta volonté, je suis bien accrochée. Je veux vivre et grandir près de toi et prendre ma place, ne pas être rayée du monde. Je veux te connaître, apprendre à t’aimer, ne pas tomber dans l’oubli.
Maman, ne m’arrache pas de ton cœur, ne m’efface pas de ta mémoire.
Je veux exister, être présente malgré ELLE. Rester ancrée dans son cœur, qu’elle le veuille ou non. Ne le ferme pas à tout jamais.
Je suis collée, rivée à ta peau, nous formons deux âmes, même s’il est difficile d’y trouver ma place.
Ma vie ? Que sera-t-elle, ma vie, en l’absence de l’amour d’une mère ? Remplie de riens. Ne pas être aimée n’est pas ma faute.
Pourquoi ce vide, cette absence d’amour dans l’obscurité de ce perpétuel questionnement, pourquoi ? Pourquoi ne m’aimes-tu pas ?
Tu ne répondras jamais à ma question, à mon pourquoi, sinon que par des mensonges, de l’indifférence et du mépris.
Je suis envahie par les doutes, trop de manques. Le puzzle de ma vie ne sera jamais complet.
Les carences de mes faibles débuts sont gravées en moi ; elles marqueront ma mémoire jusqu’à ce jour. Ma conscience à peine née, c’est déjà « le rien ». Mais je suis là, il faudra que je fasse avec.
Ne suis-je vraiment « rien » ? Ton cœur est vide d’affection, tu m’as toujours ressassé : « Tu ne vaux rien, tu n’es qu’une moins que rien. »
Derrière moi, le rien, devant, mon destin de « rien », sont tatoués pour toujours dans mon esprit et dans mon âme.
Mon combat commença quand je n’étais encore qu’une presque rien. Mais j’étais là, tout juste un petit rien microscopique. Je m’attachais à cette vie. Je ne veux pas m’en aller, je ne veux pas disparaître. Va-t-elle me retenir ?
Je suis greffée dans son corps pour quelques mois encore.
Va-t-ELLE « oublier », sur les marches d’une vieille église, cette regrettable « chose », ce truc encombrant, gênant, abandonné par l’un, pas souhaité par l’autre. Ma vie entière lui rappellera-t-elle une faute, un fol amour sans lendemain, sans espoir ?
Certes, maman, tu es si jeune, pas encore 19 ans. Tu viens de subir l’abandon. J’essaie de comprendre les raisons qui t’ont poussée à vouloir faire disparaître de ton ventre ce bébé avant de le connaître. Comment assurer l’avenir d’un enfant dans les lendemains incertains de l’après-guerre ?
Aujourd’hui, je sais que je représentais un fardeau qu’il fallait assumer. J’essaie d’imaginer ton désarroi pour en arriver à ce point du rejet de ce fruit amer que tu portes en toi.
Seule, tu te retrouves seule et ta vie est désormais compliquée pour deux. Sans amour pour toi, sans papa pour ton enfant.
Dans un pays ravagé, en ruines et faible économiquement entre les deux grandes guerres, tu nais dans les privations qui touchent de très nombreuses familles endeuillées.
Sans travail, pas de ressources, sans appuis, sans bras forts pour prendre soin de toi et des tiens. Seulement les carences de la restriction et les manques au quotidien.
Dans cette misère tout te manquait jusqu’à l’absence d’un père, d’un époux afin de pourvoir au strict nécessaire journalier.
Pénalisée par ces causes, il te faut trouver l’essentiel pour subvenir aux besoins d’un enfant à charge.
Comment, toi-même vivre et survivre dans une situation semblable, si hasardeuse ?
Vois-tu maman, je te trouve mille excuses pour ton manque d’affection, mille raisons pour l’absence de l’amour dans ma vie. Je comprends ton chagrin causé par celui qui t’a laissée, qui nous a abandonnés.
Je ne sombrerai pas dans la haine, ni dans la colère envers toi, car je suis convaincue que :
« Aimer ce n’est pas juger, et je ne te juge pas maman ! »
« Aimer ce n’est pas critiquer, et je ne te critique pas maman ! »
« Aimer ce n’est pas condamner, et je ne te condamne pas maman ! »
Comme l’écrit Voltaire 2 : « Qu’on appelle la raison et les remords comme on voudra, ils existent et ils sont les fondements de la loi naturelle. »
Je reste certaine qu’aimer, c’est être capable de pardonner.
Je suis là, la naufragée de l’amour. Je vais apprendre, seule, à nager dans l’océan de ma vie.
Petit greffon, fragile fœtus, frêle bébé, petit rien, ma vie risque fort d’être précaire et instable sans liens affectifs, sans amour.
Je sais que la vie ne me fera pas de cadeaux, je ne dois compter que sur moi-même, pas sur tes remords ou tes regrets, si jamais un jour tu en exprimais le besoin pour libérer ton âme.
Pour le moment, je veux vivre. Oui, c’est cela, je veux vivre.
Très tôt, je sens au fond de moi une résistance, une envie de surmonter les difficultés, les épreuves, de gravir et d’aller plus haut, de m’élever encore et encore.
Je dis à mon destin : « Non, je ne te laisserai pas le dernier mot. Je vais continuer à me battre pour mes lendemains incertains mais réels. »
On va voir ce que l’on va voir, moi, la coupable et responsable d’avoir survécu, moi l’immigrée de l’amour.
Dieu, qu’il est difficile de se libérer de son passé !
Je suis accomplie, je suis achevée. Je ne rêve pas, je suis née.
Cette lutte, ce combat déchaîné, agressif et enragé pour sauver ma vie, s’achève enfin. J’ai gagné.
Je prends mon souffle parce que mon entêtement et ma volonté de vivre sont là. C’est cela ma force.
Formé dans son sein, mon corps a résisté. Même si, derrière moi, c’est bien le néant, je ne veux pas être « rien ».
Que faire d’autre avec cet enfant ? Cette bâtarde ? C’est ainsi que l’on nommait les enfants naturels nés hors mariage. Nés sans père, qui viennent « on ne sait d’où », « sortis de la cuisse gauche » et qui ne devraient pas être là. On n’en a rien à faire !
Je l’ai dit : « rien », toujours rien. Jusqu’à aujourd’hui, c’est encore l’absence, l’absence de tout.
Il n’y a rien derrière ma vie, ni devant, aucun refuge, aucune force, aucun amour pour assurer mon avenir.