274
pages
Français
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2013
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Ma vie…
Paul Gorget
Ma vie…
De 1939 à 2012
LES ÉDITIONS DU NET 22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
« L’homme est vieux lorsqu’il n’a plus de projet »
L’Abbé Pierre
« Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie,
Mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années »
John Fitzgerald Kennedy
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-00870-7
Chapitre 1
M A TENDRE ENFANCE , PÉRIODE DE SURVIE
Si l’univers représente une grande ligne de vie depuis son origine, la vie de chacun est un petit point sur cette ligne. L’origine de ce point est notre naissance, pourquoi je suis né au printemps le 29 mars 1939 ? Pourquoi moi ? Quand je pense à mes petits frères ou mes petites sœurs qui n’ont pas franchi la dernière barrière pour la vie, quelle chance j’ai eue ! …
Ma vie va débuter à la campagne, petite ferme de cinq ha, village de soixante-quinze habitants, commune de quatre cents habitants, tout se passait bien mais lorsque j’ai eu six mois, il est arrivé une catastrophe, en septembre de cette année 1939 la guerre. Je ne me souviens pas du départ de mon père à cette guerre qui comme toutes les guerres se terminent pour certains avec un non-retour et son cortège de misère, de larmes et de souffrances. Cette guerre sera pour moi une source de questions.
La position géographique de notre petite ferme se trouvait dangereusement dans un triangle névralgique du département de la Sarthe un petit village qui s’appelle L’Habit de la commune de Domfront En Champagne, dans le canton de Conlie (une surface de dix-huit km²) et au beau milieu le passage à niveau (ligne Paris-Brest-Quimper) à cent mètres de ma maison, qui sera bientôt l’origine de mes souvenirs.
Cette période reposait sur une organisation de femmes, des anciens de la guerre 1914/1918 âgés de plus de cinquante ans, souvent des ex-blessés, les jeunes de douze à seize ans participeront très vite, par le travail, à cette œuvre de survie.
Mon univers familial était simple : ma mère vingt-deux ans, ma grand’mère cinquante ans veuve à l’âge de trente-six ans ; mon grand-père était décédé en 1919 il avait été gazé à Verdun. Ma grand’mère va être pour moi un être formidable, elle était une maîtresse femme. Elle devint l’exploitante des cinq hectares de terre ; ma mère sera chargée de la maison, des repas et des courses, moi j’étais chargé de vivre et de me faire tout petit sous les bruits des avions qui bombardaient Le Mans distant de quinze km de notre ferme, la ligne de chemin de fer Paris-Rennes et surtout le passage à niveau distant de cent mètres de notre habitation.
La ferme était un bâtiment d’un seul bloc. L’habitation : une cuisine avec cheminée, une cave dont la descente s’amorçait au fond d’un couloir, deux chambres. Au fond d’une des chambres il existait une porte pour accéder à l’étable-écurie. Cette porte l’hiver était ouverte et la chaleur des animaux servait au chauffage central. À l’extérieur, la cabane du cochon, les clapiers à lapin et la basse-cour pour les poules et les canards. Les animaux… ces bêtes avaient une importance pour nous trois et je savais que ma mère était plus inquiète lorsque une vache était malade que pour moi, à cause de l’époque à laquelle nous vivions. Il y avait trois vaches, un mulet, un cochon, des lapins, des poules, des canards et un chat pour les rats et les souris. Un grand jardin qui devait alimenter nos trois bouches en nourriture, il fallait limiter les achats au sel, poivre, pain, café, sucre. Attention c’était l’époque des tickets, l’argent existait peu, pas de salaire, pas d’allocations familiales, pas de sécurité sociale… c’était la débrouille.
Les anciens de 1914/1918 nous apprenaient la valeur des choses de la campagne : le profit résultant des animaux et des plantes. Les vaches donnaient le lait et les veaux, le lait donnait la crème, la crème le beurre et on fabriquait, avec le lait, du fromage. Le petit lait qui reste après la crème servait pour la nourriture du cochon. Le cochon mange tous les déchets (il n’y avait pas de ramassage des ordures), il fallait que cet « Auguste » (son surnom) arrive à 120 kg. Les poules et les canards font des petits et pondent des œufs. Les œufs peuvent être mangés de différentes façons, être vendus ou échangés. Le mulet avait presque la force d’un cheval et il était un peu le chef des animaux, lui il ne risquait rien, on avait besoin de sa force pour les travaux aux champs, il s’appelait « Juliot ». Le jardin était le garde-manger, ma grand’mère connaissait tout de la nature, les graines, les semailles, les récoltes, les conserves des produits, elle était très attentionnée à la lune, elle prévoyait le temps quarante-huit heures à l’avance. Le cochon nous fournissait la viande pour nous. Il y avait une fraternité dans le village. L’histoire du cochon constitue la preuve que l’être humain est formidable quand il le veut. Dans le village, il y avait neuf fermes et cinq habitations avec des personnes de plus de soixante-dix ans. L’organisation était la suivante : neuf fermes = neuf cochons, on prévoyait de tuer un cochon par mois, du début septembre jusqu’au début mai. Il n’y avait pas de réfrigérateur, ni de congélateur, le seul moyen de conserver la viande était le fumage des jambons dans la cheminée, le salage pour le lard, les rillettes. Le surplus était partagé entre les quatorze habitations. Les cinq qui n’avaient pas de cochon échangeaient avec un autre produit. Ce système permettait à chacun de manger un peu de viande chaque mois et avec les poules, les lapins, les gens vivaient.
Les commodités étaient réduites, il y avait six maisons (trois fermes + trois maisons) côté droit du passage à niveau cent vingt-quatre. Ces six habitations n’avaient pas l’électricité donc pas de lumière ; on utilisait des bougies et des lanternes à pétrole, pour s’occuper des bêtes. Il n’y avait aucune machine pour moudre le café, on écrasait les pommes de terre à la fourchette pour faire de la purée. PAS D’EAU, l’eau était dans le puits (trente-six mètres de profondeur). Heureusement la distance de l’entrée de la ferme était à dix mètres. C’était le travail de ma grand’mère. Je devine la fatigue jusqu’au puits pour donner à boire aux animaux. L’eau pour nous, c’était un peu la toilette, la cuisine, la lessive et l’arrosage du jardin. Pas de WC, même pas la cabane au fond du jardin ; c’était un seau dans l’étable. On passait de la chambre à l’étable. Les produits de la nuit partaient avec le fumier des animaux sur la fourme qui servait au printemps dans les champs pour améliorer les récoltes car les engrais n’existaient pas.
Les communications étaient nulles, pas de radio, pas de journaux, pas de vélo, pas de voiture, pas de téléphone. Les seules informations étaient données le dimanche au prêche de la messe par le curé Beunèche qui avait une jambe de bois. C’était un ancien combattant de 1914/1918. Il essayait de tarir les larmes de toutes ces jeunes femmes en leur expliquant que Dieu était là.
Heureusement, il restait dans ce petit village des anciens combattants de 1914. Il y en avait un côté droit du passage à niveau qui était devenu un peu le chef, et deux du côté gauche, l’un de ces derniers possédait une voiture. C’était aux yeux de tous le « riche du village ». Le deuxième avait une grande ferme avec huit chevaux et ses quatre filles étaient devenues « charretiers » pour conduire les attelages et cultiver.
Le responsable du côté droit avait trouvé et aménagé un abri dans un fossé, à trois cents mètres de notre habitation. Le fossé était creux mais les bords étaient solides. Il avait couvert le fossé sur dix mètres avec deux rangées de traverses. Dans ce lieu, il avait caché une pelle et une pioche pour le cas où il faudrait évacuer un enfouissement suite à l’éclatement d’une bombe. À l’entrée, pour masquer l’abri depuis la route, il avait mis des branches de bois morts et des épines. Cet abri de fortune est un de mes premiers souvenirs, que je situe en juin 1944 ; j’avais cinq ans. Cette journée avait dû passer comme les autres ma