112
pages
Français
Ebooks
2019
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2019
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Publié par
Date de parution
22 novembre 2019
Nombre de lectures
2
EAN13
9782379791017
Langue
Français
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Date de parution
22 novembre 2019
Nombre de lectures
2
EAN13
9782379791017
Langue
Français
LE RADIS DE LA MEDUSE
Laurent Hoffman
2019
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
En Vert et Damnation
Le paillis luisait. Le ciel était bas. Entre les deux se déroulait une scène formidable : une botte d’endives se pressait dans ce carré de jardin, une botte compacte d’où s’échappaient des substances volatiles qui, en s’entremêlant, conféraient à l’aube une subtile fragrance.
Le potager paraissait en jachère. Toutes les endives étaient entassées sur un bout de toile qu’un timide rayon de soleil faisait scintiller. Car c’était un jour grandiose, pour les endives, une occasion qu’elles n’auraient ratée pour rien au monde.
Toutes, sans exception, étaient sorties de terre et s’étaient hâtées sur leur grosse racine. Elles se pressaient maintenant les unes contre les autres, suant, criant, s’amalgamant aux centaines de champignons de Paris amoncelés des deux côtés d’un piédestal de pommes de terre de trente fanes de long.
Laquelle, en effet, aurait voulu –aurait osé- manquer à l’appel quand Tony, le navet, allait se greffer à Sandy, la fille du potiron !
Décidément, le service d’ordre avait bien du mal à laisser dégagée l’aire centrale où les promis devaient partager le scotch. Ces derniers viendraient-ils en brouette ? en sceau ? en panier ? Chacune y allait de sa conjecture en trépignant d’impatience.
Quand le potiron se jucha sur le piédestal, la robe pustuleuse, la vrille enchevêtrée, il y eut une forte émission d’éthylène et plusieurs endives se roulèrent dans les excréments de vers de terre.
Mais voici que le sol tremble. Les endives reculent en gémissant. Tony fait son entrée en majesté.
Ce navet est tout ce qu’il y a de plus remarquable. La teinte incarnat est peu répandue sur sa circonférence. Il est très pâle, et en même temps, il a quelque chose du radis noir.
Son arrivée déclencha une pluie de gouttes de rosée (ceci étant, de la part des endives, une invitation des moins équivoques). Plus d’un bourgeon apical se développa au cri de : « Tony ! ».
Pendant ce temps, la touffe des eucaryotes réclamait le porte-greffe, celui qui faisait fantasmer tous les champignons de Paris.
« Sandy ! Sandy ! Sandy ! »
Son nom résonnait, martelé par les stipes, scandé par le mycélium, repris sans trêve comme une incantation cosmique.
Et ainsi, les deux noms psalmodiés métissaient leurs consonances, anticipant dans le monde de la chimie ce qui allait se produire dans celui des fruits et des légumes.
C’est dans cette ambiance survoltée qu’une tortue s’avança, fendant la multitude jusqu’à l’aire centrale. L’instant d’après, dans le silence succédant au raffut, un être de féerie dégringola de sa carapace : c’était Sandy, le citron, ovale parfait avec un petit renflement en haut et en bas.
Sa peau est à l’épreuve des limaces. Sa robe solaire embrase tout ce qui l’entoure. C’était bien là la fille du potiron ! Tous les champignons se pressaient pour s’en rapprocher et le service d’ordre peinait à contenir ce raz-de-potager.
Alors retentirent les hymnes des endives auxquels se joignirent les champignons de Paris, bramants et beuglants, ainsi que la voix sirupeuse du potiron. Le soleil dissipait les nuages et tous se sentaient la fibre en joie.
Tony conduisit Sandy jusqu’à la première marche du piédestal de pommes de terre.
Le potiron prit la parole :
« Endives, endives, et vous, chers champignons… un peu de silence, je vous prie. Un peu de silence. J’ai dit : UN PEU DE SILEEEEEEEENCE ! hum, hum. Nous sommes ici pour… enfin, je pensais, au départ… chut… Si on m’avait dit, il y a deux lunes, que… taisez-vous s’il vous plaît… C’est un grand jour que celui où… Mais taisez-vous donc ! Vous voulez peut-être célébrer la greffe à ma place ? Non ? Parfait. En ce cas… Nous sommes ici, disais-je, parce que… Par la sève gelée, où en étais-je ? Ha oui ! Vous n’êtes pas sans ignorer… enfin, je n’insinue pas que ce serait blâmable si c’était le cas… Non, mais écoutez-moi. Célébrer une greffe, et qui plus est, celle de ma fille –mais au fait, où est-elle passée, celle-là ? Attendez, ne me dites pas que vous ignorez où se trouve le porte-greffe ! Ha ! Le voilà : à la bonne heure ! Nous pouvons commencer. Hum hum. Qui eût cru, la première fois, que sans déroger à la règle qui veut que, comme tous les cucurbit… »
« POTIRON ! LES POIREAUX VIENNENT D’ ATTAQUER SOUS LA BACHE AUX SEMIS ! ILS ONT EMPORTE TOUT LE CROTTIN DE CHEVAL ! »
L’endive qui venait de parler s’écroula subitement. Ses feuilles s’écartèrent, révélant de nombreuses traces de bouilli. Elle était morte. Telle un funeste Marathon, elle n’avait trouvé que la force d’apporter la nouvelle de la défaite à laquelle elle avait assistée, impuissante.
Aussitôt, la déploration commença.
Les endives s’effeuillaient, les champignons peluchaient. Le potiron était abasourdi. Tous comptaient en effet sur le crottin de cheval pour prospérer, rigoler, le partager, l’offrir, en un mot : se le farcir en compote. Là, c’était carrément la cata.
Seuls, les futurs greffés demeuraient imperturbables, blottis l’un contre l’autre.
« Hum, hum ! émit le potiron, gagné par le désespoir. Un peu de silence, je vous prie ! L’heure est grave ! Nous sommes bons pour le compost ! Sans crottin de cheval, c’est la déchéance ! Nous allons perdre notre lustre, racornir, flétrir, et ce sera la fin ! Autant nous livrer tout de suite aux lombrics !
– Mais non, répondirent les endives, y a qu’à buter tous les poireaux. C’est un cas de force majeure. Envoyons-leur les sauterelles !
– Avez-vous perdu la pointe ?, répliqua le potiron. Comptez-vous pour offensive une arme réservée exclusivement à la dissuasion ?
– La dissuasion suppose la possibilité d’une attaque !, répondirent les endives. Il faut rentrer dans le chou des poireaux ou nous perdrons tout crédit dans le potager.
– Je refuse de lâcher la moindre sauterelle qui, selon le vent, se rabattrait tout aussi bien sur nous !, couina le potiron.
– Très bien, trancha une endive charpentée comme un artichaut. Dans ce cas, on va monter une expédition et reprendre le crottin de cheval aux poireaux !
– Ha ? Euh… Vous êtes sûr ? C’est dangereux…, gémit le potiron.
– Terminons cette greffe et partons sur le champ! », insista l’endive charismatique qui s’appelait Mathilde et s’était fait remarquer en triomphant d’un puceron, deux jours auparavant.
Après quelques tergiversations, le potiron n’eût d’autre choix que de se ranger à cette proposition qui recueillait l’assentiment général. Bien-entendu, celle-ci ne concernait en rien les champignons de Paris, réputés pusillanimes, ni les pommes de terre, qui, en dehors de constituer des piédestals, n’étaient pas aptes à grand’chose.
« En ces circonstances pénibles, prononça le potiron d’une voix lugubre, venons-en tout de suite au fait. Sandy, veux-tu te greffer avec ce nav…
– UN INSTANT ! l’interrompit une voix nasillarde. CETTE GREFFE EST BLASPHEMATOIRE ! LE JOUR N’EST PAS VENU OU IL SE GREFFERA A MA FILLE, CELUI QUI L’A VOLEE !
Et sur l’aire laissée libre par la botte pétrifiée s’avança, brinquebalant, un concombre contrefait qui avait déjoué la surveillance du service d’ordre. Son péricarpe traînait derrière lui. Il vociférait à grand renfort de kairomones et ce qu’il avait à dire était de nature à givrer n’importe quel citron.
LEGUMACHIE
Le paillis luisait de plus en plus à la lueur des premiers rayons de soleil. Le concombre avançait en direction de Sandy, menaçant.
« Ne t’ai-je pas enrichie de mon engrais ? lui cria-t-il en accentuant sa sémiochimie pour que tout le monde entende. Quand tu croissais dans ton arbre, n’ai-je pas conservé l’humidité à ses racines ? Et quand tu es tombée à terre, n’ai-je pas détourné sur moi l’oïdium, la pourriture grise, les pucerons ? Mes feuilles ne t’ont-elles pas préservée du soleil ? Et quand tu avais peur, la nuit, je te chantais une chanson ! Mais maintenant qu’on t’offre un greffon, tout ça, tu l’oublies facilement. C’est le moindre de tes pépins. Cela t’est bien égal que je me retrouve tout seul, à demi-épluché, dans une cagette sordide dans laquelle les concombres ne se connaissent même pas et ne se disent même pas bonjour ! Mais tu n’es pas assez mûre pour pouvoir m’abandonner impuné