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pages
Français
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2022
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Publié par
Date de parution
09 décembre 2022
Nombre de lectures
0
EAN13
9782361835170
Langue
Français
Paris, 1900.
Marie-Antoinette est une petite arnaqueuse des Halles, évadée d’un orphelinat sordide, réfugiée dans un ancien bouge de la rue du Poil-au-Con. Mais elle n’est pas miséreuse, bien au contraire, et elle a l’intention de saisir le train de l’Exposition Universelle pour se faire une place dans le monde du XXe siècle.
Alors, elle ose tout !
Méliès, Eiffel, Edison : derrière chaque grand homme, il y a un cave à arnaquer !
Depuis 2014, Jean-Philippe Depotte réalise et produit une chaîne YouTube dédiée à l’analyse littéraire, l’Alchimie d’un roman. Il est également auteur de jeux vidéos et de romans (Les Démons de Paris, Les Jours étranges de Nostradamus, Le Crâne parfait de Lucien Bel et Le Chemin des Dieux, chez Denoël et Folio).
Il fait maintenant son grand retour, avec des polars fantastiques sur fond d'Exposition Universelle 1900. Esprits japonais, fantômes français, gouaille parisienne et enquêtes !
Publié par
Date de parution
09 décembre 2022
Nombre de lectures
0
EAN13
9782361835170
Langue
Français
Les fantômes du nouveau siècle
Première fantôme - La Soupe aux arlequins
Jean-Philippe Depotte
un livre du label Les Saisons de l'étrange
© 2018 Les Moutons électriques
Couverture par Melchior Ascaride
L’étrange histoire
Paris, 1900. Marie-Antoinette est une petite arnaqueuse des Halles, évadée d’un orphelinat sordide, réfugiée dans un ancien bouge de la rue du Poil-au-Con. Mais elle n’est pas miséreuse, bien au contraire, et elle a l’intention de saisir le train de l’Exposition Universelle pour se faire une place dans le monde du XXe siècle. Alors, elle ose tout ! Méliès, Eiffel, Edison : derrière chaque grand homme, il y a un cave à arnaquer !
Mais elle bute sur un curieux personnage : Sekigawa sensei, débarqué dans les bagages de la délégation japonaise. Un bourgeois prétentieux – les mêmes que chez nous ! – dont elle devient la femme de chambre. Mais un homme sombre et mystérieux, aussi, et qui cache quatre fantômes dans quatre urnes de porcelaine.
Que recherche cet étranger si loin de la cour de son Empereur ? Et qui sont ces morts éveillés que Marie-Antoinette peut voir et toucher comme s’ils étaient vivants ?
Esprits japonais, fantômes français, gouaille parisienne et enquêtes policières !
Jean-Philippe Depotte est notamment l’auteur des Démons de Paris et des Jours étranges de Nostradamus (prix Masterton 2012). Depuis 2014, il réalise et produit une chaîne YouTube dédiée à l’analyse littéraire, « L’Alchimie d’un roman».
Ils en parlent
Ah, l’exposition universelle et ses passerelles mortelles... Je me souviens encore de ce quidam criant « ça craque ». Quelle ambiance ! (Le Maître de l’étrange)
Si Marie-Antoinette vivait encore, il ne resterait plus un yurei et je n’aurais jamais fait carrière. (S. Yamamura, hanteuse de VHS) Un modèle.
Ce fut la première d’entre-nous. (Deux frères accoudés à une Impala, une bière à la main)
Marie-Antoinette mérite une place d’honneur dans l’équipe. (R. Stantz, Casseur de Fantômes)
Prologue
« Je me disais… En fin de compte, vous avez de la chance.
— …
— Ça peut sonner bizarre, vu la situation. Mais ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui, en ce moment précis, vous devez vous sentir… heureux ? Heureux d’en avoir terminé, en tout cas. Le plaisir du devoir accompli, comme on dit par chez nous. Parce qu’au bout du compte, il n’y a que cela, n’est-ce pas ?
— Non.
— Non quoi ? Vous n’êtes pas heureux ?
— Non. Il n’y a pas que cela, mademoiselle. »
« Je me souviens du jour de mon départ. C’était au tournant de l’année, au tournant du siècle. C’était le 12 janvier, très exactement. Le 12 janvier 1900. Et je me souviens ce que je pensais alors que ma voiture avançait dans les rues silencieuses de Yokohama. Je savais qu’après ces maisons, je découvrirais la mer, infinie, fuyant le soleil levant jusqu’à l’horizon noir qui m’attendait. Et je pensais que, décidément, la vie d’un homme ne pèse pas grand-chose. Seule importe la vie des idées. Les faits surviennent, les évènements se produisent, et puis l’instant d’après ils n’existent plus. Mais l’idée qui en reste, elle, est immortelle. L’idée qu’on se passe d’une âme à l’autre avec une telle légèreté. Juste un mot, un geste, parfois même le silence suffit à transmettre ce que l’on sait.
Un homme, on l’enferme. Un homme, on le tue. Mais qui peut saisir une idée ?
Le temps d’une nuit, j’avais fui ma ville, Tôkyô, j’avais fui la cour impériale et l’ensemble de ma vie. J’aurais aimé faire la route avec le jour pour saluer une dernière fois le mont Fuji. Je savais que, du bateau, je n’aurais pas la force de me retourner et le regarder encore.
Ma voiture était conduite par un prisonnier dont la parole ne valait rien. À part lui et moi, il n’y avait pas âme qui vive de ce côté du port, et je me souviens que cette pensée me fit sourire car, sur le bord de la route, une foule silencieuse nous escortait. La foule des morts de Yokohama. Les tâcherons usés par un labeur trop lourd, les ivrognes noyés dans les eaux du port, les filles qu’un marin avait cognées trop fort. Ils étaient tous venus, ils imploraient mon aide. Je voyais, au passage, leurs haillons miséreux, leurs linceuls et leurs suaires, les orbites creusées par la haine, les chairs rongées par le sel ou gonflées par la noyade. Les plus misérables tentaient d’accrocher les roues de notre équipage. Une mère me tendit un enfant décharné, pauvre fantôme d’un avorté. Et je suis certain que mon cocher aussi pouvait les voir. Jusqu’à la mer, sans arrêt, il psalmodiait ses prières profanes. Un jour, sans doute, il avait franchi la porte des morts, la porte des assassins qu’on ne peut refermer.
Sur le pont du bateau, le froid me dévorait les pieds comme le souvenir de la terre qu’ils avaient foulée. Notre terre sacrée ! L’équipage de Chinois chargea ma malle de voyage. C’est tout ce que j’avais emporté. Quelques objets : ma vie, ma famille, mon pays. Et les quatre urnes funéraires, bien sûr, puisque c’est d’elles qu’il s’agit…
Quelques jours plus tard, je débarquais sur le continent et recherchais un bateau pour l’Europe. Et dès cet instant, mademoiselle, je n’ai plus pensé qu’à ce jour où, enfin, je rentrerai. »
« Alors… vous ne vous êtes jamais dit que vous pourriez… je ne sais pas moi… vivre ici, et qu’on ne vous retrouve plus ?
— Je ne suis pas en fuite, et je ne l’ai jamais été.
— Ne me dites pas que vous n’y avez pas pensé ! C’est quand même pas la vie sauvage, ici ! La France, le Progrès, l’Exposition Universelle !
— Le progrès ? vous n’y croyez plus vous-même. Mais je nous en veux pas, vous ne pouvez pas comprendre : vous n’êtes pas née sur une terre sacrée.
— Autrement dit, vous êtes venu ici régler vos sales affaires… comme on va vider ses épluchures sur le paillasson du voisin ! Quatre fantômes à dégazer, loin de la terre sacrée, comme vous dites, pour ne pas gâter le bon air impérial ?
— … »
« Eh dites donc, majesté, est-ce que je ne viendrais pas de vous clouer le bec, par hasard ? »
Du mois de mars 1900 jusqu’à l’Inauguration
Lancée à plus de vingt à l’heure sur sa machine étincelante, Marie-Antoinette s’emmanchait le pont d’Iéna, en direction de la tour de mille pieds de l’ingénieur Eiffel. Elle roulait bien au centre de la chaussée, dans la symétrie du monument pointu, et tout le champ de Mars en perspective lui dressait sa haie d’honneur de palais blancs et d’arcades formidables. L’Industrie, le Génie civil et les Moyens de transport, rien que pour elle, au garde-à-vous, toutes les divinités modernes : toute la majesté de la Grande Exposition !
« Y a pas à dire... lança Marie-Antoinette au reflet du soleil qui la suivait sur la Seine, y a que l’avenir pour briller ainsi ! Et depuis que c’est 1900 – mort aux vieux cons ! – y a plus de passé, y a même plus de présent ! »
Elle poussa sur les pédales et fit chanter la sonnette.
« Vous n’avez pas le droit d’être ici ! » lui cria un ouvrier pousseur de brouette.
« Va donc, hé, traine-sabots ! »
Ah ça, elle ébouriffait les crânes, sur son Hirondelle dernier cri ! Et la file des bourgerons en toile grossière, tout droit montés de la cambrousse pour le chantier du siècle, n’en revenaient pas de voir passer sous leurs moustaches la modernité d’une fille à bicyclette. Il en grouillait partout, des ouvriers, sur les échafaudages, autour des tas de ciment, et elle leur souriait comme une reine à son peuple d’abeilles, s’affairant aux rayons de sa ruche pour le grand jour de l’Inauguration.
Elle déboucha sur l’esplanade et leva les bottines pour ne pas crotter son jupon à la boue des travaux.
« Le chantier est interdit au public ! »
Un bourgeois en costume – ingénieur ou contremaître – la menaçait d’un air sévère, un doigt tendu, l’autre main sur le melon.
C’était pourtant vrai qu’elle n’avait pas le droit d’être ici. Les pedros de la porte 35 – elle les appelait ainsi parce qu’ils bossaient à la toiture du pavillon du Mexique – les pedros l’avaient laissée entrer en douce contre une fourniture de gelée de groseille. Son copain Fernand, de la pharmacie Geiger, lui en fournissait un pot à la demande : une base de pectine colorée à la betterave rouge, solidifiée à la gélatine et remontée d’une pointe d’arôme de framboise. Le tout à moins d’un franc le litre. Elle en avait retenu la formule parce qu’elle aimait les mots savants et qu’elle avait promis à Fernand que si elle avait une fille, un jour, elle l’appellerait Pectine. Cet idiot de Fernand avait pris ça pour une avance et la discussion avait tourné court. Faut faire gaffe à ce qu’on dit avec les jouvenceaux ! Bref, les pedros n’étaient pas dupes, mais la sucrerie les contentait. Elle leur rappelait le chaudron à confiture de leur campagne aveyronnaise – car en vérité, ils n’avaient jamais mis les pieds au Mexique. Voilà pour la recette du laissez-passer de la porte 35.
« Mort aux vieux cons ! » répondit-elle au bourgeois qui l’avait bien mérité.
Et puis elle bomba le torse pour bien montrer sa blouse de grisette et elle libéra sa tignasse en agitant la tête. Ils n’aimaient pas ça, les bourgeois : la liberté d’une fille du xxe siècle, les cheveux au vent ; parce que même pour la nuit de noces, leurs bourgeoises, elles n’osaient jamais rien !
Marie-Antoinette planqua son vélo dans un buisson du pavillon des femmes – histoire de marquer le symbole – et elle se glissa, comme la veille et le jour d’avant, entre le Château tyrolien et les Alcools russes, jusqu’à la palissade du Cinéorama. Il y a deux jours, elle s’y était installé un promontoire d’une caisse à charpie et deux-trois tonneaux de lubrifiant Satinex chipés aux bateliers de l’embarcadère. Un pied sur chaque, elle pouvait y tenir des heures, le menton au ras du balustre en bois de chantier, avec la vue imprenable sur l’entrée du bâtiment. Le dépliant officiel de l’Exposition le p