Le mystère des Froissarts , livre ebook

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Alors qu’il profite d’une retraite à la campagne, Jean-Marc ROMBAL, ancien commissaire spécial, est contacté par Joachim Colonna, du proche domaine des Froissarts, un négociant en vin qu’il croise régulièrement dans le train le menant à Paris.


Celui-ci vient lui demander d’effectuer quelques recherches à propos de la disparition de Cécile, son épouse, dont il n’a plus de nouvelles depuis un certain temps.


D’abord réticent, Jean-Marc ROMBAL va se plonger dans une enquête qui mettra ses nerfs à rude épreuve et lui fera prendre conscience qu’il n’est plus le grand commissaire ROMBAL d’antan...

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Nombre de lectures

1

EAN13

9791070038369

Langue

Français

COMMISSAIRE ROMBAL


LE MYSTÈRE DES FROISSARTS

Par
E. L. RICHARD
I

M. de Sainte-Croix s'avança sur le perron blanc, tirant la jambe, et cria de sa voix nasillarde :
— Colonna ! Colonna !... Vous ramenez ma fille ? Humpf !
Il semblait transporté de fureur. Son bras valide gesticulait. Ses yeux saillaient de son visage tanné. Sa voix, issant de sa barbe d'étoupe, entrait dans l'oreille comme une vrille.
Son gendre leva la tête, sauta hors de l'auto et courut vers l'escalier qu'il gravit rapidement.
— Cécile n'est pas là ? dit-il dans l'oreille du vieillard… Depuis quand ? J'arrive de Paris, moi !
— Je vous demande… si vous la ramenez ?
Et Sainte-Croix, tout roide, revint au vestibule et se mit lourdement dans un fauteuil roulant qu'un domestique poussa vers le salon.
— Elle n'est pas rentrée… hier soir !... Colonna !
Colonna, ayant posé ses gants et son chapeau sur un meuble, suivit le vieil homme grondant.
— Quand est-elle partie ? demanda-t-il à mi-voix au domestique.
— Hier matin ! Madame est allée à Chantilly, au tennis… Je pense qu'elle devait rencontrer monsieur Julien Peretti…
— Tu penses ? Tu penses ?... Pourquoi penses-tu ça ?
— Au petit déjeuner, Madame en a parlé au comte.
Ils s'entretenaient ainsi, en traversant le salon dont les hautes fenêtres s'ouvraient sur une futaie de la forêt du Lys. L'automne avait rôti le rideau superbe des chênes. Des avenues bleuâtres y faisaient de longues trouées et des corneilles se balançaient lourdement sur un ciel d'automne.
Sainte-Croix, cependant, continuait à gronder.
— Je lui demande où est Cécile… Il me répond : Je viens de Paris… Je lui demande… Humpf !... Il me répond… Je lui…
Colonna ne semblait pas entendre ce radotage et poursuivait :
— Bon !... Antoine ? Elle n'est pas rentrée, le soir ? C'était vendredi ?... Bien ! Ce matin ? Rien encore !... A-t-on téléphoné au club ?... Et chez… chez Peretti ? Non ?... Je vais m'occuper de ça… Ramène-le à sa chambre…
Le domestique ne répondait que par des gestes à ces questions précipitées.
— Ah ! A-t-on appelé Paris ? Le Bristol ? Mon appartement ? Non ! Alors… on n'a rien fait ?...
Sans attendre, il se dirigea très vite vers une haute porte, à gauche, cependant que le fauteuil roulant de Sainte-Croix sortait par la droite. La voix nasillarde du vieillard répétait :
— Je lui demande… Je lui demande… Humpf !
Tout soucieux, Joachim Colonna visita la chambre de sa femme. Il n'y remarqua rien d'extraordinaire. Quelques lettres d'amies étaient demeurées sur la table. Le petit lit de pensionnaire, au fond, dans une alcôve de bois luisant, n'avait pas été défait.
Colonna n'osait pas toucher ces objets délicats, légèrement parfumés, qui faisaient un cadre si bien accordé à la grâce de Cécile de Sainte-Croix.

Il y avait cinq ans qu'ils étaient mariés ; cinq ans qu'ils avaient convenu de cette union pour vaincre l'obstination du vieillard.
Le comte – un comte du Pape, disaient les envieux et les malins – avait conduit sa fille, lorsqu'elle était toute enfant, dans un couvent de Louvain. Elle y était demeurée quinze ans. Il ne s'était décidé à l'en tirer, à vingt ans, que pour la marier. Et Colonna, un passant, un passant que l'on avait félicité pour sa chance, avait été le libérateur. Mais l'amour avait peu de place dans cette union ! Voilà qui était certain.
(Il passa sa main tremblante sur ses yeux humides.)
Peu après, le vieillard avait été frappé de paralysie.
Cinq ans déjà ! Cinq ans de cette vie au domaine des Froissarts, dans la forêt du Lys ! Il s'en allait le lundi, dans sa Chevrolet, vers Paris, et s'acharnait à une grande idée : La Compagnie Française des Crus Véritables. Cependant, il plaçait le champagne Sainte-Croix, cette étonnante tisane sur laquelle le comte avait inscrit son nom, dans les maisons de second ordre. Mais patience ! Lorsque la Compagnie serait puissante, qu'elle grouperait tout ce qui compte dans le monde des vins !... Du moins, tout ce qui n'avait pas encore un nom !...
Cécile passait sa vie près du vieil homme horrible, soignant avec patience ce bourreau criard de son enfance ; elle ne venait à Paris, dans l'appartement du Bristol, que Colonna occupait à l'année, que trois ou quatre fois l'an.

… Cette disparition lui faisait vraiment de la peine. Au fond, l'incident ne le surprenait qu'à demi. Il fallait que cela arrivât. Mais pas si tôt ! La Compagnie n'était pas majeure ! Et comment l'expliquer ?... Allait-il dire au radoteur qu'« ils » l'avaient trompé ? Que leur mariage était un complot contre son égoïsme ? L'un pour quitter la prison du couvent, l'autre pour réaliser un rêve ? Et aux yeux du monde ? Quelle raison donner ?
Ah ! Cécile ! Cécile ! Pourquoi ne l'avoir pas prévenu, lui du moins ? Puisqu'ils étaient amis ?... Complices ?

Colonna ferma la porte de la chambre, mit la clé dans sa poche et gagna son appartement à l'étage supérieur, sous les toits. Il y avait son studio, un cabinet avec son lit et le téléphone. C'est de là qu'il guidait sa Compagnie, lorsqu'il ne pouvait aller à Paris ; il y méditait l'avancement progressif de ses négociations avec les syndicats régionaux pour tirer de l'ombre des crus inconnus comme le Montrichard ou oubliés comme le Cahors. Peretti, le fils d'un hôtelier de Chantilly, lui servait de secrétaire.

Joachim Colonna prit tout de suite sa décision. À quoi bon s'attendrir ? Il faut mener les affaires du sentiment comme les autres : sans faiblesse. Il venait de se souvenir de M. Jean-Marc Rombal, ancien commissaire spécial, qui demeurait non loin des Froissarts, à Lamorlaye, à quelques kilomètres. Souvent, lorsque les routes étaient glissantes ou, l'été, quand on risquait de s'assoupir au volant, Colonna prenait le train pour Paris. C'est durant le court voyage qu'il s'était lié avec Rombal. Il lui demanderait son avis ; il fallait même le faire sur-le-champ.
Il s'agissait d'un fait simple : Une disparition, à l'heure actuelle, ça n'est pas possible, dans notre société de spécialistes !... Un Rombal débrouillerait cela très vite !
Tout de suite, Joachim l'appela au téléphone.
— Si vous pouviez venir aux Froissarts, lui dit-il, vous m'obligeriez. Je vous envoie ma voiture, si vous le voulez… Un conseil à vous demander ! Simplement ! Ce ne sera pas bien long. Une affaire que vous dépannerez en jouant. J'en suis sûr !
Et Rombal, pris de court, ne sut pas refuser.
II
 
— Déposer une plainte, monsieur Colonna ! Et même contre inconnu !... C'est le plus simple !...
— Une plainte ! Une plainte ! Tout le monde va savoir… répondit le négociant en passant sur les yeux sa main sèche.
Rombal remarqua qu'elle tremblait.
— Une plainte ! répéta Colonna. Autant dire qu'elle est morte !
— Non ! Pourquoi ?... Vous n'avez pas l'habitude, vous, et cela vous effraie. Rien de plus simple, en réalité !... La police cherche, se renseigne… et puis elle vous informe. Et c'est tout.
Le négociant fronça les sourcils. Il pensait : c'est justement ce qu'il ne faut pas ! Et l'ancien policier enregistra cette pensée inscrite sur ce visage optimiste en se disant : « Il ne veut pas d'enquête, donc, il me cache quelque chose… D'autre part, il m'appelle : c'est-à-dire qu'il n'a pas participé à cette… disparition ».
— Son père…, prononça lentement Joachim Colonna, après un instant d'hésitation, son père en mourrait… Et puis mes affaires, songez-y ! songez-y ! ma Compagnie Française des Crus Véritables, en pleine ascension… Je vous le dis ! c'est la torpiller… par un scandale. Impossible !
« Croyez-moi, il vaudrait mieux retrouver Cécile sans bruit et la ramener ici.
Il marchait dans son cabinet. Ses bottes fauves criaient en s'enfonçant dans l'épais tapis bleu. Ses cinquante ans paraissaient légers à ses épaules maigres. Ce Corse, roux et sans zézaiement, s'exprimait comme un bourgeois de Paris.
— Vous me connaissez assez, monsieur...

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