288
pages
Français
Ebooks
2014
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Publié par
Date de parution
27 août 2014
Nombre de lectures
3
EAN13
9782894558355
Langue
Français
Publié par
Date de parution
27 août 2014
Nombre de lectures
3
EAN13
9782894558355
Langue
Français
Guy Saint-Jean Éditeur
3440, boul. Industriel
Laval (Québec) Canada H7L 4R9
450 663-1777
info@saint-jeanediteur.com
www.saint-jeanediteur.com
••••••••••••
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Meunier, Sylvain, 1949-
L’empire du scorpion
ISBN 978-2-89 455-834-8
I. Titre.
PS8576.E9E46 2014 C843’.54 C2014-941419-6
PS9576.E9E46 2014
••••••••••••
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.
Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC
© Guy Saint-Jean Éditeur inc. 2014
Révision : Lydia Dufresne
Correction d’épreuves : Émilie Leclerc
Conception graphique et mise en pages : Olivier Lasser
Photo de la page couverture : iStock/JanPietruszka
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2014
ISBN : 978-2-89 455-834-8
ISBN ePub : 978-2-89 455-835-5
ISBN PDF : 978-2-89 455-836-2
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
Guy Saint-Jean Éditeur est membre de
l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).
« Le monde est gouverné par de tout autres personnages
que ne se l’imaginent ceux dont l’œil ne plonge
pas dans les coulisses. »
B ENJAMIN D ISRAELI
P REMIÈRE PARTIE
La mystérieuse femme de Percival Imbert
1
Scène de magasinage en décembre
D ans sa déambulation hachurée, dans son regard vide, dans sa façon de se laisser choir sur le premier banc venu, d’y demeurer silencieux et immobile, pour ensuite se relever comme s’il répondait à un appel, tout, dans le comportement de Percival Imbert, donne l’impression d’une détresse quelconque.
Pourquoi n’attire-t-il l’attention de personne dans ce grand magasin, déjà achalandé en ce vendredi de décembre ?
Pourquoi ne fait-il pas lever le sourcil aux vendeuses anxieuses de mettre à profit ce que l’on appelle en ce pays le temps des fêtes ?
Les bebelles de Noël, les ritournelles traditionnelles et les effluves de cannelle sont là pour induire le client à une prodigalité irrationnelle. Percival Imbert n’est pas du tout dans cet esprit.
Certes, il se trouve à ce moment dans un secteur voué aux dames, donc guère à sa place, mais si l’on pouvait reculer un peu dans le temps, l’on constaterait qu’il circule ainsi depuis deux bonnes heures, soit depuis qu’il s’est aventuré dans les avenues intérieures du centre commercial.
Percival Imbert est convenablement vêtu d’un manteau bordeaux , de marque, ouvert sur un pull anthracite en coton, sans taches ni accrocs, qui atténue la proéminence d’une panse évidente, ainsi que d’un pantalon noir impeccable. Sa chevelure est abondante et gracieusement ourlée, d’un gris uniforme, un peu trop peut-être (nature ou teinture ?), et ses moustaches dodues estompent les sillons que les années ont creusés des lobes du nez jusqu’aux commissures des lèvres. Ses joues sont rondelettes, son menton se dédouble sous la mâchoire ; il s’en faudrait de peu pour que ce personnage à l’allure débonnaire ressemblât à un père Noël incognito. On ne peut néanmoins parler dans son cas d’obésité, seulement de l’arrondissement naturel qu’apporte l’âge à l’honnête homme qui bouge peu et qui se fait un devoir d’honorer la fine cuisine d’une conjointe revêtant le tablier avec bonheur.
En effet, il sauterait aux yeux d’un physionomiste un tant soit peu aguerri que Percival Imbert est un mari, en tout cas qu’il vit depuis longtemps avec la même femme, et que c’est justement pourquoi personne ne se questionne sur son interminable dérive dans ce magasin, où il n’a pas l’intention d’acheter, bien qu’il traîne un sac avec des articles quelconques. Le même physionomiste reconnaîtra en lui l’archétype de l’homme qui fait office de porteur dans le magasinage de sa conjointe.
La présence de Percival Imbert, en ce jour, en cet établissement, en ces rayons, s’expliquerait donc par la nécessité du compromis dans la construction et le maintien d’une vie de couple supportable. Quelque part au-delà des mannequins filiformes en jaquettes ajourées, qui semblent inviter les mâles de passage dans un lit hélas pour eux inexistant, c’est donc sa femme qui, par l’intermédiaire d’ondes mystérieuses, commande ses déplacements à première vue incohérents. Pourtant, si l’on espionnait ce couple du haut des airs, l’on serait étonné de constater comment l’un et l’autre semblent reliés par un élastique invisible, comment ils s’éloignent jusqu’à craindre qu’ils pourraient ne jamais se retrouver, mais comment ils finissent toujours par se rapprocher, à croire qu’ils jouent à « tu brûles/tu gèles » par télépathie. Ils devraient se rejoindre infailliblement, dans les chaussures, les sous-vêtements ou les confiseries fines, qu’importe. Évidemment, c’est lui qui se déplace le moins, constituant le pivot d’une lente chorégraphie à laquelle il a cependant la conviction de ne pas participer.
Telle est la façon dont Percival Imbert se figure les choses en ce moment.
S’il n’en était que de lui, jamais il ne mettrait les pieds dans un magasin, à la seule exception des librairies, pour son amour des dictionnaires, et des disquaires, pour son amour de Bach.
Jusqu’ici, donc, ce personnage n’aurait pas d’épaisseur, au sens que l’on donne à ce mot dans les analyses littéraires. Il n’existerait qu’en fonction d’une femme qui, elle et elle seule, quelque part, agirait.
Les choses se passent cependant tout autrement.
Percival Imbert le sait.
L’élastique est rompu.
Il a chaud et la masse du sac au bout de son bras paraît s’accroître. Il s’est adossé à une colonne et, mine de rien, il s’est laissé prendre par une conversation qui se déroule derrière, entre deux commis de sexes différents, laquelle conversation porte sur un téléroman à la mode. Le contenu de la conversation, et moins encore celui de l’émission, n’intéressent pas Percival Imbert. C’est la forme de la conversation, délabrée, démembrée, atrophiée, c’est le moins qu’on puisse dire, qui a capté son attention. Pour s’occuper l’esprit durant ce nécessaire temps mort, il réécrit mentalement le dialogue en français soutenu. Ce n’est pas facile, les mots coulent et sont parfois à peine reconnaissables, mais il y parvient et il retrouve par ce jeu un certain bien-être, le monde extérieur cessant un moment d’exister.
Il faut dire que Percival Imbert a fait un métier de sa passion pour la langue française. Affligé par l’état de profonde misère linguistique dans laquelle lui parvenaient les textes, ce traducteur de formation, encouragé par sa femme, a dévié vers leur révision, leur correction, leur remise en forme et finalement leur réécriture. Des personnalités, dont la réputation souffrirait fort des maladresses qui émaillent leurs discours ou conférences, louent ses services à gros prix, eu égard non seulement à son exceptionnelle compétence mais aussi à son absolue discrétion.
La grande beauté de ce métier, expliquerait Percival Imbert, s’il consentait à l’effort de parler de lui, c’est qu’on le traîne partout, tel un colimaçon sa coquille. Où que Percival Imbert se trouve, en ce grand magasin, par exemple, il est à l’affût du mauvais emploi, de l’anglicisme, du tic langagier et de la dégénérescence syntaxique en général. Pour lui, le sens des mots et des phrases est un fil dont il sait se tisser un cocon douillet et protecteur.
C’est