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Présentation
Suleya et Gary s’offrent une petite promenade nocturne. Ils se croient seuls au monde…
Mais après le beau temps vient la tempête. Novembre n’augure rien de bon. Des ombres cheminent dans la nuit vers leur impossible rêve. Un cargo risque de sombrer. Et au petit matin, la mort passe par ici. Elle repassera par là…
Folle du village, vieux rapace lubrique et kinésithérapeute fantasque vont croiser la route du commissaire Landowski. On trafique, on vole, on séquestre et… on tue. Qui est chasseur et qui est gibier ?
De l’île de Batz à Carantec, en passant par Roscoff, les passions se déchaînent. Cruels assassins pour innocentes victimes. Innocentes ?
Et, cerise sur le gâteau, la belle Suleya aux yeux de braise ne laisse personne indifférent…
***
Serge LE GALL est né à Concarneau en 1951.
Amateur de recherches historiques, il a publié plusieurs monographies sur le Sud-Finistère avant de se tourner avec bonheur vers le roman policier.
Il vous propose ici de participer à une nouvelle enquête du commissaire Landowski.
Corps-mort à l'île de Batz
Les enquêtes du commissaire Landowski
Serge Le Gall
38, rue du Polar Les Éditions du 38
Les jonques empourprées Du sang des combats Glorifient leurs capitaines. Elles ne seront jamais Que les tombeaux anonymes Des marins oubliés. Uchen-Yang, infatigable voyageur chinois, période des Cinq Dynasties, Xeᵉ siècle
Trou de flibustiers, vieux nid À corsaires ! – dans la tourmente, Dors ton bon somme de granit Sur tes caves que le flot hante… Tristan Corbière, Au vieux Roscoff in Les Amours Jaunes .
1
Le Fennec se mit à sourire.
Pour lui, c’était une sorte de jouissance intime puisqu’il n’avait absolument pas le loisir de partager ce plaisir avec quiconque. Il fallait être tout à fait… honnête, il n’en avait pas franchement envie. Et pour cause !
Il était seul. Quoi de plus naturel pour un oiseau de nuit ? Il était le contraire des charognards diurnes opérant en bande comme les vautours. Il préférait l’indépendance du prédateur à la subordination de la meute. Pour tout dire, il considérait la convivialité comme un art mineur.
Les landes ont gardé le souvenir de ces ermites un peu fous qui vivaient comme des ascètes au bout de chemins en direction de nulle part. Il ne faisait pas partie de cette catégorie puisque, le jour, il était monsieur-tout-le-monde sortant son chien pour aller acheter le journal.
Malgré tout cette nuit-là, il prenait son pied. Un sacré panard qui enflerait davantage encore, comme une belle crise de goutte, au moment de la marée quand ce beau bateau gréé pour la pêche côtière n’aurait plus rien d’autre à offrir que la vulnérabilité d’une épave envahie par la mer destructrice, meurtrière et sans merci.
Évidemment, la série de trous percés au moyen de sa bonne vieille chignole, la compagne de tous ses méfaits, ne laisserait aucune chance au bateau de se maintenir à flot. Les orifices, alignés à la manière du charpentier de marine qu’il avait rêvé d’être, allaient laisser la mer s’engouffrer au moment où la marée lécherait la coque avec la volupté d’une amante qui attend le prochain départ pour Cythère.
Le bateau était bien campé sur ses béquilles taillées sur mesure. Elles avaient un galbe bien dessiné dans la partie haute et un dévoiement vers l’extérieur à partir du milieu. Son propriétaire le plaçait régulièrement sur une zone bien particulière de l’estran. Cette bande de terre immergée par le flux restait toujours ferme au détriment d’autres endroits plus envahis par des alluvions instables. Il ne risquait rien d’un assaut des vents et des courants. Bien au contraire. Quand la mer se retirait pour faire un autre voyage, ce socle assurait tranquillement l’assise des bateaux le temps de la marée basse.
Mais justement, c’était cela le drame. Cette position solide mais quelque peu monolithique allait servir le plan du Fennec comme l’indiscrétion mercantile d’un lad avant la course d’un pur-sang enrhumé. Les pieds des béquilles enfoncées dans la vase ne manqueraient pas de tenter de ralentir toute velléité de décollement du fond du port.
Oui, ce bateau allait devenir une sorte de vivier à crabes. Il se remplirait régulièrement, au même rythme que le bassin alentour, selon le principe des vases communicants. Au lieu de rendre une gloire posthume mais, ô combien justifiée, à ce brave Archimède !
Avec sa chignole, l’oiseau de nuit avait percé des trous allant crescendo comme un escalier pour accompagner la progression de la marée montante. La masse l’emporterait rapidement sur la poussée et l’eau envahissante achèverait de rendre le combat inégal.
Le Fennec, c’est le nom qu’il s’était donné lui-même, se lissa la moustache de contentement avec un sourire qu’il ne pouvait réprimer. Inutile d’ailleurs d’y voir un indice et de courir la grève à la recherche de tout porteur de paquet de gris sous le nez. Dans le cas présent, elle n’était qu’un postiche, une fausse moustache, douce et de qualité certes, mais aussi franche qu’un âne qui recule.
Avant de perpétrer son forfait, le Fennec avait fait son petit marché. Il ne s’était quand même pas déplacé pour rien. Il avait forcé le coffre du bateau pour y prélever tout un paquet de matériel qu’il n’aurait aucun mal à rétrocéder à un quelconque brocanteur peu regardant.
Si le produit de ses rapines se trouvait être trop encombrant ou dangereux pour sa sécurité, il les jetterait à la mer. C’était déjà arrivé. Par précaution ou par panique. Faire disparaître les preuves, ça soulage bien quand on sent la patate venir. Les jours suivants, une fois que certains objets avaient été rejetés au rivage, il avait lu avec amusement les supputations des journalistes qui croyaient ainsi avoir retrouvé la trace d’un homme devenu célèbre du fait même de sa disparition.
Depuis le temps que le Fennec sévissait anonymement dans la région, il n’avait jamais conservé le produit de ses larcins plus de quelques jours. Avoir un appentis regorgeant de tous ces articles maritimes aurait fait de lui un coupable désigné si la maréchaussée avait décidé de procéder à des perquisitions systématiques sur toute la côte. Il se demandait d’ailleurs pourquoi cette méthode d’investigation à la hussarde n’avait pas été retenue par les gendarmes pour tenter de confondre le ou les auteurs de ces vols à répétition. Peut-être que la brutalité d’une action soupçonnant tout le monde aurait eu un effet néfaste sur la quiétude des chaumières. Surtout si, au bout du compte, les képis n’avaient rien trouvé !
C’est cette impunité insolente qui lui avait donné l’idée de se mettre à couler quelques bateaux afin que la méprise soit totale. Il pillait la plaisance depuis longtemps en se gardant bien d’en faire une industrie. Il voulait conserver cette activité comme un complément de revenus sans risquer le déchaînement des investigations policières. Il dérobait par périodes, selon ses pulsions, laissant de longues accalmies entre deux opérations. À la manière des marées d’équinoxe.
S’il voulait que jamais les soupçons ne se fixent sur lui, il lui fallait agir dans l’ombre des prédateurs maritimes déjà installés sur le marché. Il n’y a rien de mieux pour un criminel que de reproduire les méfaits d’un autre afin que ce dernier endosse le paletot. Comme on était en période faste pour le vol des moteurs hors-bord, il s’était orienté vers ce type de produit. Brouillage garanti.
Sur le sable mélangé de vase, il avait aligné fusées de détresse, lignes gréées pour la pêche à la traîne, cordages lovés à l’ancienne et quelques instruments de navigation qui n’avaient pas résisté à l’arrachage. L’ancre reposait sur le fond du port, le jas à demi enfoncé dans la vase. La chaîne passée dans l’organeau donnait l’image d’un fil à linge distendu. C’est là qu’il avait suspendu les gilets de sauvetage qu’il n’aurait pas emportés s’ils avaient été marqués au nom du bateau. Négligence fatale ! Par contre, il avait été tenté par une vieille pompe à vidange vissée à bâbord. Elle ferait certainement le bonheur d’un antiquaire de la côte sud.
Quelques jours avant de pratiquer sa coupable