125
pages
Français
Ebooks
2021
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Publié par
Date de parution
01 mars 2021
Nombre de lectures
21
EAN13
9782764443187
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Publié par
Date de parution
01 mars 2021
Nombre de lectures
21
EAN13
9782764443187
Langue
Français
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De la même auteure
Les Noces rouges , VLB éditeur, 1999.
Moscou la nuit , Les Intouchables, 1998.
Un train pour Vancouver , Les Éditions du Boréal, 1994.
Le Grand rêve de madame Wagner , Quinze éditeur, 1984 ; Paris, Jean Picollec, 1985.
Sous le pseudonyme de Anne Laurier
Le crime inachevé , L’Hexagone, 2002.
Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : Nathalie Caron
Mise en pages : Marquis Interscript
Révision linguistique : Sabrina Raymond
En couverture : Montage à partir de l’œuvre Champlain dans la baie Georgienne , M993.154.314, Musée McCord et d’une image de goldhafen / istock.com
Conversion en ePub : Fedoua El Koudri
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : L’étonnante destinée de Pierre Boucher / Nicole Lavigne.
Noms : Lavigne, Nicole, auteur.
Collections : Tous continents.
Description : Mention de collection : Tous continents
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 2020009663X | Canadiana (livre numérique) 20200096648 | ISBN 9782764443163 | ISBN 9782764443170 (PDF) | ISBN 9782764443187 (EPUB)
Vedettes-matière : RVM : Boucher, Pierre, 1622-1717—Romans, nouvelles, etc.
Classification : LCC PS8573.A8558 E86 2021 | CDD C843/.54—dc23
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2021
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2021
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2021.
quebec-amerique.com
Compagnon des Amériques Québec ma terre amère ma terre amande Ma patrie d’haleine dans la touffe des vents J’ai de toi la difficile et poignante présence
Gaston Miron
PREMIÈRE PARTIE
Les années barbares
Qui n’a pas conscience de son histoire en est forcément dépossédé.
Shashi Deshpande
CHAPITRE UN
Juillet 1635
J’ai treize ans lorsque je rencontre mon premier cadavre. Je ne le connais pas. Ni le deuxième, ni le troisième, ni aucun autre croisé par la suite. Sur le navire, nous formons un groupe homogène, unis par une destination commune, mais certains sont plus malchanceux que d’autres. Ou plus à risque. Comme une série de cartes tombant les unes après les autres, les hommes et les femmes deviennent tout à coup ces corps inertes, inutiles, vidés de leur substance. On s’en débarrasse en les jetant à la mer, qui les engloutit sans les recracher. Les corps enfermés dans des sacs auxquels on attache une grosse pierre pour les empêcher de flotter, car l’époque est superstitieuse, chutent dans un bruit mat au contact de l’eau, un plouc à peine audible qui me donne froid dans le dos. Ensuite, on rassemble les effets personnels des disparus et, s’ils n’ont aucune famille, on tire au sort pour les partager. Après quoi ils tombent dans l’oubli. On n’y pense plus.
Mais j’y songe, moi, à ces cadavres. Atteindront-ils le fond ? Si oui, en combien de temps ? Seront-ils dévorés par les requins ou autres monstres marins ? La chair humaine se décompose-t-elle plus vite dans l’eau ? Est-ce que les os des cadavres se disloquent ou s’effritent une fois privés de la matière molle qui les retient ? Ces questions me hantent, j’imagine le fond de la mer tapissé de centaines de squelettes à travers lesquels poissons et autres bestioles aquatiques vont et viennent avec leur impassibilité habituelle. Ces morts ne surprennent personne, même si chacun prie pour ne pas devenir la prochaine victime. L’époque est insalubre ; on se doute bien que vivre entassés à cent, cent cinquante, sur un navire ne mesurant pas plus de soixante mètres de long par dix de large, pendant deux ou trois mois, comporte des risques. La maladie frappe autant les faibles que les bien portants. Le typhus, la dysenterie, la rougeole, le scorbut, ces noms pour la plupart méconnus avant le départ sont devenus pour moi aussi familiers que « poule », « cheval » ou « porc ».
Je tente avec les autres l’aventure du Nouveau Monde sans trop savoir ce qui m’attend. Mon père a vendu notre fermette en Normandie pour suivre un ami dans cette partie reculée du monde, où l’avenir, dit-on, appartient à ceux qui s’en emparent, entendons par là qu’il profite à ceux qui y croient. Croire ne nuit pas non plus, au sens religieux du verbe. L’époque est ecclésiastique et il n’y a pas de raison pour que Dieu nous abandonne une fois débarqués sur les immenses terres sauvages d’Amérique alors qu’Il nous a guidés jusque-là.
Beaucoup plus tard, lorsque j’atteindrais le vieil âge, malgré le temps qui déboulerait comme une horloge dont le mécanisme se serait emballé, cette traversée resterait vive à ma mémoire.
Mon frère Nicolas et mes jeunes sœurs Marie et Marguerite courent sur le tillac avec des enfants de leur âge, criant, riant, bousculant la relative tranquillité des passagers sur le pont supérieur. Parfois, des gamins échappent à l’attention des parents et, juchés sur des caisses en bois, parient à qui pissera le plus haut et le plus longtemps dans la mer. C’est plus pratique et surtout plus amusant que de se rendre sur la poulaine à l’avant du bateau et d’attendre son tour pour uriner à travers le treillis. Le temps s’écoule au compte-gouttes, découpé en tranches inégales, au rythme des fades repas. La nuit, la cloche annonçant les changements de quart de l’équipage aux quatre heures réveille les plus endurcis. Entassés sur l’entrepont, nous mangeons mal, nous décrassons rarement, portons toujours le même linge. Le sel charrié par l’eau et le vent s’incruste dans nos habits, les transforme en une croûte râpeuse. Les poux envahissent nos cheveux d’étoupe, les punaises et les tiques colonisent nos corps. De jour comme de nuit, nous nous grattons beaucoup.
De la mer, je ne connaissais que la Manche, entre ma Normandie natale et l’Angleterre. Celle qui déroule ses flots autour du navire a le reflet des miroirs et l’opacité de la pierre dure. Je l’étudie, j’essaie de prévoir ses sautes d’humeur, ses lubies, ses fureurs. Elle me semble trop vaste, trop imprévisible pour nous conduire à bon port. Plus je la sonde, plus je prends conscience de la fragilité de notre bâtiment comparé à la puissance des lames et des courants. L’inégalité des forces en présence, l’immensité de l’océan par rapport à la petitesse du navire me glacent le sang. Je détourne alors les yeux, m’intéressant aux manœuvres d’un marin sur le pont supérieur, aux ordres du capitaine, au matelot grimpé dans les cordages pour graisser les vergues ou vérifier l’état de la grande voile. La peur m’étreint, mais j’enfouis mes craintes comme on cache un objet précieux au fond d’une grange, ne pouvant me confier ni aux plus jeunes ni aux parents. J’expérimente l’âge ingrat et ne me sens que très vaguement adulte.
Après deux mois et demi de ce régime, les terres d’Amérique apparaissent au large comme des bêtes aux contours flous ; à mesure que nous approchons, nous découvrons des hauteurs mal dégrossies envahies par la forêt. À Québec, sur les berges, un colosse âgé au visage vanné nous attend. Champlain dépasse tout le monde d’une bonne tête. Malgré ses soixante-cinq ans et sa petite santé, il a tenu à nous recevoir lui-même au sortir des chaloupes. Lui qui a marché le continent de long en large et connaît la Nouvelle-France comme le fond de sa poche s’aventure rarement hors de Québec à présent. On le dit fatigué, avec des forces déclinantes. Pour ma part, je ne remarque rien d’alarmant chez lui ce jour-là, trop content d’avoir quitté le navire et de pouvoir enfin fouler le sol. Ou peut-être suis-je trop impatient d’explo rer ces terres lointaines dont j’ai entendu parler pour m’intéresser