Je regardais sur mon grand chevalet cette ébauche de Christ sur la croix auquel je travaillais depuis plusieurs semaines, je m'étais attardé sur ces bras pendus qui ne parvenaient pas à me satisfaire, proportions, expression, et là je ne voyais qu'une froideur, une redite. Je caressai lentement la feuille de papier bleu, mon vieux compagnon, et cette sensation sèche me fit du bien. J'allais sortir, marcher dans les rues aux pavés glissants, oublier ces états d'âme, ces interrogations, oublier qu'une femme levait vers moi ses yeux avides d'espoir. Quel espoir? Dehors, j'entendrais les murmures des Parisiens encore étonnés de sa mort à lui, là-bas sur son île cendres et cercueil, une rumeur imperceptible, le peuple oubliait vite ce rêve grandiose assoiffé de son sang, le peuple était repu de gloire, il voulait manger à sa faim d'autres nourritures moins exaltantes et moins cruelles, et le Bourbon était encore, toujours là, arrimé au trône par les astuces millénaires des dominants. Pierre-Paul Prud'hon (1758-1823) et Constance Mayer (1776-1821) sont deux peintres qui connurent la notoriété et traversèrent ensemble les périodes mouvementées du Consulat, de l'Empire et de la Restauration. Ce roman, dont les autres principaux personnages sont Vivant Denon, David, Géricault, s'est attaché à faire revivre ce couple d'artistes dans une intrigue ancrée dans ce temps de ruptures. L'éléphant édifié à la Bastille à l'emplacement de la forteresse démolie est ici le fil rouge que suit Annie Abriel qui, par un formidable travail d'investigation, nous invite dans l'atelier et l'intimité de ces deux artistes aux destins liés et ainsi au coeur même de leur processus créatif.
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