94
pages
Français
Ebooks
2019
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Publié par
Date de parution
24 juillet 2019
Nombre de lectures
4
EAN13
9782764438312
Langue
Français
Publié par
Date de parution
24 juillet 2019
Nombre de lectures
4
EAN13
9782764438312
Langue
Français
Projet dirigé par Fanie Demeule et Joyce Baker, en collaboration avec Stéphane Dompierre
Conception graphique : Nathalie Caron et Gabrielle Deblois
Mise en pages : Nathalie Caron
Révision linguistique : Sophie Sainte-Marie
Photographie en couverture : Victoria Shapiro / shutterstock.com
Conversion en ePub : Claudia Colli
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Stalkeuses : 16 nouvelles indiscrètes / sous la direction de
Fanie Demeule et Joyce Baker.
Noms : Demeule, Fanie, éditeur intellectuel. | Baker, Joyce, éditeur intellectuel.
Collections : Collection Littérature d’Amérique.
Description : Mention de collection : Littérature d’Amérique
Identifiants : Canadiana 2019002142X | ISBN 9782764437964
Vedettes-matière : RVM : Harceleurs—Romans, nouvelles, etc. | RVM : Nouvelles québécoises—21 e siècle.
Classification : LCC PS8329.5.Q4 S73 2019 | CDD C843/.0108353—dc23
ISBN 978-2-7644-3830-5 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3831-2 (ePub)
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2019
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2019
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2019.
quebec-amerique.com
DIANE NE DORT PRESQUE PLUS
Catherine Côté
C’est le 13 janvier. Depuis vingt-neuf semaines, elle regarde par sa fenêtre et se demande ce qu’elle devrait faire. Elle devrait se trouver un nouvel emploi. Elle devrait sortir. Elle devrait passer le balai. Elle devrait voir des gens.
Mais Diane ne fait rien. Elle s’assoit sur son balcon d’en arrière et regarde à travers la ruelle et attend. Elle ne sait plus ce qu’elle attend. Elle a des idées, parfois. Elle se revoit, quelques mois auparavant. Elle se revoit dans l’appartement de l’autre côté de la ruelle, celui qui est deux fois plus grand, deux fois plus beau, celui qu’elle pouvait se payer avant, mais plus maintenant. Elle se revoit, et elle se demande ce qui a bien pu se passer. Elle ne sait pas. Elle se souvient de sa vie là-bas, mais la fin ? La fin est floue. Alors, elle attend.
Et, en attendant de comprendre, elle regarde.
L’appartement de l’autre côté de la ruelle est grand. De sa chambre, Diane peut voir dans l’autre cuisine. Les murs sont beiges, les armoires rouges. Les comptoirs sont recouverts d’une céramique noire, qui est nouvelle. Ils sont encombrés de petits appareils électriques, un mixeur, une machine à pain, un grille-pain, un micro-ondes. Le plancher est en bois franc. La peinture sur les murs est un peu défraîchie. À droite du four, elle est tachée d’une coulisse sombre. De la sauce à spaghetti, sans doute. Ou du café. Les portes des armoires sont toujours ouvertes. Le dessus du réfrigérateur est recouvert de poussière. On dirait que personne ne le nettoie. Chaque matin, la nouvelle occupante va dans la cuisine pour préparer du café. C’est une belle, grande femme. Elle prend le récipient en verre plein de grains moulus dans l’armoire à gauche du réfrigérateur et elle mesure une, deux, trois cuillères de café qu’elle met dans une presse française. Puis elle emplit la bouilloire électrique, sélectionne la température du bout du doigt et appuie sur start .
Elle a de beaux doigts, la femme. Elle a de longs doigts de pianiste et les ongles limés en forme d’amande et vernis, toujours vernis. L’été, c’étaient des couleurs vives, de l’orange, du rose et du vert lime. L’automne, c’étaient des teintes ocre, terreuses. Désormais, ce sont des nuances sombres. Noir, bleu foncé, bourgogne. Ses cheveux changent, aussi. Le 6 août, ils étaient longs, et le 10, ils étaient courts. Le 12 septembre, ils étaient bruns. Le 29 novembre, ils étaient dorés, balayés de mèches délicates comme des fils d’or.
Ses cheveux changent, ses ongles aussi, mais le reste ne change pas. Elle a un long corps, maigre, presque décharné. Un de ses bras pend toujours mollement lorsqu’elle se sert une tasse de café. C’est le droit, toujours le droit. Alors, elle est gauchère. De sa main gauche, elle prépare le café le matin, mange une salade le midi, brasse le contenu d’un poêlon ou d’un chaudron le soir. Ses genoux plient un peu trop vers l’arrière lorsqu’elle se tient debout. Elle a les épaules voûtées, comme si un poids invisible était posé à la base de son cou. Elle porte toujours des pantalons et des chandails trop grands qui laissent deviner sa maigreur. Une clavicule qui pointe sous un chemisier rose. Une épaule qui frotte contre les manches d’un pull-over. Elle a l’air de bien s’entretenir. De prendre soin d’elle. Elle a l’air du genre de femme qui se fait bichonner, se fait masser, se fait gâter. Elle doit avoir la peau douce, recouverte d’un fin duvet blond, toujours hydratée, jamais sèche ou fendillée ou boutonneuse.
La femme ne vit pas seule. Il y a un homme aussi, et un jeune garçon. L’homme est un peu plus petit que la femme et beaucoup plus gras. Il a un ventre rebondi qui dépasse du devant de ses jeans, et de ses t-shirts. Il a les cheveux poivre et sel, toujours séparés à droite, et une barbe mal entretenue. Il a les jambes courtes et droites, épaisses comme des troncs d’arbre. Ses doigts ressemblent à des saucissons. Il a l’air d’avoir le dos poilu, sans doute le ventre aussi. Il a une démarche lourde et empotée. Quand la femme prépare le café, le matin, il vient poser une main contre le bas de son dos. Alors, elle lui sourit, comme tendrement. Il lui sourit en retour. Il porte des bas de laine gris et des t-shirts et des chemises quand il va travailler. Il sue beaucoup. Ses cheveux sont souvent gras. Il se passe souvent la langue sur les lèvres. Il se racle la gorge, parfois. Il se racle la gorge et crache dans l’évier de la cuisine.
Diane ne les entend jamais. Elle n’entend pas le raclement de gorge, ni la sonnerie de la bouilloire électrique, ni le bruit des ustensiles. Elle les devine. Le matin, Diane aussi se prépare un café, un peu avant la femme. Puis elle s’assoit face à sa fenêtre, et elle regarde. Son nouvel appartement, celui où elle habite depuis juillet, est absolument déprimant. Ce n’est pas un appartement, ce n’est qu’une grande chambre, avec une cuisinette et un lit. Tout est sombre et sale, miteux. Les planchers gondolent. Le linoléum retrousse. Les cadres de porte sont croches. Les murs sont tachés de fumée de cigarette, parce que Diane ne sort jamais pour fumer. Elle fume en dedans, à côté de la hotte, à côté des fenêtres entrebâillées qui laissent entrer le froid de l’hiver, mais rien n’y fait. La fumée colle aux murs, imprègne les rideaux. Malgré cela, Diane ne sort jamais. Nulle part où aller. Personne à voir. Alors, elle s’installe, elle attend. Elle regarde de l’autre côté de la rue.
Celui qu’elle préfère, c’est le garçon.
Il doit avoir cinq ans. Il a une tête blonde et frisée. Ses bras sont potelés, et son nez un peu retroussé. Il aime les petits chandails rayés, qui lui donnent l’air d’un marin. Il a des chaussures de Batman, qu’il porte presque tous les jours. Il court de manière désarticulée, comme tous les enfants. Il joue souvent sur le plancher en bois de la cuisine, avec des voitures miniatures. La jaune est sa préférée. Il imite le bruit des voitures avec sa bouche alors qu’il les fait courser sur le plancher. Il a un gros sac de billes. Il a un hamster, avec lequel il joue sur le plancher de la cuisine. Un hamster avec une grosse roue et des tunnels reliés à sa cage. Il lit des livres, aussi. Des livres sur les princesses, des contes, des cherche-et-trouve, des bandes dessinées, des Où est Charlie ? Le garçon a toujours l’air de bonne humeur. Il rit souvent, et il fait sourire. Comme s’il apportait le bonheur. Comme s’il n’avait jamais eu une mauvaise pensée de sa vie.
Sa chambre doit être celle à côté de la salle de bain. Diane ne le sait pas, elle aimerait le savoir. La cuisine