Maléfices et manigances Chroniques maliennes , livre ebook

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Publié par

Date de parution

01 janvier 2007

Nombre de lectures

0

EAN13

9782845868946

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Gérard Dumestre et Seydou Touré
M aléfices et manigances
Chroniques maliennes
MALÉFICES ET MANIGANCES, CHRONIQUES MALIENNES
Cet ouvrage est publié avec le soutien de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).
KARTHALAsur Internet : http://www.karthala.com Paiement sécurisé
Couverture :
Page du cahier d’écolier dans lequel Seydou écrit les conversations entendues ou celles auxquelles il a participé (voir en annexe, p. 387). Cliché : Jean-Gilbert Grandet.
¤Éditions KARTHALA, 2007 ISBN : 978-2-84586-894-6
Gérard Dumestre et Seydou Touré
Maléfices et manigances, chroniques maliennes
Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
DU MÊME AUTEUR
Paroles d’Afrique, Albin Michel, 1996. Chroniques amoureuses au Mali (avec Seydou Touré), Karthala, 1998. Des bêtes et des hommes, chants de chasseurs mandingues (avec Jean Derive), Classiques africains, 2000. Grammaire fondamentale du bambara, Karthala, 2003.
Introduction
1  Un village, le même ; un homme, le même aussi : c’est à 2 l’endroit où ont été rédigées lesChroniques amoureuses, et de la main de celui qui les a rapportées, que sont nées ces nouvelles chroniques, couchées d’une grosse écriture appliquée sur près de mille cinq cents pages de neuf cahiers d’écolier, et qui s’étendent, 3 avec des interruptions , sur une période de dix mois, entre le mardi 3 décembre 2002 et le jeudi 11 septembre 2003. Même village, même scribe, et donc aussi mêmes personnages : on retrouvera ici la suite, à huit années de distance, des petites histoires des petites gens d’un petit village de la région de Ségou. Le lecteur qui souhaitera mieux connaître aussi bien le cadre géographique et humain dans lequel elles se déroulent que celui qui les écrit pourra donc se reporter à notre précédente introduction.  Ces récits, ces histoires rapportées, ces ragots parfois, ne concernent plus comme dans le précédent ouvrage les relations amoureuses, mais les moyens, tous les moyens, dont usent hommes et femmes pour infléchir le destin, le leur et celui des autres. Comment, par les amulettes, les philtres, le travail des marabouts et des féticheurs, et de cent autres manières, ils peuvent prévoir ce qui les attend, attirer le bonheur sur eux et surtout le malheur sur les autres, se venger d’une trahison, provoquer la maladie ou la ruine, se protéger de la jalousie, forcer la chance. 1. Les noms de ce village et de cet homme ne seront pas indiqués. Le nom Seydou Touré est un pseudonyme. 2.Chroniques amoureuses au Mali, Paris, Karthala, 1998. 3. Aucune chronique en juillet 2003, par exemple.
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 Dressant une sorte d’ébauche inventoriant les moyens possibles, les recours envisageables, nous dessinions en pointillés, pour indiquer à Seydou le thème central des histoires à rapporter, les contours approximatifs de ce qu’on peut appeler « magie » en français, terme qui n’a en bambara ni sens, ni traduction possible. Pour tuer le rival détesté, on peut aussi bien l’abattre d’un coup de fusil que se métamorphoser en lion pour le dévorer ; et pour démasquer un voleur, recourir aux gendarmes qui mèneront une enquête ou faire appel aux chasseurs qui feront parler leur fétiche et avouer le coupable sont également possibles, même si le second procédé est souvent reconnu comme plus efficace (et peut-être moins coûteux). Parfois, procédés magiques ou non se mêlent ou s’ajoutent afin d’augmenter l’efficacité d’une action : pour guérir d’une fracture, le rebouteux utilise à la fois des bandes de coton qu’il coud et des formules qu’il récite (21 août). Et pour se débar-rasser de son conjoint en le précipitant dans un puits, une épouse se servira de la magie et de la ruse, même si le résultat final n’est pas celui qu’elle espérait (25 avril).  Toutes ces stratégies pour nuire ou empêcher qu’on vous nuise relèvent ainsi d’une semblable démarche, seulement nourrie par la précaution, la méfiance et le secret. Aucune frontière ne permet de distinguer entre les stratagèmes, aucune solution de continuité entre eux : la « magie » est partout et nulle part.
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 La langue même dit assez bien cette impossible démarcation : le termebaara, qui signifie « travail » (ne tun bè baara kè tubabuw bolo Bamakô»,je travaillais pour des Français à Bamako  « 24 décembre) est tout aussi bien employé pour désigner celui que réalisent les professionnels de la « magie », marabouts et féticheurs : o ye baara kè ale kônôma la, den kana se ka wolo ale fè(« cette personne a “travaillé” sur elle alors qu’elle était enceinte, afin que l’enfant ne puisse pas naître »). Le termedabali, d’usage courant dans ces chroniques pour désigner le moyen « magique » dont on use pour parvenir à de mauvaises fins, renvoie aussi à n’importe
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4 quel expédient, ruse ou procédé parfaitement rationnel .Fura désigne tout remède, qu’il s’agisse de feuilles ou de racines utilisées en décoction pour guérir d’une indigestion, ou d’une d’eau lustrale (nasi) accompagnée, pour faire venir à terme une grossesse contrariée par la jalousie d’une coépouse, d’une amulette (sèbèn). Quant à ce dernier terme, il désigne d’ailleurs tout écrit, qu’il s’agisse d’une lettre ou d’un papier administratif, mais tout autant du grimoire cousu dans un carré de cuir qu’on porte au cou ou au bras comme protection.  Cette indistinction entre les moyens par lesquels on traite un différend, un malheur, une affection, rend compte du fait que ces chroniques quasi quotidiennes ne contiennent pas toutes, loin s’en faut, d’éléments occultes. Une cinquantaine de récits décrivent des histoires où rien de magique ne figure : un pêcheur qui manque se noyer, une femme qui contraint son mari à s’occuper de l’arrosage de ses oignons, des chercheurs d’or qui reviennent au pays, ou encore un pugilat entre époux. Cependant, en regardant de près ces 5 différentes anecdotes parfois clochemerlesques , parfois aussi tragiques ou cruelles, on s’aperçoit que dans la plupart apparaît, comme élément central ou comme conclusion de l’intrigue, le procédé, le stratagème.  Prenons l’exemple de cette narration (23 mai) dans laquelle il est question d’une épouse aux successifs maris, décrite comme débauchée et intéressée, et qui dépense sans compter en produits pour s’éclaircir le teint. Si les premières lignes indiquent qu’au moment où cette femme est décédée, son conjoint ne l’aimait plus, et que c’est cela qui a hâté son trépas, il faut attendre la fin de la chronique pour comprendre qu’en réalité le mari a sciemment choisi de dépenser de l’argent pour faire mourir sa femme. Qu’excédé par son comportement, il a utilisé ce stratagème d’une opération chirurgicale dont il savait qu’elle lui serait fatale pour que cette épouse dont il s’était lassé « lui débarrasse le plancher ».  Dans une anecdote narrée dans la chronique du 12 février, c’est encore un stratagème qui est décrit, celui qui permet à une villa-4. Cf.Dictionnaire bambara-français de Bailleul(Bamako, Éd. Donniya, 2000) : « moyen », « procédé », « expédient ». 5. Difficile de ne pas penser aussi au Chaminadour de Jouhandeau.
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geoise, par son comportement écœurant (« ça a donné la nausée à tout le monde »), de rafler la totalité du plat normalement destiné à toutes les femmes assistant à une cérémonie (« alors elle s’est mise à en prendre et en prendre et elle a tout fini »). Quant aux chercheurs d’or (21 décembre) ou aux puisatiers (15 avril), ce qui est raconté, avec une certaine délectation, est le subterfuge dont ils usent pour berner douaniers ou villageois ivoiriens.  On comprendra donc que si toutes les chroniques non occultes ont été conservées, même si elles ne correspondent pas au thème central de la magie qui était au point de départ du recueil – et au bout du compte il faut accepter que, contrairement à l’amour, la « magie » ne puisse être un thème – c’est avant tout parce que rien ne permet de faire le départ entre les moyens occultes et les autres, que tous ces procédés, maléfices et manigances, sont mis en branle comme des stratégies de défense ou d’attaque, en fonction des situations et des ressources (en temps, en argent, en spécialistes) disponibles. Au village et sans doute plus généralement dans la société malienne d’aujourd’hui encore, la « magie », ou ce qui en Occident serait considéré comme telle, constitue l’une, banale, des éventualités qui s’offrent pour la résolution des conflits passés ou présents, ou des difficultés à venir, quelle que soit leur gravité. On observera ainsi que les métamorphoses, opérations magiques par excellence, sont dans plusieurs des chroniques des manœuvres échafaudées pour nuire : on se transforme en lion pour tuer un chasseur, en hippopotame ou en crocodile pour faire du mal :
« Il y a beaucoup de Bozos qui ont perdu une jambe ou un bras comme ça à cause d’un homme métamorphosé en hippopotame ou en crocodile, qui fait cela par jalousie et méchanceté » (13 avril).
 Une autre raison justifie le maintien de toutes les chroniques. C’est que magiques ou non, elles se tissent les unes aux autres, elles se font écho ; les mêmes personnages y figurent, amis, voisins, parents de Seydou pour partie, et certains épisodes permettent d’en comprendre d’autres, mais aussi de saisir les liens qui en unissent les protagonistes. Par exemple, si rien d’occulte ne figure dans l’histoire du 2 mai (une femme tente de noyer sa coépouse, les villageois interviennent pour les séparer, le mari ne dit mot), c’est
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