96
pages
Français
Ebooks
2013
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Publié par
Date de parution
26 avril 2013
Nombre de lectures
0
EAN13
9782764420621
Langue
Français
De la même auteure
Le Piège de l’ombre , Montréal, Québec Amérique, coll. Titan, 2000.
Monsieur Engels , Saint-Lambert, Dominique et Compagnie, romans bleus, 2000.
L’Oiseau de passage , Saint-Lambert, Dominique et Compagnie, romans bleus, 2000.
Le Délire de Somerset , Saint-Lambert, Dominique et Compagnie, coll. Carrousel, 1999.
Le Cinéma de Somerset , Saint-Lambert, Dominique et Compagnie, coll. Carrousel, 1998.
Mon ami Godefroy , Saint-Lambert, Éditions Héritage, coll. Carrousel, 1996.
Dans les griffes du vent , Saint-Lambert, Éditions Héritage, coll. Alli-bi, 1996.
Le Sixième Arrêt , Saint-Lambert, Éditions Héritage, coll. Carrousel, 1995.
Le Plus Proche Voisin , Saint-Lambert, Éditions Héritage, coll. Carrousel, 1995.
Données de catalogage avant publication (Canada)
Vachon, Hélène
La Tête ailleurs
(Collection Littérature d’Amérique)
9782764420621
I. Titre. II. Collection.
PS8593.A37T47 2002
C843’.54
C2001-941822-1
PS9593.A37T47 2002
PQ3919.2.V32T47 2002
Les Éditions Québec Amérique bénéficient du programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Elles tiennent également à remercier la SODEC pour son appui financier.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
©2002 ÉDITIONS QUÉBEC AMÉRIQUE INC.
www.quebec-amerique.com
Dépôt légal : 1 er trimestre 2002 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada
Révision linguistique: Diane Martin Mise en pages: André Vallée
Sommaire
De la même auteure Page de titre Page de Copyright Première Partie
1 2 3 4 5 6 7 8
Deuxième Partie
1 2 3 4 5 6 7 8 9
Épilogue
Première Partie
1
P erché sur le tabouret, l’enfant la regarde. Malheureusement pour lui, les deux yeux ne fixent pas la même chose. L’œil gauche regarde effectivement Alison, mais le droit vagabonde ailleurs, à mille lieues de tout monde habité. Alison hésite un moment, son propre regard s’affole, passe de l’œil mort à l’autre, cherche la voie, la vie, deux yeux en quête d’un troisième se posent enfin sur l’œil valide et s’y accrochent. Cette panique qui s’empare de nous chaque fois que la nature nous fait faux bond, chaque fois que l’intégrité du corps n’est pas au rendez-vous. Alison déplore sa lenteur, son incompétence. Qu’il ne se sente pas offensé, surtout.
L’enfant a tourné la tête, Alison fixe le reflet du soleil sur la joue. D’habitude, la rencontre est réussie, quand la chair et la lumière se côtoient, mêlent leurs couleurs, leurs textures. Alison s’en émeut toujours et s’arrête, le pinceau en suspens, le regard aux abois. Ce sont des moments de grâce, il faut les saisir au passage, ne pas détourner son propre visage si on veut assister au miracle. Mais de miracle, il n’y a pas ici, ici toute grâce est exclue. Le garçon est un gâchis total. Tout ce qui gravite autour de l’œil, l’auréole des cheveux, le tissé de la peau, la bouche, le menton, l’ossature, rien n’a été épargné. Qui a bien pu créer un tel cataclysme, une telle mésalliance? Alison ferme les yeux. Quand elle les rouvre, l’enfant est toujours là. Il est trop laid, pense-t-elle soudain. Je n’y arriverai pas.
La mère est assise derrière le garçon, un peu en retrait, butée. Alison la voit de profil. Une tête de bouddha, un nez bourbon attiré vers la bouche comme par un aimant invisible, des seins plantureux comprimés et hissés à des hauteurs vertigineuses, ce qui lui donne l’air de trimballer un meuble encombrant, sans aucun espoir de le déposer nulle part. Le dos s’est arrondi avec les années – à moins que ce ne soit à cause du meuble –, les cheveux sont figés dans leur laque, frisottés serré, réfractaires à tout mouvement. Le fils est à l’image de la mère, à peine moins laid. Et le père? Où était le père? Comment s’y sont-ils pris pour échouer à ce point? Alison imagine une lutte sans merci, les gènes de la mère contre ceux du père, laideur contre beauté, ardeur contre indolence, l’embryon qui hisse le drapeau blanc, optant pour la laideur finalement, plus naturelle, plus attendue, tare sexuellement transmissible qui ne demande qu’à fondre sur l’embryon aveugle. Et pour finir, cet œil un peu révulsé, irrémédiablement tourné vers la droite, condamné à n’apercevoir du monde et de la vie en général que l’étroite bande de chair pâle qui circonscrit le visage.
Alison se penche vers l’enfant, fouille le sol intact, la brousse des sourcils, la soie des cils, les plis et replis, tous ces remparts érigés par la nature à seule fin de retarder notre venue à l’œil, et puis ce creux, cet antre qui abrite le regard, cette lumière fantastique. Il aurait dû venir seul, songe Alison. Mais, non, il est bien trop petit. Six ou sept ans.
— Comment t’appelles-tu?
Il lève vers elle une bille timide, vaguement bleue.
— Jérôme.
La bille s’enfuit, court sur le sol à la recherche d’un lieu sûr. Le danger est partout. Je n’aurai jamais le regard, pense Alison. Elle lui tend un livre, une revue. L’enfant dédaigne le livre, prend la revue, fait semblant de la parcourir. Pourquoi? se demande Alison. Elle se rassoit, pleine d’impatience et de contrariété, honteuse pour la mère. Elle a envie de les mettre tous les deux dehors et de boire un bon coup. La bouteille est là, Alison n’aurait qu’à tendre la main. Les bouteilles ne sont jamais bien loin, ce sont des amarres, de petites bouées, parfois des ports. Alison allume une cigarette. La mère n’a pas bronché. Le profil regarde droit devant sans faillir, la bouche est crispée, la narine palpite. De loin, à cause de la perspective et si on fait abstraction de la distance qui les sépare, la mère et le fils ont l’air de se toucher, la bouche de la mère arrive à la hauteur de l’oreille, effleure les cheveux du garçon, un baiser humide et tendre. Ce n’est tout de même pas possible qu’elle lui impose un tel supplice. Quel besoin a cet enfant qu’on le dessine? Il a bien assez de sa disgrâce. L’air se charge subitement d’effluves hostiles. La femme se lève.
— L’air est irrespirable, déclare-t-elle.
— Je suis d’accord, dit Alison.
— C’est la térébenthine.
— Entre autres, dit encore Alison.
Elle est allée chercher une bande dessinée et l’a offerte à l’enfant. Le doigt pointé sur le papier, il prononce chacun des mots à voix basse, avec lenteur et patience, cyclope décentré qui incline un peu la tête. Alison inspire à fond. Faites qu’il ne soit pas trop intelligent, prie-t-elle, qu’il ne s’aperçoive de rien, qu’il traverse la vie avec ce sourire qu’il a en cet instant. Les lèvres de l’enfant bougent sous l’effort. Il est ailleurs, enfin, il a oublié Alison et la mère qui l’a amené là, contre son gré.
Alison se rassoit et dessine la tête, tout ce que le garçon a de moins compromettant, le front, le cou, peut-être l’oreille. Le temps passe, la mère regarde sa montre, donne des signes évidents d’impatience. Alison prend le temps de la haïr un moment et se concentre de nouveau. La forme de la tête. Elle a quelque chose, cette tête, il est peut-être encore possible de sauver le garçon du naufrage. Alison s’active, s’applique, chaque coup de pinceau est un effort. La mère a repris sa place, là-bas, et attend, maussade, que la séance prenne fin, en se demandant pourquoi diable faire autant de manières pour une chose aussi simple.
Saisie d’une indescriptible fureur, Alison raye soudain la tête d’un coup de pinceau et attaque la mère d’un trait, vif, bruyant, définitif. Alison dessine une grosse chose prétentieuse, une figure de proue surmontée d’une tête placide, une ligne descendante à la place de la bouche. On pourrait croire à une esquisse, à un décor de fond, à du remplissage, mais il n’en est rien, on le sait. La mère a senti le danger et s’en émeut. Elle se lève, effleure le garçon au