159
pages
Français
Ebooks
2016
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
159
pages
Français
Ebooks
2016
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Publié par
Date de parution
05 septembre 2016
Nombre de lectures
6
EAN13
9782924594377
Langue
Français
Publié par
Date de parution
05 septembre 2016
Nombre de lectures
6
EAN13
9782924594377
Langue
Français
Les Éditions La Plume D’or
3485-308 Papineau
Montréal (Québec) H2K 4J8
http://editionslpd.com
Table des matières
Chapitre 1 9
Chapitre 2 23
Chapitre 3 36
Chapitre 4 57
Chapitre 5 79
Chapitre 6 102
Chapitre 8 158
Chapitre 9 169
Chapitre 10 173
Chapitre 11 184
Épilogue 188
La femme accidentelle
Suzanne Rhéaume
Conception graphique de la couverture: Ester Perron et M.L. Lego
© Suzanne Rhéaume, 2016
Dépôt légal – 2016
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
ISBN:978-2-924594-37-7
Aussi disponible en format papier et PDF
Les Éditions La Plume D’or reçoivent l’appui du gouvernement du Québec par l’intermédiaire de la SODEC
À mon amour,
À mes enfants et petits-enfants,
Ma lumière à tout jamais.
Ti amo
Ce n’est pas le doute qui rend fou:
c’est la certitude
Nietzche
Chapitre 1
Soupir saccadé, chagrins dissimulés, Samuelle regardait par la fenêtre avec sa solitude coutumière, attendant qu’on réalise qu’elle était encore là. Le chauffeur n’allait pas tarder. Ce soir, l’ambassadeur de la France organisait une réception pour annoncer le lancement du nouveau cru de la Commanderie de Bordeaux et il serait de mise qu’elle y assiste. C’était la moindre des choses. Cette vie lourdement hypothéquée ne lui appartenait pas. S’il y avait eu un intertexte, c’est le message qu’elle aurait reçu dans la note de service de son conjoint. Bertrand Bergeron préparait sa prochaine cabale politique avec son cercle interne et sous aucun prétexte elle ne pouvait être admise au sein de ce sanctuaire. Qu’importe, puisque leurs nombreuses manigances la rendaient totalement indifférente. Et eux aussi, d’ailleurs. Au même titre qu’elle à leur endroit, ces gens ne faisaient que la tolérer.
Elle pouvait entendre le personnel de soutien qui s’affairait dans le hall d’entrée du chalet du lac Harrington, la résidence d’été officielle du premier ministre et de sa famille, sise dans les collines de la Gatineau. Pour elle, c’était un havre de paix, loin de la vie publique. Pourtant, lorsqu’elle regardait l’autre côté de la glace, elle avait l’impression d’épier le refuge d’une âme sensible. Elle n’avait pas le droit aux collines vertes qui s’étalaient avec nonchalance entre les rochers et les petits lacs silencieux. Elle frémit et ferma doucement les yeux pour laisser l’indolence s’installer par osmose. Portant le bout de son index sur sa lèvre inférieure, elle étouffa un sanglot discret. C’était tout ce qu’elle pouvait se permettre de ressentir. Elle pensait à l’ivresse qu’elle avait palpée, jadis, dans la vieille Citroën DS bleue, alors qu’ils roulaient vers le lac Meech au son de la chanson I’m Your Man de Leonard Cohen qui jouait à la radio . Une main sur le volant et l’autre en train de descendre sa fermeture éclair, Bertrand l’avait souvent savourée. Elle savait qu’il la regardait. Le plaisir de la peau était une délectation pour la séductrice parfaite, rôle qu’elle s’était alors imaginé.
Elle avait trouvé en Bertrand le partenaire idéal, lui qui comprenait le paradoxe de la dignité humaine dans l’acceptation radicale de l’obéissance. Pour ne rien sentir de la vraie vie, le fait de laisser l’homme lui faire mal constituait pour elle une anesthésie volontaire. Sachant que cette douce dépendance la soulageait profondément du passé, Bertrand en profitait. Les bourreaux sont ainsi.
La peau rafraîchie par la baignade, la poussière de la ville complètement purgée, elle se souvenait du moment où Bertrand ouvrait discrètement un Merlot dans le stationnement du lac Meech. Lorsque la bouteille vide ferait son arc pour retrouver la banquette arrière de la Citroën, elle aurait séché sa chevelure et endossé une robe de coton d’été, le genre de robe qu’un homme aime déchirer comme la femme qui la porte. En souriant silencieusement, Bertand passait sa main solidement sur les seins durs de sa blonde qui se laissait faire. Elle adorait être une femme taponnée; c’est du moins ce que son copain lui murmurait en lui pinçant le bout des mamelons, maintenant qu’il avait délogé les seins du soutien-gorge en dentelle. Entre le stationnement du lac Meech et celui du restaurant en bordure du parc de la Gatineau, avant que le beaujolais perde son effet, c’était un rituel que d’aller se cacher dans une talle de bois pour se savourer, le ventre encore réchauffé.
Au resto, ils dégustaient les plats du chef, un steak tartare pour elle, un saumon fumé pour lui. À la pénombre, le reflet des chandelles sur les tables enveloppait les tête-à-tête dans une bulle discrète. Les yeux cherchaient pour goûter. Une bouchée lente, un soupir dévoilé par une langue humide, un frottement de la jambe sur l’autre corps chaud, l’odeur de l’été sur une peau moite basanée, Samuelle anticipait avec impatience la tension qui la tiraillait au bas du ventre. Elle se mordait la lèvre inférieure pour signifier qu’une dégustation érotique d’une agape à deux les attendait.
Plaisir de la bouche et tout ce qui vient, elle croyait que la vie de couple serait ainsi pour toujours. Après les frissons, elle se voyait sur le bord du précipice. Bertrand ne la laisserait jamais chuter dans l’intolérable incertitude et la ramènerait tranquillement vers la réalité. Elle avait perfectionné le rôle du caméléon affectif en maîtrisant l’art de la séduction à la renverse. Le bal des fous, comme elle disait, parce qu’il y a du plaisir dans la douleur. Garder sa dignité était admettre qu’elle était exigeante au niveau de ses relations sexuelles. Pour elle, la sexualité était un droit acquis et l’amour, une contradiction. Il faut tout chavirer pour demeurer dans cet état d’incertitude, voisine de la peur et de la jalousie. La douleur physique est plus fidèle parce qu’elle a un début et une fin. Elle soulage le mal de vivre en purgeant avec une grande efficacité. Bertrand avait le tour de la vider de ses émotions et c’est ce qu’elle voulait. Quand il n’y a plus de sentiment et que seul le corps répond, on peut jouer avec le feu sans la protection de sa carapace affective. C’était cela qu’elle aimait le plus: ce plaisir qu’on retrouve volontairement dans la douleur érotique et la séduction venimeuse.
La séduction est une vendeuse d’émotions et de sensations fortes. Pourtant, pour Bertrand, avoir des sentiments était une faiblesse de caractère. Il valorisait plutôt ce qui les avait provoqués. Pour lui, la douleur physique était plus adroite que l’émoi parce qu’elle descendait jusqu’aux racines les plus profondes de notre être. Vivre est un privilège, répétait-il tout bas à Samuelle tout en collant sa joue humide sur la sienne et en lui faisant subir ses supplices. Malgré l’aspect physique de leur relation, Bertrand savait quelles émotions pouvaient agresser sa belle à son insu. C’était son mantra préféré pour la punir, lui qui très souvent lui reprochait de ne pas être l’épouse parfaite. Ce qui le décevait tant est qu’en plus de consentir à tout, elle ne résistait jamais. Dans sa douleur, elle était égoïste. Jamais il n’y avait de combat ou de lutte digne de l’effort qu’il déployait. À ses yeux, la femme qui gémissait le dos arqué sous les pulsions de sa virilité était loin d’être la séductrice qu’il avait tant espérée. Elle était plutôt devenue un fardeau, surtout quand elle s’accrochait à lui en pleine crise de dépendance affective. Dans sa douleur, elle était souvent confuse et il aimait cultiver ce désarroi.
Sam ignorait quelle valeur émotive attribuer à cette souffrance prometteuse. Chose certaine, on honore toujours nos bourreaux et on veut les protéger. Après tout, ne l’avait-elle pas fait pour son père? Quand ce dernier en avait fini avec elle, il lui répétait constamment que la sexualité avant l’âge de huit ans était la meilleure. C’est ainsi que son initiation dans le club exclusif des femmes taponnées l’avait conditionnée à s’adapter aux situations que son père, et plus tard Bertrand, lui imposaient. Le désir est sournois et il aime trahir les victimes. C’est la genèse de la culpabilité. L’enfant en elle avait appris à accommoder en calquant