L’EUNUQUE ET L’EMPEREUR , livre ebook

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Au XIVe siècle, sous le règne de l'empereur Mansa Moussa, l'homme le plus riche de tous les temps, un esclave est en quête de justice. Une histoire de vengeance et d'amour.
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Date de parution

20 juin 2024

Nombre de lectures

381

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

SOLO NIARÉ
L’EUNUQUE ET L’EMPEREUR
Roman
 © Nimba Éditions 2024  © Solo NIARE 2024
Publié en accord avec l’Agence littéraire Astier Pécher 1
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LA RETRAITE DES MARGINAUX
*  Ils étaient trois à attendre, dissimulés entre des monticules couverts de broussailles, en plein territoire des « escabeaux du diable », nom donné aux nombreuses termitières qui tapissaient cette partie de la brousse. La zone était qualiée de « maléque ». Peu de personnes s’y aventuraient, mais Kounandi et ses protégés, Bolokéléni, le manchot, et Kônôba, l’adolescent, étaient loin de s’en inquiéter. Ils observaient tranquillement les alentours, comme s’ils guettaient le passage d’un gibier, attentifs, patients et discrets. Ils disposaient d’une vue panoramique sur toute la savane.  Abdoul, l’intendant général des forges impériales, avait été formel sur le lieu et le moment du rendez-vous. Membre de la même confrérie secrète des simbo* que Kounandi et au nom du pacte secret qui les liait, il avait dû l’informer au plus vite de la situation. Il avait levé une escorte d’une dizaine de gardes pour rejoindre Kounandi et lui apporter la nouvelle dans sa retraite forestière de Léfarani.  Le territoire des « escabeaux du diable » allait être le théâtre d’un rite d’offrande aux djinns*. Les parents étaient censés déposer leur enfançon sur une termitière naine, avant de s’éloigner. La tradition recommandait de sacrier aux djinns les nouveau-nés affectés de malformations. D’après les nouvelles croyances qui avaient commencé à régir la vie de l’empire du Mâli, l’enfant handicapé connaîtrait un meilleur destin auprès de ces créatures surnaturelles.  Mais Abdoul, Kounandi et les membres de la communauté des simbo constituaient une minorité qui ne partageait pas cette vision du monde. La résistance qu’ils opposaient aux nouvelles croyances était prudente, car ils étaient conscients de n’être pas assez nombreux pour organiser une riposte frontale et solide, à la hauteur de l’enjeu. Tout en sachant que ces pratiques venaient
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des « pays du sable » à l’inuence de plus en plus indéniable ils témoignaient en public un attachement sans faille à cette culture, qu’ils haïssaient au plus profond d’eux-mêmes, malgré leur statut de dignes représentants des instances du pouvoir.  Cette forte acculturation perdurait depuis près de trois cents ans déjà, l’une des résultantes de la déferlante des Almoravides au XIe siècle sur l’ancien Ghâna, qui s’étendait de la bande sahélienne aux rivages de l’océan Atlantique, l’empire sur les cendres duquel avait prospéré l’empire du Mâli sur lequel régnait à présent le souverain Mansa Moussa.  Kounandi et les simbo œuvraient dans l’ombre pour ralentir l’avancée de cette vague. La discrétion formait l’unique recours à leur portée. Que pouvaient-ils faire d’autre ? La tâche demeurait extrêmement ardue, ils en étaient conscients. Depuis le retour de Médine de Kounandi, un regain d’espoir s’était manifesté chez les simbo, en première ligne de ce combat. Ces derniers irréductibles se réunissaient dans le plus grand secret pour discuter de stratégies et de leur mise en action, sans éveiller de soupçons. Ce subtil guet-apens, qui s’organisait contre les parents de l’enfant, désigné comme offrande, en faisait partie.  Kounandi escomptait beaucoup de cette action, car, une fois recueilli, l’enfant deviendrait son troisième protégé. Il le recevrait comme il l’avait fait pour Bolokéléni et Kônôba. Léfarani, son village, qu’il cherchait à réhabiliter, compterait alors un nouveau locataire : le quatrième.  La petite équipe avait sufsamment pris connaissance du lieu et estimé dans les détails où le couple serait susceptible de déposer son enfant. L’œil aux aguets, ils attendaient patiemment leur arrivée sous le soleil.  Une grosse botte de paille sèche servait de support au manchot. De sa main valide, il en tirait quelques fétus et les alignait en tas devant lui. Son moignon ne semblait pas le gêner,
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mais il en voulait à la justice impériale et vivait son handicap dans une amertume contenue.
 Une èvre de l’or embrasait le pays. Tous les gisements aurifères avaient été pris d’assaut par le pouvoir en prévision du pèlerinage que lemansa* s’apprêtait à effectuer à La Mecque. Des milliers d’ouvriers, venus de leur propre chef ou réquisitionnés, avaient été mobilisés pour extraire une quantité phénoménale d’or dans les mines. Pour d’autres, c’étaient leurs récoltes agricoles qui avaient servi à approvisionner les entrepôts disséminés sur le parcours des pèlerins qui accompagneraient le cortège impérial. Ces préparatifs avaient eu pour effet de créer une situation de famine. À la nuit tombée, certains habitants des villes, dont Bolokéléni, n’hésitaient pas à aller piller ces stocks de denrées alimentaires relevant de l’administration…  Pris la main dans le sac, il écopa de la peine attendue. Qu’il s’agît d’un délit contre la couronne constituait une circonstance aggravante. L’annonce de la mutilation avait rapidement fait le tour de la capitale, Niani. Les autorités religieuses souhaitaient que le plus grand nombre de personnes assistent au châtiment sur la place du grand marché, pour qu’il servît de leçon. Quelques djéli* et troubadours, munis de leur tambour, avaient investi ruelles, souks, parvis des mosquées et tous les endroits où ils pouvaient rencontrer les habitants. Ils s’égosillaient à les inviter à ce rendez-vous important pour l’empire.  C’était un vendredi, juste après la prière musulmane de la mi-journée. Il faisait chaud, le soleil entamait la seconde moitié de son parcours. Les imams de toute la ville, pendant leur prêche, avaient recommandé à leurs dèles de se rendre sur la place publique et d’assister au châtiment de l’ennemi du pèlerinage
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du mansa. La priorité impériale méritait l’adhésion de tous et aucune indulgence ne pouvait être accordée.  Des badauds s’étaient agglutinés autour de l’échafaud, sur lequel on vit arriver le supplicié. À sa suite avançaient plusieurs gardes, puis un religieux, habillé d’une soutane ocre, qui effectua une entrée théâtrale. L’homme ofciait comme le bourreau du jour. Sa présentation dans cet accoutrement était conçue pour susciter la crainte et, d’ailleurs, un silence impressionnant entoura son apparition. La masse des spectateurs se tut jusqu’à ce qu’il fût au milieu de la place de l’exécution. Tous ses faits et gestes étaient scrutés dans leurs moindres détails. Conscient de l’effet qu’il produisait, il conserva un regard sombre et impassible que personne n’osait croiser.  Perdu dans la foule aux côtés de ses amis — Abdoul, l’intendant, Yacoub, qui n’était autre que le grand imam du palais, et Shaïkou, le commandant en chef de la garde impériale —, Kounandi se montrait très discret. Il assistait, ahuri, à la mutilation publique et se demandait pourquoi ces personnages haut placés de la cour laissaient faire cela. Mais, au lieu de mettre n à cette séance de torture, les trois autorités semblaient curieusement aller dans le sens de la populace. Kounandi partageait pourtant avec eux la condence d’une résistance secrète contre l’influence étrangère, dont cette exécution publique était un des emprunts.  Il était extrêmement confus… Il ne reconnaissait plus l’empire auquel il avait été arraché, quand il était adolescent.  Kounandi était arrivé depuis peu de temps de Médine, en Arabie, après s’être soustrait à une captivité longue de vingt-deux années. Une mésaventure dont les stigmates étaient encore tout frais. Une histoire tellement unique qu’il lui serait impensable de la narrer et de garder l’air crédible.
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 À quatorze ans, il avait été enlevé par des ravisseurs et amené de force, enchaîné avec une troupe d’une centaine de captifs, vers le Nord lointain. Dans son groupe, certains avaient été razziés dans leur village et d’autres dans des retraites initiatiques ou rencontrés par hasard par les mêmes chasseurs d’esclaves venant des « pays du sable ».  Il s’était ensuivi un périple de deux ans à travers le désert, où ses ravisseurs le trimballèrent entre les marchés les plus réputés de vente d’esclaves. En aucun cas, il ne pouvait imaginer, même dans ses cauchemars les plus fous, la condition humaine se redénir avec autant de violence.  Une foule de badauds, complètement euphorique, assistait à la mutilation publique. L’incompréhension de Kounandi grandit encore face à la ferveur provoquée par ce spectacle, qu’il trouvait cruel au plus haut point. « Comment peut-on se réjouir d’une telle monstruosité ? » ne cessait-il de se répéter, scrutant les visages radieux autour de lui.  — Allah Akbar ! Voici le voleur Tièmba allégé de sa main satanique comme son nom ! Allah Akbar ! Allah Akbar ! annonça le geôlier au public, le bras levé et le poing fermé en signe de victoire.  En retour, la foule martela la même formule dans une impressionnante communion, étouffant les râles de l’estropié qui se vidait de son sang. Tièfimba se tordait de douleur. Son regard restait xé sur les spasmes nerveux de sa main sectionnée, comme s’il l’implorait de revenir à sa place.  Kounandi s’en voulut de n’avoir pu éviter cette mutilation. Il avait sollicité l’aide de ses compagnons, dont la voix comptait dans la ville. Mais hélas, leur impuissance était totale face à une décision de justice tirée des livres religieux.
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 — Shaïkou, serait-il possible de les empêcher de l’emmener de force dans une école coranique, comme c’est le cas après ce type de châtiment public ?  — Dès qu’il s’agit de loi dictée par la religion, tout citoyen (même le plus insignifiant, pourvu qu’il soit musulman) peut s’opposer à n’importe quelle autorité de l’empire. Les recommandations divines sont au-dessus de tout. C’est un zèle auquel nous sommes fréquemment confrontés. Ces gardes sur l’estrade savent que je suis le commandant de la garde impériale. Je ne garantis rien, mais je vais essayer…  — Et si c’était moi, le propriétaire de cette école coranique ? suggéra Kounandi, après avoir sorti de ses bagages un long turban qu’il noua autour de sa tête, sur sa coiffe donso.  Jouant des coudes, il se fraya énergiquement un chemin à travers la multitude, laissant Shaïkou sur place, qui ne comprit rien à sa brusque réaction. Il tenta de le retenir, mais en vain : Kounandi avait pris beaucoup d’avance.  — Allah Akbar ! Lahilaha ilalah washadou ana muhammadun rasûlu-llâhi*, se mit-il à clamer à pleine voix, tout en se ruant sur l’estrade.  La foule — surprise par sa fougue, sa voix presque juvénile qui portait très haut dans les aigus et son apparence plus qu’insolite — n’avait d’attention que pour lui. Les spectateurs s’écartèrent pour lui céder le passage. Il enjamba la barrière qui les séparait de la scène et, d’un autre bond agile, il se retrouva sur l’échafaud, auprès du supplicié. Il fut tellement rapide que les gardes n’eurent pas le temps de réagir.  — Salam aleykoum wa rahmatullah wa barakatuhu. Que la paix et la miséricorde d’Allah soient avec vous, mes frères ! Qu’il vous bénisse pour ce que vous venez d’accomplir !
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 Tirant bénéce de l’effet de surprise et de l’engouement collectif, il harangua la foule, en lui faisant répéter des « Allah Akbar » entre chaque phrase.  — Qu’Allah bénisse ce valeureux religieux et les gardes ici présents ! Allah Akbar ! Tout être est perfectible, Allah Akbar ! Grâce à Allah, ce Tièmba, qui s’était égaré, sera utile à la société.Merci de l’avoir débarrassé de la main satanique qui le mettait sur le mauvais chemin. Allah Akbar ! Moi, Bilel, je l’amènerai sur la voie de la rédemption par la grâce d’Allah, le Tout-Puissant. Allah Akbar ! déclama avec éloquence Kounandi en arabe, tout en traduisant simultanément ses propos en mandé.  Ébahis et très inquiets, ses compagnons simbo assistaient à la scène, craignant qu’un incident ne vienne mettre en péril son plan. Mais la désinvolture de Kounandi n’avait pas d’équivalent…  Toute l’assemblée tomba sous le charme de son jeu théâtral et n’avait plus de yeux que pour lui. Protant de la magie qui opérait, il improvisa alors une rapide séance de sermon sur le vol et ce que les textes de loi en afrmaient. Il usa d’un arabe encore jamais entendu dans la région, l’arabe littéraire. Sa diction — intentionnellement poétique en scandant chaque verset propice à argumenter son prêche — et sa prestance gèrent tout le monde. Il conclut par une série de « Allah Akbar » que toute l’assemblée reprit avec lui dans une ferveur générale.  Pendant que la foule l’ovationnait pour saluer son excellente prestation, Kounandi se saisit de la victime devant les gardes et le bourreau, plongés dans un état second. Ils étaient au bord de l’hypnose et n’opposèrent aucune résistance ; au contraire, ils l’aidèrent à l’acheminer vers l’arrière-scène. Après l’avoir couvert d’un voile, Kounandi lui posa un garrot sur l’avant-bras pour stopper l’hémorragie, puis l’installa sur un des ânes
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et s’engouffra entre les venelles de la cité. Avant qu’il n’y eût le moindre soupçon sur son imposture, il disparut au pas de course dans ce dédale.  — Tiens bon, Tièmba, nous allons bientôt sortir de Niani, je verrai ce que je pourrai faire pour ta blessure.  — Que vas-tu faire de moi, après ça ? t Tièmba en pleurs.  — Garde ton calme, je ne suis pas celui que tu crois. Tu comprendras hors de la capitale… Tiens bon encore quelques instants ! Sois fort !  Son « Sois fort » n’avait rien d’innocent : il lui rappela les conditions de l’ablation des glandes génitales qu’il avait lui-même subie sans compassion. Plus loin, aux portes de la ville, ils furent rejoints par Abdoul, Shaïkou et Yacoub, qui marchaient sur leurs pas.  — Bilel, Bilel !! l’interpella Shaïkou, essoufé et très émerveillé.  — Entre nous, c’est Kounandi !  — Désolé. C’est incroyable : tout le monde parle de toi en ville. C’est remarquable ce que tu viens de réussir. Comme imam, je n’ai encore jamais rencontré de religieux avec une telle prestance et une telle maîtrise des textes. Avec ce don, tu seras un grand dignitaire auprès du mansa.  — On a déjà discuté de cela : il n’y a aucune chance que je m’installe à Niani. Il fallait accomplir quelque chose pour ce malheureux, et c’est ce que j’ai fait. Je l’amène avec moi au village de Léfarani. Là-bas, nous serons tranquilles.  — Léfarani est si loin de nous ! Nous avons aussi le droit de nous inquiéter pour toi…  — Ma petite expérience représente une protection able, rassurez-vous. Restons mobilisés et, à Niani, soyez de bons vers dans le fruit. La discrétion doit demeurer notre mot d’ordre, même si nous sommes inniment minoritaires pour
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