178
pages
Français
Ebooks
2012
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Publié par
Date de parution
30 juillet 2012
Nombre de lectures
0
EAN13
9782764417768
Langue
Français
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Date de parution
30 juillet 2012
Nombre de lectures
0
EAN13
9782764417768
Langue
Français
Dédiée à la relève littéraire, la collection « Première Impression » offre aux auteurs émergents un espace de création unique pour faire leur entrée dans le monde des lettres québécoises.
Une collection dirigée par Isabelle Longpré
ANNICK CHARLEBOIS
PEUT-ÊTRE QUE JE CONNAIS L’EXIL
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Charlebois, Annick
Peut-être que je connais l’exil
(Première impression)
ISBN 978-2-7644-0628-1 (version imprimée)
ISBN 978-7644-1418-7 (PDF)
ISBN 978-2-7644-1776-8 (EPUB)
I. Titre. II. Collection.
PS8605.H368P48 2008 C843’.6 C2008-941085-8
PS9605.H368P48 2008
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.
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Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) Canada H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Dépôt légal : 3 e trimestre 2008
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Mise en pages : Salah Amrane
Révision linguistique : Diane-Monique Daviau et Danièle Marcoux
Conception graphique : Louis Beaudoin
Conversion au format ePub : Studio C1C4 Pour toute question technique au sujet de ce ePub : service@studioc1c4.com
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
©2008 Éditions Québec Amérique inc.
www.quebec-amerique.com
ANNICK CHARLEBOIS
PEUT-ÊTRE QUE JE CONNAIS L’EXIL
ROMAN
Pour Irvin et Élisabeth
Je suis né quelque part
Laissez-moi ce repère
Ou je perds la mémoire.
Maxime Le Forestier
Revenir d’exil comporte des risques,
comme rentrer une aiguille
dans un vieux disque.
Richard Desjardins
I
Il s’en est fallu de peu. Des pans complets de notre vie sont parfois déterminés par des bricoles, des hasards, une milliseconde d’hésitation devant le comptoir d’un magasin de matériel informatique. Avec le recul, je me rends bien compte qu’il y avait urgence. Au début du mois de novembre, le café où je travaillais allait définitivement fermer. Ça ferait un grand trou dans le quartier et certains de nos habitués auraient beaucoup de mal à se remettre de ce deuil-là. Pour ma part, je perdrais mon emploi et je ne reverrais peut-être jamais Miguel, mais je n’en savais rien, alors je laissais filer. On est bien présomptueux de se fier à la pérennité des choses, bien insouciants de penser qu’on a tout notre temps.
Miguel venait au café une ou deux fois par semaine. Toujours seul. Il disait bonjour en entrant, comme tout le monde, mais il le faisait avec une conviction sincère qui redonnait à ce mot tout son sens. Quand il disait bonjour, on avait l’impression que ça allait, en effet, être une journée formidable. Installé à une table d’où il pouvait observer mes moindres gestes je m’en étais vite aperçu , il commandait un espresso et le buvait en parcourant un journal en espagnol. Tout ce que je savais de lui, c’est qu’il mettait un demi-sachet de sucre dans son café. Je l’avais remarqué parce que chaque fois, après avoir minutieusement replié le sachet sur lui-même pour qu’il ne laisse pas échapper le reste de son contenu, il le replaçait parmi les autres. Un jour, je l’avais arrêté au beau milieu de son activité d’origami pour lui dire que ce qu’il faisait là ne servait à rien : personne n’allait prendre un sachet de sucre déjà ouvert. Il m’avait répondu en souriant : « Moi, je le prendrais. »
Pour la première fois, je voyais Miguel ailleurs qu’au café. En sortant du magasin de la Plaza Saint-Hubert où j’espérais faire réparer mon imprimante, je suis arrivée face à face avec lui. Il voulait acheter un vêtement pour son fils qui aurait bientôt cinq ans. Pour qu’il soit beau pour son anniversaire. J’avais bien fait de ne pas lui manifester trop d’intérêt : il était marié, il avait un fils, il n’y avait pas de place pour moi dans son histoire.
Miguel m’a montré avec fierté la photo d’un bambin de deux ans, Gabriel, puis m’a demandé si j’acceptais de l’aider dans son magasinage. Comme si ça allait de soi. Comme si, en tant que femme, j’étais forcément plus compétente que lui pour choisir du linge d’enfant. Je n’ai pas d’enfant, je ne connais aucun petit garçon de presque cinq ans et je n’ai aucune idée de ce qui peut être beau pour un Latino-Américain. Tout ce qui m’est passé par la tête, c’est « quelque chose avec des froufrous ». En fait, l’image qui m’est venue en additionnant mentalement les concepts « enfant, beau, Plaza Saint-Hubert et Latino », c’est la robe de première communion de type gâteau de noces de Luisa Di Campo, une fillette d’origine italienne qui était dans ma classe quand j’avais sept ans. Ce qui n’avait strictement rien à voir.
J’ai dit à Miguel que la mère du petit serait sans doute mieux placée que moi pour l’aider dans ses achats, mais il m’a répondu qu’elle vivait à New York. Elle l’avait quitté trois ans plus tôt et avait emmené Gabriel aux États-Unis. Miguel n’avait pas revu son fils depuis. Mon cœur s’est fendu en deux et j’ai dit oui, déterminée à être la plus extraordinaire magasineuse de vêtements pour enfants de tous les temps.
Au fil des boutiques, j’ai appris que Miguel venait du Salvador, un endroit dont je n’avais à peu près jamais entendu parler. Sa mère et ses sœurs étaient encore là-bas ; son père aussi, peut-être, mais Miguel ne l’avait pas connu. Lui, il avait fui son pays à dix-huit ans pour échapper à une guerre civile que nos médias ont depuis longtemps cessé de commenter au profit de conflits plus frais ou impliquant des pays mieux pourvus en pétrole. Ça fait cinq ans que Miguel est ici. Avant de migrer vers le Canada, il a vécu quelques années à New York, mais Manuela est tombée enceinte, et pour Miguel, il était absolument hors de question que Gabriel naisse aux États-Unis, fils de deux « illégaux ». Il était donc né à Montréal, fils de deux réfugiés, et bientôt, il célébrerait son cinquième anniversaire joliment vêtu d’une chemise à carreaux verts et bleus sans froufrous et d’un débardeur marine.
Quand nous sommes sortis du magasin, la nuit était tombée et il pleuvait des cordes. Miguel était à pied, j’ai offert de le raccompagner. Devant son immeuble, il m’a remerciée, puis, après un petit silence, il m’a demandé s’il pouvait m’embrasser. Je lui ai dit oui pour la deuxième fois de la journée.
Nous sommes restés un long moment dans la voiture à écouter la pluie tambouriner sur la tôle. Le son qu’elle faisait était à la fois pétillant et apaisant. Il correspondait exactement à mon état. Je ne me souvenais pas de m’être déjà sentie aussi bien. Puis, Miguel m’a invitée à entrer chez lui. Instantanément, la Justine qui doute, qui pense trop, qui s’inquiète pour des riens est revenue au galop. Si on faisait l’amour maintenant, ça voudrait dire que ça n’avait pas vraiment d’importance. Ce serait une aventure d’après magasinage et ça s’arrêterait là. Miguel aurait ce qu’il voulait et il ne s’intéresserait plus à moi. En prime, il penserait que les Québécoises sont des filles faciles. J’ai dit qu’il valait mieux qu’on attende un peu. Il a dit d’accord, m’a donné son numéro de téléphone, est sorti de la voiture, m’a fait au revoir de la main et est entré dans son immeuble.
Je suis retournée chez moi en me maudissant tout le long du chemin. Le bien-être ressenti un peu plus tôt avait complètement disparu : le bruit de la pluie était agressant, j’avais envie de pleurer, j’avais froid, je me trouvais parfaitement ridicule.
D