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EAN : 9782335050318
©Ligaran 2015
Ni trop ni trop peu
Conte moral
Le sieur de Ratonville, dit le Bref, eut tant d’amour pour le laconisme, qu’il abrégea jusqu’à son nom, et se fit appeler Raton, ou Bref, tout court. On peut dire qu’il était né au sein de la précision. Son père était un riche négociant, toujours renfermé dans les bornes exactes du calcul, et sa mère, qui devait le jour et l’éducation à un géomètre, réglait tout au compas. Le petit Raton, dès l’enfance, ne parlait que par monosyllabes, et n’achevait jamais ses phrases ; il ne lisait que des abrégés, des extraits, des précis ; Bref en était un lui-même par sa taille. On le pressa de prendre un état : il n’embrassa point le parti du commerce, ni celui de la finance, par le goût si commun que les enfants ont pour la profession de leur père, et pour celle qui semble y avoir le plus de rapport : il parcourut tous les autres états. Il fut homme de robe un jour ; les formalités et l’éloquence prolixe du barreau l’impatientèrent. Il fut abbé une semaine ; le verbiage de l’école l’excéda. Il fut militaire deux mois entiers ; cet état lui parut charmant. Il y trouva d’abord, dans les procédés et dans les propos, cette aimable précision qu’on cherche en vain ailleurs, et qu’on ne rencontre que là. Il y serait demeuré, mais il fallait trop attendre pour parvenir aux premiers grades ; l’ordre vint d’ailleurs de partir pour la Westphalie ; le trajet lui parut trop long ; Bref essaya tout, et ne fut rien. Quand on a le bonheur de naître riche, on peut vivre inutile impunément. Raton jugea donc l’indépendance le parti le plus commode ; il s’y fixa : mais, du caractère dont la nature l’avait formé, il n’y put éviter l’ennui qu’il fuyait, et qu’il rencontrait partout. Il ne trouvait le point de précision nulle part.
Dans un cercle, quelqu’un contait-il la nouvelle du jour, il interrompait l’historien au milieu de son récit, en se récriant : « Trop long ! »
Dans un souper, servait-on l’entremets, il se levait brusquement de table, en répétant toujours : « Trop long. »
À la comédie, il ne restait qu’à la petite pièce, ou qu’au cinquième acte de la grande ; le débit lent de la tragédie le désolait ; à peine l’acteur avait-il prononcé dix vers de suite, que Raton sortait du théâtre en murmurant tout haut : « Trop long, vingt fois trop long ! »
À l’Opéra, il n’entendait jamais que le dernier air, et à chaque reprise, il chantait constamment : « Trop long. »
C’était son refrain.
Un mardi il entra au parterre ; il eut, pour la première fois, la patience de voir un ballet entier : mais comme il était petit et précis en tout, il trouvait tous les spectateurs trop grands, et toutes les danses trop longues. Dès qu’un voisin lui masquait la vue d’une danseuse qu’il lorgnait, il répétait sans cesse :
– Trop grand ! morbleu, trop grand !
Et chaque fois que l’on recommençait le même pas, il criait impitoyablement :
– Trop long, encore un coup, trop long !
Un grand officier de dragons, qui était auprès de lui, impatienté de ses exclamations, l