222
pages
Français
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2018
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Publié par
Date de parution
18 mai 2018
Nombre de lectures
2
EAN13
9782342161137
Langue
Français
Philibert, bachelier provincial, arrive à Paris pour ses études supérieures. Il va y découvrir un monde étudiant en pleine effervescence, une vie parisienne en trompe-l'œil, les charmes de jeunes filles plus ou moins sages ou délurées, tout en étant confronté à sa propre solitude. Sensible, intelligent mais introverti et encore naïf, il se retrouve mêlé, à Nanterre puis à la Sorbonne, aux événements de Mai 1968. Étonnements et tribulations vont lui faire faire l'apprentissage de la vie et de la société des « Trente Glorieuses ». Ses aventures amoureuses, sa rébellion à contre-courant et sa personnalité le mèneront jusqu'à l'impensable !
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Date de parution
18 mai 2018
Nombre de lectures
2
EAN13
9782342161137
Langue
Français
Mai 68, elles m'aimaient !
Patrice Carlen-Helmer
Mon Petit Editeur
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Mai 68, elles m'aimaient !
« Rien ne saurait rendre l’impression d’infinie solitude, de veuvage, de néant, que donne, l’hiver, cette “Baie des Âmes”, boé an anaon , comme l’appellent les Bretons, en leur langue, d’un mot sourd et plaintif, emprunté, dirait-on, au vocabulaire de l’au-delà. La puissante lamentation de la mer, tantôt éclatait en sanglots, tantôt se traînait en longs gémissements… »
Anatole Le Braz, Impressions de Bretagne , 1896
There shines a light in the heart of man
That defies the dead of the night
A beam that glows within every soul
Like wings of hope taking flight
Somewhere there’s a paradise
Where everyone finds release
It’s here on earth and between your eyes
A place we all find our peace
Come, open your heart
Reach for the stars
Believe your own power
Now, here in this place
Here on this earth
This is the hour
Vangelis, Dana Winner, Conquest of Paradise
Ne jamais suivre les modes !
Pour Alixe et Marcelline
Et en mémoire d’Albert
Chapitre 1. Paris !
Dimanche 1 er octobre 1967.
Je ne me souviens guère des détails de mon arrivée, j’ai une mémoire de poisson rouge. Débarquant de Lyon, ce devait être gare de Lyon… Aucun souvenir non plus de pluie ni de soleil ni des circonstances du voyage… Si ! je me rappelle le taxi : une Ariane G7 rouge et noire. À peine l’adresse donnée, elle se mit à filer à travers les embouteillages qui obstruaient le labyrinthe des rues et des boulevards auxquels j’affectai de prêter peu d’attention, feignant de lire mon journal : j’étais soucieux que le chauffeur ne me prît pas pour un provincial débarqué de son terroir. Moi aussi j’étais de Paris ! Peut-être plus que lui. J’étais né à Paris, de parents parisiens issus d’une lignée de trois générations de petits commerçants et de gens de maison déracinés de leur glèbe comme la presque totalité des vivants de Ménilmontant et des morts du Père-Lachaise. Mine de rien, nonobstant, je tâchai de me repérer d’après le Plan Guide Blay que j’avais étudié, convaincu que le chauffeur essaierait de m’arnaquer. Nous arrivâmes ainsi avenue de Lamballe dans le seizième, là où demeuraient les Nandel qui avaient loué à mes parents ma future chambre d’étudiant.
Tout compte fait, je crois qu’il faisait beau. En tout cas, dans ma tête le soleil faisait fête. Et puis c’était le jour où, pour la première fois, l’ORTF diffusa des programmes en couleurs. C’était de bon augure.
Je fus accueilli par la famille endimanchée, au grand complet, au garde à vous. Tenue kaki pour le mari, colonel efflanqué, grande baderne qui m’eut l’air paterne – ce qui ne m’empêcha pas d’être très impressionné : colonel, ça m’en imposait ! Son épouse… un peu falote, souriante par convenance et par éducation. Un couple sympathique équipé de bonnes manières. Milieu bourgeois catholique parisien ; ce n’était pas pour me déplaire. Intérieur de style ancien, parquet bien astiqué, meubles cirés, aucune poussière. J’allais oublier la marmaille : deux blondinets, culottes et chaussettes blanches, et une grande fille de seize à dix-sept ans qui me parut envisageable. Après les mots d’usage pour me réceptionner, Monsieur et son épouse m’accompagnèrent jusqu’au sixième, étage assigné aux étudiants de province et aux bonnes espagnoles qui trimaient chez les nantis de cet immeuble haussmannien.
Rare, compte tenu de l’époque : la chambre arborait radiateur et lavabo. Mais il fallait faire chauffer l’eau. Lit d’une personne, armoire à glace (biseautée !), bahut, réchaud, table-bureau ; plafond en soupente coquille d’œuf et fenêtre sur cour ouvrant sur un chéneau pour chat de gouttière en baguenaude. Au-delà, les toits gris de Passy.
Une fois installé, me sentant déjà seul, je courus chez ma sœur, Viviane la bien nommée, vive comme L’Eau vive de la chanson, priant pour qu’elle fût là (elle n’avait pas le téléphone et les mobiles n’existaient pas !). Elle était montée à Paris deux ans auparavant, logeait rue Ordener au pied de la Butte Montmartre. Je pris donc le métro, me délectant incontinent de cette odeur particulière dont les Franciliens se plaignent à qui mieux mieux : relents de décennies d’imprégnation humaine tout au long du parcours, de station en station, chacune s’affichant en lettres blanches sur fond bleu évoquant l’histoire de la France et du monde.
Vingt heures. Lamarck-Caulaincourt. Le défilé de la rame avait fini par m’abrutir. Après cinq heures de train, j’en avais plus que plein le dos. Repérage sur le plan de quartier : découverte du dix-huitième… rue Ordener… j’y étais ! J’avisai un peu plus loin l’escalier qui y menait. Descente de la rue du Ruisseau, virage à droite, cinquante mètres jusqu’à l’immeuble. Mon petit cœur bombardait : je n’avais pas vu ma sœur depuis un bon moment. Couloir, poubelles, cour intérieure, une porte… son nom était griffonné sur une carte punaisée sous une plaque de laiton gravée d’un « Anne-Catherine Bélize ». Je frappai… Bruit de pas, ouverture de l’huis… elle me tomba dans les bras. Ça sentait le frichti du soir ; Viviane aimait cuisiner, je ne mourrais donc pas de faim !
Deux ou trois bises plus loin :
— Ça va, petit frère ? Bon voyage ? Dis donc, ça fait un bail, ça fait plaisir de te voir !
— Alors, c’est là que tu vis…
— Avec Anne-Catherine. J’habite chez elle, en fait. Assieds-toi !
Anne-Catherine, sa meilleure copine, chantait au Lapin Agile . Le Lapin : une légende ! rue des Saules en contrebas de la vigne de Montmartre, bicoque rose aux volets verts, jardinet niché sous les arbres. Les mânes de Bruant, Dorgelès, Mac Orlan sont à traîner par là, suscitant des émotions dans le cœur des passants qui savent ; sans oublier l’âne du Frédé, Lolo Boronali, barbouilleur malgré lui. Quelles gloires ! quelles célébrités ! Je comptais sur Anne-Catherine pour me faire des relations et pouvoir tracer ma route dans le monde du spectacle. C’est émouvant les illusions, dans la tête d’un garçon de vingt ans qui ne connaît rien de la vie. Encore moins de la vie parisienne.
Notre tête-à-tête roula sur la famille, sa formation d’actrice au Cours Simon , ses panouilles sur les planches, son job alimentaire de jeune institutrice. Car il faut tout de même manger, satisfaire « l’Insatiable », ce despotique de corps qui nous gâte l’existence pour en fin de compte flancher au moment où l’on commence à se faire une idée de ce que c’est que la vie… « Salut la compagnie ! » éructe-t-il sans état d’âme, fatigué de nous servir depuis des décennies ; il nous lâche et le cœur avec, le cerveau, les viscères, les os ; les nerfs perdent les pédales, le désespoir s’installe et la neurasthénie. Il prend son temps, ne se presse pas, pour bien nous faire sentir que la sortie est imminente, que nous nous enfoncions dans le crâne que la fin est inexorable. Et un jour, une nuit, clac ! plus de son, plus d’image : le néant que personne ne veut, l’énigme kafkaïenne. Chacun espère bien sûr que ça n’arrivera pas avant de longues saisons, pas avant, merci, sans façons ! Alors, vous pensez, à vingt ans ! Je n’en étais encore qu’au début du roman.
Enfin bref, dialogue allègre avec Viviane sur des sujets futiles, quotidiens, réjouissants ; après tout, nous vivions au sein des Trente Glorieuses.
Soudain, à toute volée, la porte d’entrée s’ouvre pour laisser s’engouffrer une silhouette gracile : Anne-Catherine en transit, revenant dieu sait d’où pour manger un petit bout avant de repartir vers la scène du Lapin . Rebelote les bisous, les rires, les nouvelles, plaisir des retrouvailles après des mois d’absence. Dîner joyeux sur la table de la pièce à vivre – ça ne méritait pas le nom de salle de séjour… On mange, on boit, on dit n’importe quoi. Réconfortant de s’empiffrer avec, je crois me le rappeler, un bon petit coup de Chiroubles. Il faisait doux, on était bien, le transistor en sourdine diffusait les tubes du moment… The Letter , les Box Tops… Give me a ticket for an aeroplane …
Anne-Catherine nous quitta au milieu du repas pour aller pousser sa goualante. Je restai avec Viviane à évoquer des petits riens entre la poire et le fromage : souvenirs intimes, anecdotes enfantines, détails insignifiants que seuls connaissent les frères et sœurs ; vécu inaccessible aux étrangers à la fratrie. Un coup d’œil à ma montre : déjà l’heure de m’en aller pour attraper le dernier métro !
Voilà. Premier soir à Paris. Moi qui ne rêvais que liberté, je réalisai d’un coup qu’il me fallait des proches pour me sentir serein dans mon exil. Alors, pincement au cœur d’avoir à retourner dans ma chambre de solitude. « Liberté ! Liberté chérie ! » Oui, bien sûr, évidemment… à condition de jouir d’empathiques sympathies. Je n’étais pas encore mûr pour les odyssées solitaires. Besoin d’affection à portée de mon cœur en manque, d’une présence chaleureuse qui me prouvât que j’existais ; du moins pour quelques-uns…
Le jeudi suivant, Viviane m’invita à déjeuner chez elle. Le jeudi, à l’époque, il n’y avait pas d’école ; quant à moi j’avais décidé, malgré mon sentiment de culpabilité, de sécher les cours de l’après-midi. Le dessert terminé, nous sortîmes au cinéma, sur les grands boulevards où il y a tant de choses à voir ! El Dorado en l’occurrence, remake de Rio Bravo , deux westerns de Howard Hawks. J’étais passionné de westerns : les poursuites infernales, les diligences fléchées par les Indiens, les cow-boys au menton viril, le