80
pages
Français
Ebooks
2015
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Publié par
Date de parution
18 mars 2015
Nombre de lectures
3
EAN13
9782764429372
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Publié par
Date de parution
18 mars 2015
Nombre de lectures
3
EAN13
9782764429372
Langue
Français
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Québec Amérique est fière d’offrir un espace de création aux auteurs émergents ; avec la mention « Première Impression », elle souligne la parution de leur premier livre.
Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique : acapelladesign.com
Mise en pages : Pige communication
Révision linguistique : Diane-Monique Daviau
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain
Ce roman tient compte de la nouvelle orthographe.
Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Fortin, Mylène
Philippe H. ou La malencontre
(Collection Littérature d’Amérique)
Pour les jeunes.
ISBN 978-2-7644-2923-5 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-2936-5 (PDF)
ISBN 978-2-7644-2937-2 (ePub)
I. Titre. II. Titre : Malencontre. III. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8611.O777P44 2015 C843’.6 C2015-940072-4 PS9611.O777P44 2015
Dépôt légal : 1 er trimestre 2015.
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2015.
quebec-amerique.com
À ma sœur
C’est la nature des relations qui s’établissent entre nous et [ l’être ] que nous aimons, la nature de l’expérience extraordinaire que nous vivons, qui rendent différente et extraordinaire la personne aimée et, plus profondément, qui nous rendent tous deux différents et extraordinaires.
Francesco Alberoni
1
Avec casque
Philippe H. s’est glissé sur la banquette arrière du taxi. Philippe H. avec son odeur de vie, de vie qui n’en finit pas de vibrer, de s’éveiller. Je lui résistais très bien avant, irréprochable. Mais en moins de deux, la portière et ce demi-dieu se sont serrés sur mon corps comme un étau et, sans avertissement, mon nez s’est niché dans le cou de Philippe H.
L’odeur a provoqué une sensation mille fois plus exaltante qu’un tour de manège : une sensation relevant d’un registre sacré, divin. La main de Philippe H. s’est posée sur ma cuisse. J’ai senti mon ventre s’agiter, mon sciatique élancer jusque dans ma jambe. Mes doigts ont plongé au fond de mon sac à main, fourragé fiévreusement, tâté mon brillant à lèvres, un stylo-bille, mon portefeuille. Je me suis rappelé que mon sac était fait de tripes de vélo, le mot « tripes » a résonné dans ma tête, des entrailles se sont immiscées dans mon imagerie mentale. Ventre ballon, cage thoracique, ventre ballon, cage thoracique, ventre ballon, cage thoracique. L’ongle de mon petit doigt s’est retourné, j’ai crié : « Rue Chambord, c’est ici ! »
Dès l’arrêt du véhicule, j’ai fourré quelques billets dans la main du chauffeur, foncé sur la porte de mon condo, replongé la main dans mon sac de tripes, rencontré une substance visqueuse jaillie d’un tube de crème mal fermé, saisi une clé poisseuse, glissé la clé dans la serrure, poussé de toutes mes forces. La porte a cédé brusquement pour me laisser choir dans le corridor encombré de chaussures. Le taxi tournait sur la rue Marie-Anne. Personne en vue. Philippe H. et son odeur de fin du monde quittaient mon champ magnétique. Ouf !
Un désordre épouvantable régnait dans l’appartement. Sur la table du salon, une feuille blanche portait les gribouillages d’un maigre plan de travail. Un trait traversait la page. À gauche, désir débridé, extase et tourment. À droite, désir sage, tranquillité et déception. De toute évidence, j’avais affaire au premier type de désir, celui qui vous assène un coup droit au cœur, vous foudroie sur place.
Aux grands maux, les grands moyens. J’ai mis mon casque, enfourché mon vélo de route.
L’air ni chaud ni froid dans la ruelle s’harmonisait si parfaitement à la température de mon corps que l’impression de m’infiltrer dans un monde irréel ne me quittait pas. Je t’aime parce qu’inexplicablement j’aime en toi quelque chose de plus que toi. Surgie dans mon esprit, la phrase lacanienne s’accordait au rythme du pédalier. Je t’aime parce qu’inexplicablement j’aime en toi quelque chose de plus que toi je t’aime parce qu’inexplicablement j’aime en toi quelque chose de plus que toi. La répétition rendait les mots étranges, impossibles. Un peu comme lorsqu’on prononce son nom à voix haute à plusieurs reprises. Hélène Marin Hélène Marin Hélène Marin Hélène Marin Hélène Marin Hélène Marin Hélène Marin.
Mais qu’est-ce que j’aimais en Philippe H. ? Était-ce bien Philippe H. qui m’attirait ? Philippe H. avec ce qu’il était vraiment ? Au premier coup d’œil, cet homme semblait dépourvu d’artifices. Par contre, l’observatrice perspicace évite la duperie : la fine texture de son tricot, la coupe parfaite de son jean et ses bottes de cuir usées juste assez ne relevaient probablement pas du hasard. Son odeur mâle et subtile ne laissait deviner aucun autre parfum que celui de son corps, mais un savant mélange de crème à raser et d’eau de toilette pouvait très bien être à l’origine de ces émanations qui vous liquéfient illico. Et si j’étais en train de tomber amoureuse d’un savon en vente chez Proxim ?
Mon vélo filait à une vitesse surprenante. L’essoufflement s’intensifiait comme une promesse d’éclaircissement. C’était grisant. La phrase est revenue. Quelque chose de plus que toi. Garder une respiration calme et constante. Jacques Lacan, psychanalyste, psychanalyse, université, littérature, Philippe H. Aux pauses, nous nous rendons invariablement au même café. Lajac Quelan. Il prend un allongé avec un verre de lait. Seuqcaj Nacal. Il boit en alternance : une gorgée de café, une gorgée de lait. Jaccan, jaccan, j’attends. Une fois, j’avais commandé un allongé avec un verre de lait. Je m’étais glissée sur la banquette à côté de lui. J’avais dit : « Il faut que je tente l’expérience. » Il avait ri. Quela que la, la, la. Il m’avait expliqué que le lait froid donnait au café chaud plus de caractère, que le café chaud rendait le lait froid plus onctueux. J’avais répondu : « Je pense plutôt que ça te rappelle le petit lait chaud de ton enfance. » Il avait souri sans retrousser les commissures.
Les pneus de mon vélo mordaient l’asphalte, grignotaient par moments le gravier en bordure. Les voitures stationnées au premier belvédère du mont Royal brillaient dans la tiédeur de la nuit. Sur ma trajectoire est apparu le cadavre d’une bête. BANG ! Une vrille improbable, mon corps projeté sur le sol, une puissante pulsation dans les membres. Tout était devenu soudainement si froid… Abandonnée sur les cailloux, visage tourné vers les étoiles, j’ai senti contre mon dos la vibration grandiose de l’écorce terrestre. En remuant à peine les lèvres, j’ai prononcé tout bas son nom dans le désordre : H. Lippephi.
Quand j’ai repris connaissance, des phares aveuglants découpaient l’obscurité et traçaient comme un tunnel au-dessus de mon corps. Une comète rouge et bleu, tourbillon irréel, stroboscope cruel, clignotait. Une voix de jeune femme, rassurante, a caressé mes tympans : « Ça va, c’est rien. » Mon corps posé sur une civière. Une porte qui claque. Un engourdissement général. Dodo. Si li pas dodo, crab’ la va manger.
Mon cœur n’a rien de trop beau que toi qui me fais défaut.
2
E=mc 2
Dans un grésillement sourd, des néons ont illuminé un long corridor achalandé. Près de ma civière, mon vélo avec une seule roue, celle de derrière. Les voleurs venaient donc s’en prendre aux pauvres cyclistes jusque dans les couloirs de l’urgence ? Ma peau brulait atrocement. Un râlement a parcouru l’étage. J’ai réalisé avec stupéfaction que cette misérable plainte provenait de ma cage thoracique. Comment quitter ma jaquette d’hôpital, m’habiller, retourner chez moi ? Un infirmier au timbre légèrement nasillard, très empressé et manifestement homosexuel, m’a aidée à enfiler mes vêtements. Ma fatigue était si grande que j’aurais voulu lui proposer d’être mon frère, me recroqueviller dans ses bras, qu’il me fredonne À la claire fontaine . Mon gentil toutou m’a rappelé que le médecin passerait sous peu, puis m’a souhaité bonne fête avant de s’éloigner d’un pas égal vers une autre civière. Trente ans ! Et mes parents qui tenaient mordicus à célébrer mon anniversaire ! Au diable le médecin, il avait surement des cas plus urgents à régler.
Le taxi sentait la sueur, la cigarette et l’allée des parfums du magasin La Baie. Une nausée réduisait chacun de mes mouvements. La brulure de mes vêtements sur mes écorchures, sans être intense, était constante. Pénible. J’ai verrouillé mon vélo sur la clôture, suis rentrée dans mon condo, me suis jetée sur l’armoire à pharmacie, ai englouti deux ou trois comprimés analgésiques. Six heures du matin : une douzaine d’heures de sursis avant la soirée familiale. Je me suis glissée tout habillée sous les couvertures sans parvenir à chasser les images de la veille : la montée vertigineuse du désir dans le taxi, le vélo, l’air tiède, la bête morte sur la chaussée, l’accident.
DRING. La sonnerie du téléphone a retenti cruellement contre les parois endolories de mon crâne. J’ai ouvert les yeux. Les chiffres rouges du réveil indiquaient 5 :12. J’ai pensé : Douze ans . DRING. Je me suis revue à cet âge, juste avant le début de la puberté. Mes lunettes roses, mon corps d’échalote, l’énorme tache de naissan