242
pages
Français
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2015
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Publié par
Date de parution
02 novembre 2015
Nombre de lectures
607
EAN13
9782370113603
Langue
Français
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Date de parution
02 novembre 2015
Nombre de lectures
607
EAN13
9782370113603
Langue
Français
One dollar bill
Linem B. O’Brien
© Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Littérature sentimentale . Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-360-3
À George, le premier d’entre vous
Chapitre 1
9/14/2016. 8:50 a.m. Yale club, Vanderbilt Avenue, NYC.
Un morning dip dans la plunge au septième étage pour se réveiller. Une razzia de petites bouteilles colorées de gel-douche, shampoing , conditioner , lotion, mouthwash , pour rapporter à sa mère quand il rentrerait la voir en France… un jour… Une grosse flemme de se plier au dress code de l’hôtel, d’échanger son jeans contre un pantalon plus décent, juste pour prendre un café, même s’il avait pourtant la cravate. Mais non. Enzo traversa le hall d’entrée, le portier lui fit tourner la porte-tambour et il était dehors sur l’avenue.
Devant lui, Grand Central était encore en travaux. Il passa sous les échafaudages, hésita à donner un dollar à un mendiant, fouilla dans ses poches, sortit un billet vert, le tendit au vieil homme et se rua dans la galerie. Direction : Starbucks.
Certes, il n’y avait pas les gaufres à la fraise du dernier étage du Yale Club, mais au moins, il pourrait déjeuner en vitesse, sans avoir à sortir les chaussures vernies.
L’enseigne à la sirène verte à deux queues le surplombait. Il entra dans la file d’attente. La New-Yorkaise devant lui commanda sa dose quotidienne :
A venti-hazelnut-latte-soy-milk-double-shot-carb-free, please.
Il maudit cette époque où commander un café relevait d’une prescription médicale. Après ER {1} , George avait assurément bien trouvé la voie pour se reconvertir.
What do you need, Sir ?
Coffee. Black, please.
Venti ? Room for cream ? Sugar ?
Tall. Regular thank you.
What else ?
Sourire… Sacré George.
Il ressortit de Grand Central sur la 45e rue, puis remonta en direction du fleuve pour arriver sur First Avenue. Sa cup en plastique était brûlante et, même si c’était écrit dessus, caution hot beverage avec des points d’exclamation, cela ne rendait pas le fait de boire plus facile. Cette dépendance toute anglo-saxonne s’était incrustée en lui.
Il dépérissait sans sa dose, lui aussi. L’absence de café en cup to go, quand il rentrait en France, le rendait bougon. Enfin par café en Amérique, il faut comprendre une sorte de thé aromatisé à la caféine. Les vrais amateurs d’arabica apprécient la différence. Notable. Les Européens font un meilleur café, c’est sûr mais le fait de pouvoir sortir, partir travailler et attraper sur la route une dernière dose stimulante – même très diluée – était un motivateur hors du commun. Si les Français étaient ronchons, c’est tout simplement qu’il leur manquait ce choix-là. Il fallait dire aux instituts de sondage qu’il était possible de résoudre le problème de moral des ménages à coup de boissons chaudes à emporter, on diminuerait le taux de prescription record d’antidépresseurs du pays ! Mais il faudrait alors faire attention au taux de sucre… Ce ne ferait, peut-être, que déplacer le problème…
Sur ces considérations de santé publique, il continua d’avancer le long de la rue. Une rangée de drapeaux se dressait au-dessus de sa tête. Il décida de passer par l’entrée des visiteurs, flâner un peu dans le parc avant d’entrer. Il allait déjà rester toute la journée enfermé en réunion, il était en avance, il méritait bien un shoot d’air pur… Si tant est que l’air new-yorkais soit pur…
Il aimait bien ce parc.
D’un côté, la douceur du fleuve, les bateaux, les oiseaux… De l’autre, les gratte-ciel de Manhattan, les vitres à perte de vue, les klaxons, la vie…
Il aimait aussi la sculpture de Carl Fredrik, Le revolver noué {2} , qui trônait là pour rappeler au monde combien ça irait mieux si chacun, armes à feu comprises, tournait sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Et si ça s’emmêle, bah, c’est qu’il vaut mieux la fermer !
Il y avait du monde à la guérite de l’entrée. Déjà ? se dit-il. Les gens sont bien matinaux pour éviter la foule. Comme dans tout bon bâtiment touristique ou international du nouveau millénaire, il fallait montrer patte blanche, sac ouvert et metal free à l’entrée. Se faire palper les poignées d’amour par un US guard plus ou moins scrupuleux. Les touristes faisaient la queue patiemment, il put skipper le tout en ouvrant à peine sa veste pour montrer son badge à l’agent de sécurité et entra dans le hall. Les grandes taches qui montaient sur l’escalier lui piquèrent les yeux. Décidément, il ne comprendrait jamais le choix de cette œuvre… Et il n’aimait pas l’orange…
Quelques pas de course pour traverser le couloir, passer devant les touristes qui attendaient, encore, pour une visite guidée. En anglais toutes les heures, en français à 11 heures, en italien à 14 heures. Et même en chinois ! Ils visitaient vraiment les Nations Unies, les Chinois ? Sourire encore, tiens, tiens ! il était d’humeur taquine ce matin, c’était le café, ça…
C’est à cet instant qu’il la vit !
Entre sa blague nulle sur les Chinois et le café.
Debout devant le panneau mural de l’exposition temporaire. Une énième sur les dessins humoristiques sur thème de guerre. Heureusement qu’il avait fini sa cup .
Il aurait avalé de travers.
Si l’on avait été dans un film, il y aurait sûrement eu un flou, une musique débile et un zoom sur son visage. Elle aurait tourné la tête, l’aurait reconnu aussitôt, aurait souri, lui aurait sauté dans les bras et ils se seraient mariés et auraient eu beaucoup d’enfants. Happily ever after .
Elle avait tourné la tête.
L’avait regardé.
Longtemps…
Faut dire qu’avec sa veste à moitié ouverte, sa cravate de travers, son badge qui pendouillait, sa cup à la main et sa mallette noire sous le bras, il détonnait dans le couloir de touristes allemands, en t-shirt I (L) NY, un appareil photo pendu à l’épaule.
Mais elle ne l’avait pas reconnu.
Il y avait presque cru… une demi-seconde…
Cru une demi-seconde qu’ils s’étaient plantés, tous.
Une demi-seconde qui allait effacer treize ans comme ça.
D’un regard.
Que la vie serait belle et que le ciel serait bleu…
Il lui fallait de l’air.
Son col de chemise le serrait et le ciel était gris. Il étouffait dans ce patio de merde, il lui fallait un oreiller pour crier. Il s’engouffra par la première porte qu’il trouva et sa malette et la cup valsèrent par terre.
Putain, c’était possible ça ? De croiser une personne dans une des mégalopoles mondiales les plus grouillantes de je sais même pas combien d’habitants ?
C’était possible de se lever un matin, de prendre son café tranquille et de voir remonter à la surface un passé qu’on avait mis des années à oublier ?
Un passé qui surgissait comme ça, entre un café et un Chinois ?
On était six milliards d’êtres humains sur cette planète, six, putain, dont un milliard rien que de Chinois, c’était quoi la probabilité de croiser une personne connue, là, ce matin ?
Et de toutes les personnes qu’il connaissait, tous ses amis de fac, de college américain, ses cousins éloignés, ses anciens collègues de boulot, y aurait pas pu y en avoir un parmi tous ceux-là, à sa place à elle, là, devant les photos ?
Ou même croiser un Chinois qu’il connaissait ou pas, y aurait eu plus de probabilités non ?
Putain, j’y crois pas, j’ai refusé de m’inscrire sur Facebook pour dire merde au monde, oublier le passé, pas laisser de traces, je suis pas dans le trip retrouvailles d’école primaire moi ! Copains d’avant, ça veut tout dire, nan ? J’ai avancé, on m’a forcé à le faire. J’ai pas eu le droit de me retourner… et il faut que je tombe sur elle… Sur « elle » !
Enzo, qu’est-ce tu fous, mec, on t’attend, là !
Hein ? Pardon, j’arrive… Désolé, mauvaise nuit.
Ah ! Tant pis, mec, mais c’est important aujourd’hui, insomnie ou Scarlett dans ton lit, ça m’est égal, move your ass… et remets ta chemise, t’as l’air d’un paysan qui va à la ville.
Un paysan…
Il aurait donné cher pour être au milieu d’un champ, là, tout de suite.
Celui de son grand-père, au-dessus de l’église, face au Mo