207
pages
Français
Ebooks
2021
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Publié par
Date de parution
01 décembre 2021
Nombre de lectures
0
EAN13
9788728027837
Langue
Français
Jo Ann von Haff
C ur fondant
1
B atrice tait sur le point d imiter sa fille de onze mois qui s endormait contre son sein. Les journ es taient longues, trop longues parfois, et se balancer dans le fauteuil bascule n tait peut- tre pas une bonne id e.
Seule avec ses trois enfants, B atrice avait fait le pari fou de reprendre la gestion de la maison d h tes familiale Bourg-Saint-Maurice pour se reconstruire. Son divorce avait t une preuve douloureuse et traumatisante, et si elle devait choisir un adjectif pour r sumer la fin d une relation de 19 ans qui avait commenc au coll ge, ce serait " moche . Sans h siter. La derni re ann e de son mariage avait t un cauchemar et avait balay toutes les autres, donnant B atrice l impression qu elle avait toujours v cu avec un inconnu. Dire qu elle pensait conna tre Dario par c ur Ils avaient t ensemble plus de la moiti de leurs vies !
La frustration, la col re et l impuissance formaient un cocktail explosif qu elle essayait tant bien que mal d touffer, pour le bien- tre de ses enfants. Elle cachait les traces de ses mauvaises nuits avec de l anticerne, et un sourire. B atrice tait toujours souriante. Si cela fonctionnait avec Fab qui n avait que quatre ans, c tait moins vident avec les adolescents. Ben voyait parfaitement travers le masque de sa m re
B atrice continuait de se laisser bercer par le balancement du fauteuil, dans le coin de la cuisine. travers la porte-fen tre, elle observait les flocons de neige qui recouvraient le jardin. Son smartphone sonna discr tement. Elle changea de position et ouvrit ses e-mails. R servation de derni re minute pour M. St phane Samuelsson. B atrice ne limitait pas les heures d arriv e, uniquement les heures de d part, mais ce soir, elle aurait peut- tre d tout bloquer. Une arriv e cette heure retarderait davantage son coucher. Elle se leva avec pr caution, rangea son t l phone dans la poche arri re de son jean et quitta la cuisine.
Ses clients s taient d j retir s ; Fab dormait et en tait dans le salon. Tout tait silencieux, hormis quelques soupirs bienheureux de Diane. Le couloir tait uniquement clair par l cran de la t l vision et les guirlandes lumineuses du sapin du salon. B atrice frappa doucement la double porte entrouverte : Ben jouait Assassin s Creed avec son casque. La semi-p nombre accentuait les traits de son fils et rendait sa crini re encore plus sombre. Ben interrompit son jeu pour la d visager, dans l expectative.
- Un client arrive, annon a-t-elle en italien.
Ben saisit son t l phone pour regarder l heure et B atrice devina sa pens e " il est tard . C tait d ailleurs pour cette raison qu elle l en informait. Quand il quitterait Bourg-Saint-Maurice apr s son bac, B atrice changerait s rement les horaires d arriv e. Qu elle le veuille ou non, avoir un gaillard de plus d un m tre quatre-vingt dans les parages tait rassurant. M me si ledit gaillard n avait que 17 ans et qu il aurait d tre dans son lit
- Okay, l cha-t-il de sa voix rocailleuse.
B atrice monta, les pas touff s par le tapis de l escalier.
De la lumi re filtrait sous les portes des trois chambres occup es et elle pouvait entendre des murmures. Son " chez-elle se trouvait au deuxi me tage. B atrice passa la t te dans la chambre des gar ons, distingua les cheveux en pi de Fab qui d passaient de la couette, puis referma doucement la porte avant de se diriger vers la chambre de Diane. Elle d posa sa fille dans son berceau, alluma la veilleuse et se donna du courage pour repartir.
Le quart d heure suivant, elle ne cessa de monter et redescendre pour s assurer que rien ne manquait dans la chambre de M. Samuelsson : une bo te m tallique rouge de biscuits aux pices, un assortiment de th s et tisanes, une bouteille d eau, des tasses avec des sachets de sucre et d dulcorant, et un pot de miel, le tout dans une corbeille couverte d une serviette aux couleurs de la Savoie. B atrice n avait jamais souffert de tocs, mais depuis qu elle s occupait du Beau Regard, elle se surprenait v rifier une vingtaine de fois les m mes d tails. Tout tait pourtant pr t : des draps de bain aux peignoirs, des savons neufs aux produits d hygi ne. M me les trousses de premiers secours taient inspect es tous les jours.
Quand on frappa sa porte, B atrice esquissa un sourire professionnel, surtout forc et douloureux cette heure, et ouvrit.
- Bonsoir, salua-t-elle avec chaleur, la pr sence discr te et rassurante de Ben pas tr s loin dans le couloir.
- Bonsoir, je suis St phane Samuelsson, r pondit le nouvel arrivant en serrant la main qu elle lui tendait.
Il tait grand, ch tain, distingu . Le col de son pardessus l gant tait relev , pi tre barrage contre le froid alpin pourtant.
- Je suis B atrice, bienvenue au Beau Regard. Suivez-moi, je vous prie.
Depuis un an qu elle g rait le chalet, B atrice avait d grimper cet escalier au moins trois mille fois. Cela quivalait combien de marathons ? Elle lui ouvrit la porte et s carta pour le laisser entrer dans sa chambre. Seules les lampes de chevet taient allum es, cr ant une ambiance intime dans la pi ce d j pr te pour No l.
- Vous avez des couvertures suppl mentaires si vous en avez besoin, l informa-t-elle en indiquant l armoire en bois patin par le temps.
- L h ritage nordique s est limit au nom, r pondit-il, pince-sans-rire. Les g nes n ont pas fait le voyage.
Il tudiait la chambre, les yeux pliss s ; son expression semblait aussi d pit e que son ton. Il n tait peut- tre pas habitu ce genre d extravagance de saison. B atrice r prima son sourire, mi-amus mi-fatigu , la main sur la poign e de la porte. Un seul coup d il lui avait suffi pour deviner qu il tait habitu un tout autre type d h bergement. Le palace le plus proche tant en altitude, une demi-heure de l , la fatigue qu elle lisait sur ses traits l avait s rement conduit chouer chez elle.
- Avez-vous besoin de quelque chose d autre pour la nuit, monsieur Samuelsson ? questionna-t-elle.
- Non, merci.
- Le petit d jeuner est partir de 7 heures, mais vous avez dans le panier un assortiment de biscuits et de th s. La bouilloire est branch e. Bonne nuit.
- Merci.
Elle posa la cl sur la petite pile de guides touristiques et de romans de terroir sur la table de chevet, puis quitta la chambre. Ben l attendait d j l tage, appuy la rambarde de l escalier.
- Je vais me coucher maintenant, annon a-t-elle en tapotant le bras de son fils. Ne tarde pas trop.
Elle aurait pu lui ordonner d aller dormir, mais y avait-il des adolescents qui ob issaient ce genre d injonction parentale ? N tait-ce pas l occasion propice de faire le mur pour contrarier ledit parent ? Ben assumait le r le d homme de la famille qui ne lui revenait pas, devenant secret et col rique alors qu il avait toujours t avenant. Malgr sa r bellion qui allait et venait, les remords rongeaient Ben lorsqu il refusait l autorit de B atrice. Il ne s excusait pas, les mots semblaient buter contre ses l vres, mais il redoublait d efforts pour se faire pardonner. Il aidait Fab faire ses devoirs, il s occupait de Diane, il allait faire les courses
Il n avait que 17 ans, son petit grand amour, et ses traits trop graves, trop ferm s, trop sombres, chagrinaient B atrice. Il tait si rare de le voir sourire depuis qu ils avaient quitt l Italie ! B atrice ne savait pas comment g rer l adolescence, encore moins la sienne. Elle faisait de son mieux, au jour le jour. Ce n tait pas comme si elle pouvait compter sur Dario ce sujet. Ce serait tellement plus facile deux
2
St phane tait vraiment puis , sinon il ne se serait jamais arr t dans un endroit pareil. Apr s une longue journ e de r unions aux Arcs, il ne s tait pas vu rouler jusqu Chamb ry comme il tait initialement pr vu. Il vouait une reconnaissance ternelle aux inventeurs des t l phones intelligents et de leurs applications qui permettaient de r server la premi re chambre libre la sortie de la ville, vitant certainement bien des morts au volant. C tait d ailleurs un miracle qu il ait pu faire la route de montagne jusqu Bourg-Saint-Maurice sans accident ! Par contre, il avait fallu que ce soit au Beau Regard, un nom bien suspect comme il faut. On tait loin de Courchevel, c tait s r !
Il avait t accueilli par une couronne orn e d toiles clou e la porte rouge d un chalet, et la femme qui lui avait ouvert la porte, une brune aux yeux clairs, portait un horrible pull de saison, rouge avec des rennes et des c urs savoyards. S il n avait pas t aussi puis , St phane aurait fait demi-tour dans la seconde. Il ne supportait pas le mauvais go t. Plus il avan ait dans le chalet aux lumi res pourtant tamis es, plus il notait l tendue des d g ts, dans un b timent autrement bien entretenu. M me sa chambre n avait pas chapp aux d corations festives ! Il avait l impression d tre entr dans un catalogue de d corations de No l ou dans un mauvais film sp cialement tourn pour les f tes.
C est du pareil au m me.
Douch et chang , St phane s assit sur le bord du lit et le porte-cl attira son attention : un bouquetin en bois. Il eut un rire d sabus . Le mot " kitsch avait t invent pour le beau regard et sa propri taire, sans aucun doute
Le lendemain matin, St phane se leva de bonne heure pour reprendre la route avec la ferme intention d arriver Paris temps pour le d ner. Skidort ne prenait plus en charge ses extravagances, il n avait plus int r t prolonger ses trajets. Depuis que l entreprise restreignait les d penses, son style de vie avait radicalement chang : il n y avait plus de palaces entre deux r unions ou de soir es chics, plus de restaurants toil s et de sessions de ski l improviste. Adieu bonus faramineux et privil ges
Il fit rapidement d filer les e-mails en souffrance sur l cran de sa tablette tout en prenant son t l phone. C tait bient t les vacances de No l et i