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pages
Français
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2017
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Publié par
Date de parution
03 juillet 2017
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342153965
Langue
Français
« La côte normande et l'hiver. Mes amitiés. Les deux femmes. L'histoire de ce pays. Son passé. La Deuxième Guerre mondiale. Les années de Collaboration. Demander des explications à Marguerite. Il faudra bien qu'elle parle de son mari, de ses alliés, de ses idées, de sa démence. Je l'interrogerai. La lecture des cahiers de guerre appartenant à Georges Grégoire meuble ma solitude. Leur écriture très serrée n'apporte pas le moindre remède à ma grandissante obsession. Ils me hantent ces paragraphes personnels, copiés au cœur d'un emprisonnement. Ils sont ingénus, nus, arbitraires. Ils me dérangent. Ils ne viennent qu'empoisonner l'intimité établie entre Elle et Autre. » En 1987, le projet de Gordon Smithers, écrivain anglais né d'une mère chrétienne et d'un père juif, était de relater l'histoire d'Elle et d'Autre, compagnes ennemies, amoureuses d'un même homme. Vingt ans après, en 2007, il rencontre Marc Grégoire, le fils de Georges, qui l'amène à se retourner sur cette période passée et sur laquelle Gordon aurait préféré fermer les yeux. Jocelyne Levrier-Thomson nous entraîne dans le balancement régulier d'une narration entre deux espaces temporels, marquée par les doutes et les questionnements de l'après-guerre.
Publié par
Date de parution
03 juillet 2017
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342153965
Langue
Français
Ce que Smithers écrivit
Jocelyne Levrier-Thomson
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
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93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Ce que Smithers écrivit
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
Penser, c’est appréhender ce qu’il y a d’essentiel dans la réalité aux dépens de ce qui se donne immédiatement pour vrai.
G. W. F. HEGEL
Londres 2007
Peu importe ce qui suivra ces premières lignes. L’héroïne de ce récit m’a demandé de ne pas faire entendre la voix de sa rivale. C’est son histoire à Elle, et pas à Autre. J’ai bien compris son détriment, sa volonté. Je resterai néanmoins juge de l’allure que prendra ce livre. Le pouvoir d’emporter l’action au-delà de la vérité reste le mien, tout entier. Ça, je le sais. Elle, c’est la femme pour qui je laisserai ce roman tremper dans la fiction d’une amertume. La sienne. Celle de son adversaire aussi, Autre, la maîtresse, l’amante de l’homme qu’elles partageaient toutes deux, dans les années cinquante. Moi, c’est Gordon Smithers, né en Angleterre entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, fils unique de père juif et de mère chrétienne, mélange original pour l’époque et un peu nocif, je dois bien l’avouer, de deux mondes dont les différences ne cesseront jamais de peser sur moi. Avec autant de sentiments morbides que de désirs puérils à ajuster les traits de deux cultures qui me construisent, je trimbale un tempérament qui ne se reconnaît aucune attache aux lieux communs de certitudes spéciales, celles-là qui viendraient d’une éducation, religieuse ou non d’ailleurs, là n’est pas la question. Mon nom de plume est celui de ma mère. Il est tout mon attachement au monde de ma génitrice. On m’a fait éduquer par les jésuites. Mon père n’a pas voulu que je grandisse au sein de sa communauté juive. L’image que je garde de lui restera à jamais celle d’un faux rabbin plutôt extrémiste. Ainsi je me suis vaguement tourné vers l’héritage de ma mère. Un peu par obligation. J’en ai reçu les influences. Quand ils se marièrent dans le milieu des années trente, à Blackpool, Susan, ma mère, et Jacob, mon père, allèrent habiter dans un quartier éloigné du ghetto. En quarante, j’étais enfant. Le jeune couple excentrique vivait bien abrité dans un petit appartement donnant sur la jetée populaire, surplombant la fête foraine ouverte toute l’année. Il lui achetait des gaines de dentelle. Elle paradait pour lui. Il bandait pratiquement tout le temps. Je le savais parce que je devinais son gros membre pointant son érection dans ses pantalons de fine toile, les dimanches d’été par exemple, à la fin des repas, au moment où la torpeur des plaisirs gavés se faisait sentir comme un sommeil futur et une paix ankylosée, un engourdissement que ma mère cultivait à coups de caresses bien visées, d’érotisme de pacotille. Je grandissais. Il brassait pas mal de sous, Jacob. La vie était belle. Mais est-ce que c’était presque une collaboration avec l’ennemi pourtant, lui et sa belle ? On peut se le demander. Et à bien y réfléchir, dans le clan juif, certains avaient dû accuser Jacob de défection, de trahison, d’opprobre, à l’époque. Mais c’était ainsi. Bien avant que la première guerre n’éclate, dans la jeunesse de Jacob, une discorde avait dû s’imposer entre lui et ses parents. Cela avait pu se passer un jour de vengeance adolescente où il en aurait eu marre de sa mère qui voulait l’expédier dans un mariage arrangé pour lui, avec une jacobine juive aux grandes dents laides, mais riche. Putain, les vieux ! s’était dit mon père. Alors plus tard, comme preuve d’amour pour sa Susan Smithers, Jacob lui avait fait grâce du souvenir des siècles passés, criblés d’images épouvantables ressassées dans les bibliothèques de guerres de religions et d’inhumanité. Il en avait soupé de tout ça. Et puis il chérissait ses airs d’insurrection. Les comportements de mon géniteur possédaient la vanité d’un non-conformisme éclatant. Cela lui plaisait, à Susan Smithers, et la beauté fragile de ma mère se retournait un peu plus sur lui, Jacob, mon père.
Elle s’était entichée de cet homme un soir, au casino des bords de mer, à Blackpool justement. Il avait dû sortir une liasse épaisse de fric, comme il avait l’habitude de le faire, en rigolant, comme si son esprit libre, et qui swinguait, lui permettait de beaucoup plus jouir de la vie qu’un autre. Il avait dû jouer et gagner ce soir-là, épatant la clientèle, tout le monde souriant de ses audaces, de son sens du flair. Les employés du casino l’aimaient bien. Mon père se pavanait, populiste. Plus tard, dans les années soixante, les dames vitriolées par la vieillesse néanmoins bien dignes et joliment fardées qui continuaient à s’asseoir sur les bancs afin de dépenser leurs semaines de salaire à des jeux de petits pions colorés, soit le bingo, toutes l’adoraient. Elles l’appelaient Jac depuis le début. Cela le réconfortait car je crois qu’il avait eu peur de futures représailles, Jacob, mon père. Loin du ghetto, sa maturité lui avait-elle fait craindre plus que tout autre chose le retour de la petite étoile jaune en bordures des jaquettes juives ? C’était possible. De cela, il avait voulu me protéger. Dans mon adolescence je ne l’avais jamais entendu parler des victimes du nazisme, par exemple. Pourtant, après la seconde guerre, les choses avaient changé pour lui, mais il n’a jamais cherché à encourager sa paranoïa souterraine, par exemple, surtout par peur de me la passer, je pense. Parce que bien sûr elle existait. Il est mort en 1969. Je me demande si mon père est parti avec la brise du matin, un matin. Je crois que ce qui avait toujours importé pour lui restait mon assimilation à un monde où l’on naissait sans ennemis, et où la musique de Wagner n’englobait pas systématiquement des visions de marches militaires. J’aurais peut-être dû remercier Papa pour ça. Il m’a toujours encouragé à rester l’esprit libre. Je crois d’ailleurs qu’il prenait une fierté très nette à me voir grandir sans la violence rancunière de ceux qu’il connaissait et qui plus tard allaient devenir des fanatiques, des bigots ignorants, ceux-là mêmes qui s’installeraient aux tournants des guerres sans voir plus loin que leur frénésie aveugle de suppliciés, de déportés, ceux qui attendraient peut-être une revanche des temps sur l’Histoire, sur les courants mouvants des doctrines et idéologies de toutes sortes, guettant les conflits modernes qui viendraient servir leurs intérêts. Dans tous les cas, il était très économe vis-à-vis d’un nationalisme anglais où « God saves the Queen » aurait pu devenir la chanson clé de son rapatriement, ou de son assujettissement. Il ne faisait pas comme les autres Juifs en Angleterre, par principes d’adaptation à la masse britannique. Il n’était pas comme ses parents. De ce côté-là, il ne m’a jamais emmerdé.
Quelque temps après sa mort, une décennie à peine, la période hippie finissait. Les Punks flambants et dangereux apparurent alors sur le territoire de Grande Bretagne un beau jour et le pays naquit tout court à l’avenir de Madame Tâte-Chère. Mon père avait dû imaginer toutes sortes de scénarios à la fin de sa vie. Il sentait venir les vents, pour ainsi dire. Il le pouvait. Il était politisé. Même les communistes de Pologne l’avaient pendant quelque temps fasciné. Il mourut sans bruit, dans son lit, comme tout le monde devrait mourir, en disant peut-être adieu à ceux qu’il avait aimés, ceux qu’il avait regardés avec amour, ceux qui l’avaient fait rire. Je ne sais pas. Je n’y étais pas. Mais revenons à Madame Tâte-Chère, car elle tâta, très chère, à des endroits où même les gouvernements précédents n’avaient peut-être rien tâté. Les ventes d’armes aux régimes qui pouvaient se les offrir, elle les avait effectuées. Elle a fait fortune, la belle sorcière aux manteaux fabuleux d’hiver. Quand elle arrive encore aujourd’hui aux conférences de ses alliés, les conservateurs du pays, une fois l’an, elle a un look d’enfer. Mais mon propos n’est pas de me perdre dans la main de fer d’une époque révolue. J’y reviendrai cependant plus tard, bien obligé, quand mes tendances sexuelles de l’époque, les années quatre-vingt donc, me tenaient cloîtré dans le réseau malsain de gay clubs où je n’ai jamais trouvé avec qui baiser. Là, je dévoilerai les biais de mon vécu, de ma grande solitude. Plus tard. Après, pendant et entre-temps de l’histoire d’Elle et d’Autre, les femmes françaises de l’été quatre-vingt-sept, héroïnes de ce livre.
Quelquefois, à l’université de Blackpool, après maintes années passées chez les jésuites, je me souviens qu’après un cours d’histoire universelle, en soixante, mes copains qui connaissaient ma souche juive insistaient sur la culpabilité forcée des Allemands, sur leur cauchemar moderne, leur dette envers les sacrifiés, leur honte après les événements de la Deuxième Guerre mondiale. Ils me faisaient chier avec ça ! Parfois ils insinuaient même que la solution finale, le plan d’extermination au gaz et tout ça, c’étaient des histoires, une façon comme une autre qu’avaient les Juifs de propager une industrie de la mort, de rentabiliser un mythe, des chiffres, des processions payantes aux portes des camps de concentration, de créer un sens de l’extase des bruits que les morts ne font pas, une accumulation de rancunes, de mensonges, de musées d’horreurs. Il fallait protéger la mémoire des martyrs à tout prix, disaient les jeune