Les Hauts de Bellecoste , livre ebook

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A la ferme des Pérol, la vie est dure mais Clémence ne se plaint pas. Douce et rêveuse, la jeune fille résiste aux avances de son voisin, le fourbe et grossier Emile, car c'est Armand, le bel inconnu, qui prend son cour. Hélas, à peine devenue une femme entre ses bras, l'amoureux est appelé au front. Emile tient alors sa revanche, pour le plus grand malheur de Clémence. Jusqu'au jour où celle-ci décide de prendre en main sa destinée, quitte à bousculer les conventions.
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Nombre de lectures

92

EAN13

9782812933608

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Christian Laborie



Les Hauts de Bellecoste
















Christian Laborie se passionne pour l’histoire et les habitants de sa province d’adoption : les Cévennes. Ses romans sonnent comme autant d’hommages humbles et sincères. Le succès de la saga L’appel des drailles et Les Drailles oubliées l’a hissé au rang des auteurs incontournables de la littérature de terroir.





Du même auteur

Aux éditions De Borée


L’appel des drailles, Terre de poche
L’Arbre à pain, Terre de poche
L’Arbre d’or, Terre de poche
Le Brouillard de l’aube
Le Chemin des larmes
Le Saut du Loup
Le Secret des Terres Blanches
Les Drailles oubliées, Terre de poche
Les Hauts de Bellecoste, T erre de poche
Les Sarments de la colère, Terre de poche
Terres noires


Autres éditeurs


L’Enfant rebelle
Le Goût du soleil
Les Rives blanches
Les Rochefort









En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© De Borée , 2017
© Centre France Livres SAS, 2016
45, rue du Clos-Four - 63056 Clermont-Ferrand cedex 2








Première partie LE PARADIS SUR TERRE







I. Première rencontre




À huit ans déjà , de son aiguillon, elle conduisait le troupeau sur la lande. Les bêtes lui paraissaient énormes, démesurées, et, malgré leur nonchalance naturelle et leur placidité apparente, elles lui procuraient toujours autant de crainte.
Juchée sur la pointe des pieds, elle ne leur parvenait pas à la base du cou, tant elle était de petite taille pour son âge.
« Elles sont grosses comme des éléphants ! » se disait-elle, quand elle s’inventait des histoires pour fuir la solitude qui était son lot quotidien.
Elle n’avait jamais vu de pachydermes autrement que dans les livres de son école. Mais elle n’imaginait pas qu’il puisse exister de plus gros animaux que les vaches et les bœufs de son père.
Pourtant, dès ses premiers pas, celui-ci l’avait aussitôt mise à l’épreuve, l’obligeant à le suivre à l’étable, l’habituant jour après jour à se familiariser avec la trentaine de bovins qu’il élevait – essentiellement pour la viande. Les revenus qu’il tirait de son élevage faisaient de lui un paysan hors du besoin sur le plateau, ce qui était loin d’être le cas de la plupart de ses voisins.
Les hautes terres, en effet, nourrissaient mal ceux qui s’acharnaient, avec ténacité, à vivre accrochés à leurs flancs âpres et peu généreux. Brûlantes l’été, glaciales l’hiver, soumises aux vents du nord et de l’ouest et aux caprices des cieux, elles s’étendaient à l’infini, couvertes d’une herbe drue parsemée de tourbières et de blocs de granit sous le regard alourdi de quelques crêtes érodées, dos arrondis d’antiques géants usés par les ans. En hiver, le plateau se métamorphosait et prenait vite l’aspect d’un linceul immaculé. Neige et tourmente isolaient les hameaux pendant de longs mois. La vie semblait s’arrêter. Hommes et bêtes étaient bloqués à l’intérieur et vivaient en autarcie. Quand éclosait le printemps, à la fonte des neiges, la montagne n’était plus que ruissellement d’eaux cristallines qui convergeaient en rus intrépides vers les vallées et façonnaient la roche en blocs émoussés. Avec les premiers beaux jours, les couleurs changeaient joyeusement. Délaissant la grisaille hivernale, les prairies se coloraient de jaune et de vert tendre, parure d’or et d’émeraude saupoudrée de boules de granit aux reflets argentés. Par temps de sécheresse, elles se transformaient en paillassons brûlés par les feux ardents d’un soleil de plomb et n’étaient plus irriguées que par les béals savamment aménagés par la main de l’homme.
Clémence ne connaissait pas d’autre horizon que la courbure de ces prairies naturelles venant lécher l’azur du ciel, d’autre univers que ces grandes solitudes où les hameaux et les fermes isolées étaient les seuls refuges pour les imprudents qui s’égaraient par temps de brouillard ou de neige. À son âge, elle ne se posait pas de questions et n’envisageait pas de vivre, plus tard, autrement que ses parents. Ceux-ci lui semblaient heureux, même si la vie ne les avait pas choyés – mais elle n’en était pas consciente.
Entourés de leurs trois enfants, les Pérol passaient pour une famille modèle, le symbole de la réussite paysanne. Ayant hérité, très jeune, de la ferme de son père, Auguste Pérol avait su patiemment la faire fructifier. Par un travail acharné et grâce à la dot apportée par Marie, son épouse, il avait consolidé sa situation et acquis au fil des ans un troupeau dont les bêtes étaient appréciées sur toutes les foires à bestiaux de la région et sur le marché de Villefort. Sur le mont Lozère, du Pont-de-Montvert au Bleymard, tout le monde l’estimait et reconnaissait sa compétence, sa probité et son courage. Homme d’une droiture austère, il avait un sens moral sans faille et élevait ses enfants avec autorité, laissant à son épouse les débordements d’affection dont elle ne les privait pas.

Clémence était une enfant affectueuse, douce, tout en gentillesse et en obéissance, attentive et attentionnée. Jamais, dans son berceau, elle n’avait manifesté de brusques colères, et, lorsque sa mère se penchait sur elle pour la prendre dans ses bras et l’allaiter, elle lui souriait de son visage d’ange sans aucun signe d’impatience, comme pour la remercier par avance de ce don de soi qu’elle lui prodiguait sept à huit fois par jour. Même lorsqu’elle fit ses premières dents ou lorsqu’elle affronta les affres des maladies infantiles, malgré la fièvre et la douleur, elle se contentait de pleurer en silence sans s’agiter. Ce qui fit dire un jour à son père qui trouvait son comportement étrange pour un nourrisson :
– Cette petite manque de vitalité ! Je ne trouve pas ça bien normal.
À quoi Marie ne cessait de répondre en prenant son enfant dans les bras :
– Un petit ange, c’est un vrai petit ange que le Seigneur nous a envoyé !
Lorsque, deux ans après sa naissance, Louise vint au monde, Clémence étonna davantage encore ses parents. Elle berçait sa petite sœur sans qu’on le lui demande, lui parlait dans son langage encore mal assuré, la distrayait avec ses propres poupons ou la calmait quand, contrairement à elle, elle piquait des colères d’impatience entre deux tétées. En grandissant, elle devint une vraie petite mère pour sa cadette. Ainsi, il se tissa entre les deux sœurs une complicité que jamais rien, malgré la différence de caractère qui les opposa toujours, ne devait effacer.
À cinq ans, lorsque son frère naquit, c’était déjà un vrai petit bout de femme sur qui sa mère pouvait compter. Le jour de l’accouchement, Marie se trouvait seule à la ferme en compagnie de ses deux filles. Auguste et son valet de ferme, Victor, étaient partis conduire le troupeau dans les prairies les plus éloignées de la propriété, vers le sommet du Finiels. Il faisait gros temps et, sur les crêtes, le vent d’ouest poussait des amas de nuages qui s’amoncelaient comme des balles de laine. Auguste s’était entêté à sortir les bêtes malgré l’état de sa femme. Celle-ci l’avait pourtant prévenu :
– Je crains de ne pouvoir attendre ton retour.
– Je préviendrai la sage-femme en passant au village, la rassura-t-il. Elle ne tardera pas.
Mais ce matin-là, Solange Verniaux était absente de chez elle et Auguste ne put la prévenir à temps.
Marie accoucha seule, avec l’aide unique de sa petite Clémence à qui elle ordonna de lui préparer le nécessaire pour la venue au monde du bébé. Lorsque l’enfant entendit, derrière la porte de la chambre, les premiers cris de son petit frère, elle demanda timidement si elle pouvait entrer et vint aussitôt s’occuper de lui et de sa maman. Épuisée, celle-ci s’endormit une fois le nouveau-né hors de danger, sans avoir eu le temps de demander à sa fille d’aller quérir l’aide de sa plus proche voisine. À son réveil, Clémence veillait sur elle et sur le bébé qu’elle avait délicatement déposé dans son berceau et recouvert d’un petit édredon. Pendant ce temps, apeurée, Louise était restée tapie dans sa chambre, ne comprenant pas très bien ce qui se passait derrière la porte mitoyenne.
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