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Extrait : "Jadis, soucieux de s'assurer une place au Paradis, les riches avant de mourir distrayaient d'une fortune, le plus souvent mal acquise, la part de Dieu. De là ces fondations pieuses qui couvrirent l'Europe d'églises, de monastères, d'hospices, d'universités. Notre-Dame, l'Hôtel-Dieu, la Sorbonne, autant de fondations pieuses."
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52

EAN13

9782335038460

Langue

Français

EAN : 9782335038460

 
©Ligaran 2015

1902

Janvier .

210
Du prix Nobel et en particulier de M. Sully-Prudhomme, poète idéaliste. – Jadis, soucieux de s’assurer une place au Paradis, les riches avant de mourir distrayaient d’une fortune, le plus souvent mal acquise, la part de Dieu. De là ces fondations pieuses qui couvrirent d’Europe d’églises, de monastères, d’hospices, d’universités. Notre-Dame, l’Hôtel-Dieu, la Sorbonne, autant de fondations pieuses. Les États-Unis, où les mœurs sont si anciennes qu’elles en paraissent nouvelles, en sont encore à cette période où le riche se croit tenu, pour assurer la légitimité de sa fortune, d’en sacrifier une partie au bien public. L’Européen n’a plus de tels scrupules ; des fortunes scandaleuses s’érigent respectées sans que leurs possesseurs aient songé à les protéger contre l’indignation publique. Nos milliardaires jettent aux peuples, aux académies, quelques dédaigneuses bribes ; nul n’a jamais eu l’idée de rendre au moins la moitié de ses vols, afin de laisser un nom moins odieux. Cela fait qu’un jour ils devront les rendre en totalité. Presque seuls, de braves gens, médiocrement pourvus, songent à donner à leur petite fortune une utilité générale. C’est ainsi que l’Académie française dispose de tant de prix que leur modicité rend souvent inutiles. Cependant M. Nobel est venu et, du coup, le niveau des faveurs académiques est monté très haut. Ce sont des deux cent mille francs à la fois que d’innocents poètes reçoivent avec une couronne, et de timides savants. Il n’est pas ridicule d’être gratifié du prix Nobel ; dix mille louis ne pouvant jamais, sous aucun prétexte, être ridicules.
Entre toutes les œuvres qu’il pouvait fonder, Nobel n’a peut-être pas choisi la plus sûre, ni la plus utile ; mais c’est celle qui fera le plus parler de lui et rêver de lui tout haut des hommes ingénus qui ont embrassé la carrière, jusqu’alors stérile, de poète idéaliste ou de bienfaiteur de l’humanité souffrante. Ce fabricant de dynamite est enclin à une philosophie aimable ; il cultivait l’idéal de même que les explosifs et, tout en livrant aux hommes de quoi se tuer plus sûrement les uns les autres, songeait à élever leurs âmes vers les régions sereines. Comme il l’a bien établi lui-même, le prix de littérature de sa fondation doit être attribué « à celui qui aura produit l’ouvrage littéraire le plus remarquable dans le sens de l’ idéalisme  ».
Puis-je avouer que, appelé à dire mon avis, je n’eusse point songé à M. Sully-Prudhomme ? Non que je n’estime pas ce poète sage et tendre, cet esthéticien prudent ; mais le mot idéalisme n’a pas pour moi le sens qu’il avait pour Nobel, qu’il a pour l’Académie suédoise et pour l’auteur de Justice .
Il y a deux idéalismes. L’un est une philosophie, celle de Platon, de Descartes, de Berkeley, de Kant, de Schopenhauer, de Taine, de Nietzsche ; l’autre est une religion, celle de ceux qui professent un christianisme raisonnable, borné à la seule morale de l’Évangile. L’un vient du mot idée  ; l’autre du mot idéal . Jamais peut-être syllabes n’abritèrent deux notions plus contradictoires. Mais autant lune est précise, nette, claire, apte à être développée scientifiquement, comme le fit Taine dans l’Intelligence , autant l’autre est vague, soupirante, exténuée. La confusion est due, je crois, à Cousin, qui avait assumé la tâche de dénaturer l’Idéalisme allemand en le saturant de christianisme. Cet amalgame est demeuré jusqu’à nos jours la philosophie officielle de l’Université et le lac bleu dont rêvent toutes les belles âmes en mal de bons sentiments.
M. Sully-Prudhomme est une belle âme. À peine fut-il averti des sommes qui lui venaient de Stockholm qu’il songeait déjà à les transformer en bonnes œuvres. Il veut qu’un jeune poète de talent n’en soit pas réduit, faute d’or, à garder ses vers inédits. La Société des Gens de lettres désignera les manuscrits, et quelle société, hormis l’Académie elle-même, verrait-on de mieux qualifiée pour cette besogne délicate ? Ce choix, tant de simplicité unie à tant de désintéressement, achèvent d’éclairer la figure ingénue de cet illustre idéaliste. Quelle bonté et comme il aime la poésie ! Ce n’est pas lui qui se serait opposé avec énergie, avec violence – avec une telle violence que la commission céda – au choix de Jean Moréas pour le prix qui, aux dernières fêtes, fut attribué à un M. Mérat ! Cependant on l’accusa de ce méfait. Comment croire qu’un poète si plein d’ idéalisme ait refusé ce qui lui est dû à l’un des poètes nouveaux les plus excellents : que celui qui soupira tant de romances, qui célébra si doucement les amours éternelles et les petits oiseaux, la justice et l’azur, l’immortalité de l’âme et les peines de cœur, que l’auteur, en un mot, du Vase brisé (Pauvre feuille, où vas-tu ?) ait eu un moment de haine littéraire ?
De haine, ses amis en sont pleins. Enorgueillis par le monceau d’or déposé aux pieds de leur idole, ils se livrent aux provocations les plus faibles. L’un deux, sage anonyme, écrivait ceci dans le Temps du 19 décembre : « Il n’est évidemment pas un collaborateur du Mercure de France ou de la Revue naturiste qui, pour avoir fait quelques vers de dix-sept ou de trente-trois pieds sans majuscule au commencement, sans rime à la fin et sans signification nulle part, ne se considère in petto comme ayant beaucoup mieux mérité le prix Nobel que l’auteur de Justice et des Vaines tendresses . Mais ces jugements ne sortent pas du silence qui leur sied si bien. » Tel est le langage que l’on tient sur la poésie française d’aujourd’hui dans le cercle intime de M. Sully-Prudhomme. Il n’est pas très honorable pour le vieux maître. Mais pas de représailles ; elles seraient trop cruelles. N’y touchez pas, il est brisé.

211
La Science et les sciences, à propos du jubilé de M. Berthelot. – Il en est sans doute dans le monde savant comme dans le monde littéraire ; la plupart des réputations y sont usurpées et les noms les plus connus sont ceux des hommes les plus intrigants et les moins scrupuleux. Mais, là aussi, des accords logiques se font entre le génie et la gloire, entre le talent et la réputation : M. Berthelot est illustre et nul ne conteste que cela soit légitime. Chimiste, il est l’un des représentants les plus qualifiés d’une science, intéressante surtout par ses résultats pratiques, par ses applications industrielles. La cornue de Van Helmont vaut désormais des millions ; celle de M. Berthelot eût fait de lui un des puissants de ce monde, s’il avait eu le goût du lucre. Il a préféré les couronnes, les médailles, les apothéoses ; on les lui a décernées : il a sa récompense. Aller plus loin et dire que M. Berthelot représente la Science, ce serait peut-être aller trop loin. La chimie, même synthétique, n’est pas la Science ; elle est une des sciences où se disputent les hommes. Et d’ailleurs, il n’y a pas de Science absolue, il n’y a que des sciences particulières. Il ne faudrait pas avoir l’air de n’avoir détruit les vieilles religions que pour leur substituer une religion nouvelle, plus tyrannique et pas beaucoup plus sûre.
Invoquer, si l’on est prudent, l’autorité de la Science, c’est entendre, et rien de plus, la méthode de la science spéciale, limitée, dont il s’agit. Un philologue, un chimiste, un historien, un électricien peuvent dire également : la science. Cela signifie : ma science, mes principes, ce qui est valable en ce moment pour moi dans le cercle d’études où j’évolue. Au sens surélevé, la Science, cela pourrait signifier l’ensemble des connaissances humaines. Il y a toujours eu un ensemble des connaissances humaines, mais il n’a jamais été plus inaccessible aux forces d’un seul homme ; et, par l’activité même du mouvement scientifique, cet ensemble, ce bloc n’a jamais été plus précaire, plus instable. Tandis que le cerveau humain demeure toujours identique à lui-même, toujours la même machine sans perfection possible ni même imaginable, le trésor de la connaissance, grâce à l’écriture, l’imprimerie surtout, va toujours croissant. Jadis les notions se succédaient les unes aux autres ; maintenant elles s’accumulent. Elles ont formé une colline, une montagne, d’abord, et d’embrassement toujours de plus en plus difficile. S’il n’en croulait sans cesse dans le néant, si le nouveau ne venait pas, heure par heure, écraser le vieux, l’étouffer et enfoncer aux abîmes, la Science ne serait qu’une masse effroyable et invincible. Darwin a montré comment la terre, qui semble inerte, est en perpétuel mou

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