254
pages
Français
Ebooks
2011
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Publié par
Date de parution
01 septembre 2011
Nombre de lectures
90
EAN13
9782296348028
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
3 Mo
Publié par
Date de parution
01 septembre 2011
Nombre de lectures
90
EAN13
9782296348028
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
3 Mo
Les éditeursremercient EmmanuelleMarchadier
Le texte deDu Néant a Dieuaété établi d’aprèsl’éditionPerrin,1921.
Nous savons désormaisqueJules-PhilippeHeuzey, supposéavoir recueilliles
fragmentsqui composent celivre, est enfaitlepseudonyme deJulietteHeuzey,
romancière et seconde épouse deGeorgesGoyau.
Éditions du Sandre
57,ruedu DocteurBlanche
75016Paris
ERNESTHELLO
DUNÉANTÀDIEU
Préface de FabriceHadjadj
Éditions duSandre
HELLO,
OU CE QUE NOUS DISONS QUAND NOUS DISONS« SALUT»
PourValère Novarina
Prope te est verbum,
in ore tuoet in corde tuo.
Dt 30,14 etRm 10, 8.
equi s’énonceclairementne seconçoitpasbien.
C
Dansla préfacede son premiergrandlivre,Ernest
Hello l’avoue sansartiice:« Jem’étonnedeparler.»On peut
s’étonnerdecetétonnementmême:quoideplusbanal pourun
hommequed’êtreparlant?Depuisbellelurette,lesmanuelsle
rabâchent:ilestl’animaldouédulogos,etlafemelledel’espèce,
en mêmetempsqu’ellepréparela nourriture,s’inquiètetoujours
derelancer laconversation, cequineserencontre jamaischez
la lionnenimêmechezla pie.Peut-ondoncêtremuetd’avoir la
parole?Restersansmotsdevant son lexique?Setrouverbêtede
n’êtrepas unebête?Autantpour lepoisson nepascomprendre
qu’ilsoitdansl’eau...Etpourtant, c’estcela quinouscaractérisele
mieux: d’êtrecommedespoissonsquin’en reviendraientpasde
nager, desoiseaux telsquelesbrasleurtombentd’avoirdesailes,
desporcsqueleurgroinstupéie.Nousnereprenons soufle
qued’êtreainsisouflés.Etilfautcraindre,sil’étonnementde
parler nousmanque,quenosdiscoursnesoientjamaisquedes
bavardages.
Ilestpossible, dureste,quecetétonnementrésulted’un
darwinismeconséquent.Nousdescendonsdu singe,et voicique
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de la gorge duprimatemonte unchant demarin. Voiciquele
chimpanzé,soudainglabre etdebout,se trouve traverséparune
dissertationsurHegel ou un conseilsur lasaucebourguignonne.
Quoideplusmiraculeux?Hellosoulignecombien lathéorie
darwinienne implique unspiritualisme effréné:«Sil’homme
présente une telleressemblanceavec la chauve-souris etavec le
phoque, ce seraitprécisémentlecasd’exalter l’âme humainequi,
malgrécesanalogiesphysiques, creusede telsabîmesentreces
créatures.Plusla ressemblancephysiqueseraitprouvée, plusla
distancemoraledeviendraitéclatante*.»Hélas!les tenantsde
l’évolutionvontrarementjusqu’aux ultimesconséquencesde
leurthèse:ilsnesontpasébahisd’avoir leurspiedsdansdes
chaussuresdecuir, aulieudes’enservir poursesuspendreaux
branches ;ilsnesontpas sidérés,surtout, devoir leurslivres
remplacer lesbananes.
C’estd’autantplus tristequ’ilya bien d’autresraisonsà
l’étonnementdela parole.Maisj’ai déjàl’airdemecontredire:
est-il possibled’invoquerdes«raisons»des’étonner ?Notre
appareildèsleport semblevouéaunaufrage.Cequi étonneparaît
déier leraisonnable.Cedonton possèdelesressortsperd son
pouvoird’émerveillement.Donner la raisond’unechose, c’esten
retirer leprodige.Qu’onen dévoilelescauses,etl’effetdesurprise
s’éteint.Àmoinsque, commelesoleil pour les scintillationsdu
leuve, lescauses soientplus éblouissantesqueleurslumineux
effets.Lavéritableraisonseraitmèreduravissement.Lesraisons
qu’elledonneraitnerelèveraitpasdela rationalité supericielledu
calcul, maisdecelle, plus essentielle, delavie.Ils’agiraitalorsde
cueillir au vol quelques-unesdecesraisons vivantes.Etpeut-être,
aprèsavoirentenduHellos’étonner deparler, nous
étonneronsnousplus encoredelelire.
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*«Lesaveuxactuelsdelascience »,Le Siècle,XLII,Perrin,1923,p.291.
Comment le crapaud se change en prince
Lesmotslesplus simples,ceux de tousles jours,ceuxquine
coûtent guère,ouvrentnoslèvres suruneprofondeurexorbitante
quinousréclamemalgrénous.LéonBloy assureque «lesplus
inanes bourgeois sont, àleurinsu, d’effrayantspropethètes »
«queles abîmesdelaLumièresontimmédiatementinvoqués
par lesgouffresdeleur Sottise ».Eneffet, desexpressions
proverbiales comme «Lebonvieux temps»,«L’argentne fait
paslebonheur»ou«Les affaires sontles affaires»contiennent
d’embléedes«choses absolumentexcessives» etquilaisseraient
sans voix,s’ilslesentrevoyaient,ceux-làmêmesquilesprofèrent
silégèrement. Mais cettedémesuren’appartient-ellequ’auxlieux
communs?L’exégèsedes termeslesplusordinaires :« je »,
«salut»,«merci »,nenousdécouvrirait-ellepasqu’avantmême
l’Eucharistie –ou conduisantàellecommenaturellement–le
mystèrelogedansnotrebouche?Étonnante habitation
dontj’essaieraiderecensercinqformes.Cinqdecesraisons
surprenantesquenousévoquions.Dans cette entreprise,Hello
serapour nous commeun maîtredethéologiepour Monsieur
Jourdain.UnMonsieurJourdainàqui ilferaitdécouvrir qu’il
estlui-mêmeceJourdain où,incognito,selaisse immerger le
Verbe,–àqui il révéleraitleseauxbaptismalesdesasalive.
Et toutd’abord,ilyacette énigmequitroublait tantPaulhan:
quec’est delamatière etqueçacommuniquedel’esprit.On
actionneunemachinedemuscleset d’os, desoufle etde
dents,et voilà–plus surprenantqu’uncrapaudqui se change
en prince – toute cette viandearrimée faitnaîtrel’idéede justice
ouladéclarationd’amour.Parcequ’un«Jet’aime »,qu’est-ce
quec’est?Moinsqu’unbattement d’aile,maisd’ininimentplus
d’eficacequel’effetpapillon.Moinsqu’unemorsuredetigre,et
quicependantpeut déchirerjusqu’aufond du cœur.Cepeu d’air
déplacé,cetentrelacs delongueurs d’onde,cettedentale et cette
labialequirattrapeinextremislavoyellequ’ontrouvedans« jete
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hais »,– cepresquerien, d’uncoup,s’emparedenous jusqu’àl’os
del’être et se consomme dansle silence du baiser.Autourde ce
baiser qui transigure,le conte du crapaudredevenantprince se
répèteàchaque instant.Lamatière s’élève versl’esprit,l’esprit
investitlamatière.Lalangue s’est faitparole,laparole se fait
langue,etles amantspeuvent s’embrasser.Hello professe cette
communicationsans in: «Aumouvementque faitlamatière
versl’idée correspondlemouvement del’idée verslamatière.
Plusl’unemonte,plusl’autredescend.Leur pénétrationintime
résulte deleurs effortsréunis*.»
Les chosesmêmes attendent d’êtrenommées et d’acquérir
ainsi une existence de surcroît,–spirituelle.Quandjeprononce:
uneleur! jene faispas seulement selever,musicale,l’« absente
de tousbouquets »,j’accorde aussiàce coquelicot sur le bord de
laroute uneprésence d’esprit,unêtredeparole,unabouchement
avecma vie anxieuse d’immortalité,et j’en présentel’offrande au
silence telungrandprêtre dela création.Lelangage,écritHello,
« arespiré sonair natalsouslesombragesdel’Éden,le jour où
Adam,quipénétraitl’intimitédes choses,jugeales créatures en
nommantles animaux**.»Sans doute est-celepoètequimieux
qu’unautre accomplitleprodige de faire entrer leratoula girafe
dansl’arche delaparole ain qu’elles yobtiennent de franchir
les eaux deleurespècepouracclamer l’Éternel parsa voix.Mais
déjàlepetit enfantqui chercheà dire ceque c’estqu’ilvoit etqui
s’émerveille depouvoirbafouiller«oiseau » bénitlemariage du
cielet dela terre.Écoutonsmême cette discussionde brasserie
sur le bulot etlapalourde : elle confère aumollusque unelégèreté
quil’honore,etlesdeux hommesd’affairesqui croientparler
gastronomie,sansle savoir,sont au seuild’un ofice duTemple.
Dommagequ’aulieu de leuriren louange,leur propos,leplus
souvent,ne culmineque dans un rôt.
8
*Infra,p.66.
**L’Homme,«L’honneur».
C’est cetteréalité de communicationdes choseslesplus
matérielles aveclesplus spirituellesque voudrait énoncercette
discipline supérieurequ’Helloappelle «Symbolisme ».Celui-ci
n’estpas une extensionésotérique delamétaphore.Il neressortit