Love - Bouquet de roses, playlist et nouvelle vie ! , livre ebook

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Le roman des filles : Saison 2

Pauline trouvera-t-elle qui est le mystérieux inconnu qui lui envoie des roses chaque jour ? Gabrielle oubliera-t-elle Noé ? Leila réalisera-t-elle son rêve d’intégrer le même lycée que ses copines ? Morgane saura-t-elle enfin pour qui bat son cœur ?

Quatre filles vont apprendre à se connaître et unir leurs forces pour aller à l’assaut de la vie et la croquer à pleines dents !


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Publié par

Date de parution

24 octobre 2014

Nombre de lectures

228

EAN13

9782215129585

Langue

Français

Emmanuelle Kecir-Lepetit

Bouquet de roses,
playlist et nouvelle vie !

Fleurus

À mes quatre adorables muses,
Romane, Margot, Louise et Elsa.

L’auteur souhaite remercier son amie Carole Gradit,
pour sa précieuse relecture et ses conseils toujours astucieux.

Un grand merci aussi au proviseur du lycée Carnot de Paris,
monsieur Philippe Guittet, qui lui a ouvert les portes de son établissement
et permis d’en découvrir le cadre fabuleux.

Prologue

Demain serait le grand jour.

Demain, elle dirait au revoir à sa mère, à sa copine Lola, à son lycée, à l’existence presque normale qu’elle avait menée jusqu’à présent. Demain, elle quitterait Lyon pour Paris : une nouvelle vie allait commencer, dans une ville inconnue, sans adulte pour la surveiller. À seize ans à peine, c’était à la fois terriblement excitant et un peu effrayant, d’autant plus qu’à Paris, elle n’avait pas encore l’ombre d’une amie. Pauline avait l’impression d’être le nageur tout en haut du plongeoir, prêt à sauter dans le vide. Elle savait qu’il n’y aurait pas de retour possible.

 

Debout devant sa valise ouverte, elle hésitait. Sa grande sœur Mélisande lui avait dit : « Surtout, ne prends que l’essentiel ! » Mais comment fait tenir seize années d’une vie dans un seul bagage ? Impossible !

Au fond, Pauline commença par entasser toute sa panoplie de jeans et de tee-shirts ainsi que trois gros pulls. L’intégralité de sa garde-robe en somme. Les fringues n’étaient pas son truc. Elle laissait ça à la « duchesse » (alias Mélisande) et à leur mère, Camille de Saint-Sevrin, la célèbre photographe de mode.

 

Au milieu des vêtements, Pauline nicha son ordinateur portable, son seul vrai trésor. Il contenait toutes les musiques qu’elle aimait écouter. Autour, elle répartit sa maigre bibliothèque. Elle n’avait jamais été très portée sur la lecture et les seuls livres qu’elle possédait étaient des classiques. Mais avec le bac de français qui l’attendait à la fin de l’année, elle se dit qu’il valait mieux les emporter.

 

Le regard de la jeune fille balaya la minuscule chambre qu’elle avait partagée avec sa sœur. Oubliait-elle quelque chose ? Il y avait si peu d’elle-même dans cette pièce. Le « tsunami » – c’est ainsi qu’elle appelait la série d’évènements qui avait suivi le départ de son père un an plus tôt – avait emporté la plupart de ses souvenirs. Elle se pencha malgré tout sous son lit pour récupérer la boîte en métal qu’elle cachait tout au fond, contre le mur. Elle l’ouvrit et en sortit quelques photos de son enfance : Mélisande et elle devant le lac de Genève… Mélisande et elle sur une plage des Seychelles. Mélisande et elle dans le jardin de la maison de Versailles, où elles avaient vécu toutes petites. Mélisande et elle dans l’ancien appartement du centre de Lyon…

 

Mais tout cela appartenait à leur vie d’autrefois, celle d’avant le « tsunami ».

 

Pauline sourit en constatant, une fois encore, à quel point elle était différente de sa sœur. Même couleur roux incendiaire de leurs cheveux et seulement deux ans et demi d’écart, mais autant la beauté et l’assurance de Mélisande crevaient l’image, autant Pauline, à côté, passait presque inaperçue. Elle était plus frêle, avait le teint plus pâle et ses yeux pers, entre le bleu, le vert et le gris, lui donnaient un regard un peu étrange… Elle était à sa sœur ce que la lune est au soleil, l’ombre à la lumière.

 

Leurs parents ne figuraient sur aucun des clichés. Pour sa mère, l’explication était simple : c’était toujours elle qui se trouvait derrière l’objectif. Son père, en revanche, n’était jamais là. Il était toujours pris ailleurs, n’avait jamais le temps de s’occuper de ses filles. Un peu comme s’il se préparait déjà à disparaître de leurs vies.

 

Sur le dessus de la pile se trouvait la photo la plus récente. C’était Farouk, le petit ami de Mélisande, qui l’avait prise au début de l’été. Mère et filles y étaient réunies. Toutes les trois étaient assises sur le canapé bon marché du salon, dans le petit appartement où, avec le peu qu’il leur restait, elles avaient emménagé après le « tsunami ». Pourtant elles souriaient, l’air heureux. Pauline prit l’image et la glissa délicatement entre deux pages de son manuel de maths. De tous ses souvenirs, elle décida que c’était celui-ci qu’elle préférait garder. Elle fourra le manuel dans la valise puis elle remit le couvercle sur la boîte et l’envoya valser, d’un coup de pied, sous son lit.

 

Cette fois, elle avait pris l’essentiel. Elle n’eut même pas à s’asseoir sur sa valise pour réussir à la fermer : elle n’était qu’aux deux tiers pleine.

Partie 1

1

La grotte

Samedi 23 août, 17 h 15

Ouf, on y est ! souffla Farouk, en serrant le frein à main de la camionnette de location.

Après huit heures passées dans les embouteillages sous un soleil de plomb, il venait de trouver une place libre avenue de Clichy, juste en face du numéro 13.

– La chance est avec nous on dirait ! ajouta-t-il en souriant à ses deux passagères.

Assise sur le siège du milieu, la cage du chat sur les genoux, Mélisande lui jeta un regard enamouré. Elle lui passa la main dans les cheveux et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Pauline, elle, avait déjà ouvert la portière côté passager et bondi sur le trottoir.

– Ah ! J’avais hâte de me dégourdir les jambes, s’exclama-t-elle.

D’un coup d’œil, elle embrassa l’avenue et ses bazars colorés, ses petits cafés, ses scooters pétaradants, la circulation des voitures, la cohue des passants… Elle arrêta son regard sur le petit immeuble aux murs gris qui lui faisait face et lâcha :

– Je sens que je vais me plaire ici.

Mélisande était sortie à son tour du véhicule, sans se presser et en prenant garde à ne pas salir la jolie tunique vert d’eau qu’elle portait par-dessus son jean. Des yeux, elle suivit le même parcours que sa sœur mais elle semblait un peu moins convaincue :

– Question standing, j’ai vu mieux… Mais on fera avec ! 

Farouk, tenant dans ses bras un énorme carton ne tarda pas à les rejoindre.

– Dites les filles, ça vous ennuierait de me donner un coup de main ? Je dois rendre la camionnette avant 18 heures, donc il faut tout vider fissa ! 

Pauline attrapa une valise et Mélisande, la cage du chat dans une main, fouilla de l’autre dans son sac et en sortit un trousseau de clés, flambant neuves. Elle glissa le pass devant le boitier de l’interphone. Un bip se fit entendre, et la lourde porte à la peinture rouge écaillée s’entrouvrit dans un grincement. Pénétrant sous le porche mal éclairé, elle lança d’un ton grandiloquent et légèrement moqueur :

– Bienvenue dans notre nouveau palace parisien ! 

 

Une heure plus tard, Farouk referma la porte de l’appartement derrière lui et annonça :

– J’ai réussi à rendre la camionnette, mais c’était moins une !

De son inimitable démarche nonchalante, il entra dans le petit salon, encombré de valises et de cartons empilés en désordre. De la fenêtre ouverte montait le bruit assourdissant de la circulation sur l’avenue de Clichy. Assise sur une valise, Mélisande lui tendit une canette de soda frais.

– Tu es mon héros ! Voici ta récompense. 

Le jeune homme se jeta sur la boisson et vida la canette d’un trait. Mélisande lui en tendit une seconde.

– Merci Duchesse, tu me connais mieux que personne, sourit Farouk avant de descendre son deuxième soda.

Désaltéré, il passa le bras autour de la taille de sa petite amie et la serra contre lui. Les deux jeunes gens allaient s’embrasser mais un raclement de gorge les arrêta.

– Je vous en prie, faites comme si je n’étais pas là ! 

Mélisande se retourna avec humeur et fixa sa sœur, assise à même le sol dans un coin de la pièce.

– On le sait que tu es là, Pauline ! Mais figure-toi que Farouk et moi, on est a-mou-reux. Alors autant t’y habituer tout de suite. Si on vit ensemble tous les trois, la scène risque de se reproduire !

Farouk desserra tout de même son étreinte.

– En même temps, on peut essayer de rester discrets.

– Quoi ! s’empourpra Mélisande

– C’est vrai, je me mets à la place de Pauline. On ne va pas se papouiller en permanence devant elle. C’est un manque de respect… Et puis c’est un peu gênant.

Mélisande soupira, agacée.

– Bon… eh bien, si on n’a même pas le droit à un petit moment de tendresse dans ce monde de brutes, passons aux choses sérieuses et choisissons nos chambres.

Elle se dirigea vers le minuscule couloir qui faisait face à l’entrée.

– Ce n’est pas compliqué, il y en a deux et elles font à peu près la même taille. La première donne sur la rue mais elle a le mérite d’être lumineuse. 

Elle ouvrit la fenêtre et, aussitôt, le vacarme de la circulation emplit la pièce.

– Lumineuse et… pleine de vie ! poursuivit-elle avec un sourire crispé. L’autre doit être plus calme puisqu’elle donne sur la cour.

Elle entra dans la seconde chambre et écarta le rideau qui masquait la vitre. Un mur couleur suie se présenta en vis à vis à quelques mètres de la fenêtre.

Pauline pouffa :

– En fait, c’est une chambre noire ce truc !

– Une grotte tu veux dire ! rétorqua sa sœur, inspectant d’un air circonspect le papier peint hors d’âge qui se décollait par endroit, sous l’effet de l’humidité.

– Je la prends ! asséna Pauline.

Mélisande pivota vers elle, surprise.

– Si c’est pour nous faire plaisir, tu n’es pas obligée. Farouk et moi, on peut dormir n’importe où.

– Évidemment ! Quand on est a-mou-reux, le décor ne compte pas ! ricana Pauline. 

Mélisande l’entraîna à l’écart.

– Écoute, pour moi, l’essentiel c’est que tu te sentes bien. Maman n’est pas là, tu es donc sous ma responsabilité.

– Arrête ! Tu ne vas pas la jouer « Camille de Saint-Sevrin », regimba la cadette, en prononçant le nom de leur mère d’un ton intentionnellement snob.

– Mais non ! Je veux seulement que tu sois heureuse, ici, avec nous…

Pauline baissa les yeux et essuya du pied une tache imaginaire sur le parquet. Elle commençait à entrevoir que partager l’intimité de sa sœur et de Farouk ne serait finalement pas si évident. Elle releva la tête et affirma d’une voix encore plus résolue :

– Je prends la grotte.

– Tu es sûre ? Parce que…

– Je prends la grotte. Je veux un endroit tranquille, bien à moi.

– Ok… Si c’est vraiment ce que tu veux…

– Oui.

Mélisande prit la main de Farouk et s’éloigna. Pauline regagna sa propre chambre, alluma l’ampoule du plafonnier et fit un rapide tour du propriétaire. Certes, l’endroit n’était pas luxueux mais c’était chez elle. Elle trouvait même un certain charme aux fissures du plafond et aux cloques verdâtres qui fleurissaient, ici et là, sur son papier peint. À l’abri, dans son cocon, elle commençait à rêver à cette nouvelle vie qui s’offrait à elle et se demandait bien quelles surprises elle allait lui réserver…

2

Entre rêve et réalité

Lundi 1er septembre, 7 h 30

Pauline était assise tout en haut de la Grande Roue du jardin des Tuileries. Le manège s’était arrêté et la nacelle se balançait doucement dans le vide. Toute la ville s’offrait à ses pieds. Pourtant, ce n’était pas la contemplation de cet impressionnant panorama qui l’occupait mais le garçon qui était à côté d’elle. Il avait les cheveux blonds, les yeux d’une couleur incomparable qui lui rappelait celle des ruisseaux gonflés par la pluie au printemps. Pauline les trouvait magnifiques. Le visage du garçon se rapprocha du sien et elle sentit son cœur chavirer : il allait l’embrasser ! Elle ferma doucement les yeux, prête à recevoir ce baiser, quand une violente secousse la fit basculer en arrière. La nacelle se mit à tanguer dangereusement et le garçon s’éloigna puis disparut tout à fait, en criant son nom.

– Pauline !

 

Encore perdue dans son rêve et l’esprit embrumé, elle réalisa que le visage qui se penchait au-dessus du sien était celui de Mélisande et que celle-ci la secouait dans tous les sens.

– Pauline ! Mais enfin, ça fait une heure que je t’appelle ! Tu n’as pas entendu l’alarme de ton portable ?

– Que se passe-t-il ? répondit sa sœur, la voix ensommeillée

– Il se passe qu’il est 7 h 30 ma grande ! Et que dans une heure, tu es censée faire ta rentrée au lycée Carnot, fraîche et dispose !

Pauline bondit de son lit, tel un diable à ressort.

– Oh là là ! J’ai dû confondre la sonnerie du réveil avec celle du manège.

– Pardon ? dit Mélisande interloquée.

– Non, rien. Ce serait trop compliqué à expliquer.

En vitesse, Pauline ramassa un jean qui traînait sur la chaise de son bureau, attrapa le premier tee-shirt qui lui tombait sous la main et se précipita dans la salle de bain.

– Pour le côté « fraîche et dispose », ce n’est pas gagné, lança-t-elle avant de s’engouffrer sous la douche. Mais je vais au moins essayer d’être à l’heure pour ma rentrée en première !

 

En effet, cinq minutes plus tard, une Pauline habillée et à peu près coiffée fit son apparition dans le séjour. Mélisande lui tendit une tasse de café et une tartine, sa sœur les repoussa d’un revers de la main.

– Tu devrais manger un peu, Pauline…

– Tu n’es pas obligée de faire ta petite maman, hein. Je suis une grande fille, je peux m’occuper de moi toute seule, grommela-t-elle.

– C’est la rentrée qui te stresse ? hasarda Mélisande.

Mais sa sœur ne répondit pas et se contenta de se ronger les ongles, d’un air pensif.

– Moi j’avoue qu’elle me stresse un peu. Ce sera ma première année de prépa éco, je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangée !

– Arrête ! Pour toi, ce sera facile ! En prépa, personne ne se connaît, les gens viennent de partout ; tu te feras vite de nouveaux amis. Tandis que moi, je vais arriver comme un cheveu sur la soupe. Les autres élèves se connaîtront depuis la seconde, les groupes seront déjà formés. Je vais être la « petite nouvelle », quoi !

D’un geste qui lui était pourtant inhabituel, Mélisande posa doucement sa main sur le bras de sa sœur.

– Tu veux que je t’accompagne ?

– Bien sûr ! Et tu m’apporteras mon goûter à la sortie aussi ? ironisa Pauline.

– C’était juste une proposition ! Dis tout de suite que tu as honte d’être vue avec moi, lança sa sœur d’un air faussement vexé.

– Tu parles ! C’est surtout que tous les garçons risqueraient de vouloir devenir amis avec moi seulement pour avoir ton numéro, pouffa Pauline en lançant un clin d’œil à Mélisande.

 

Pour être franche, Pauline ne se sentait vraiment pas très bien : une grosse boule d’appréhension lui nouait le ventre. Elle se dirigea vers la fenêtre du salon pour l’entrouvrir et respirer une bouffée d’air frais. La circulation était encore assez faible à cette heure et on pouvait entendre le pépiement des oiseaux perchés dans les arbres du square voisin. Elle aimait beaucoup s’y promener : c’était un parc tout en longueur, dissimulé entre deux impasses donnant sur l’avenue de Clichy. Une grande pelouse accueillait les parties de foot des enfants du quartier, tandis que lecteurs, amoureux et personnes âgées trouvaient refuge sur les bancs qui bordaient les sentiers. C’était un havre de paix et de verdure au milieu de l’agitation de la ville ; Pauline restait des heures à réfléchir et à rêvasser…

 

À la fin de l’année scolaire, elle avait eu un véritable choc en apprenant que Mélisande projetait de partir s’installer à Paris avec Farouk pour poursuivre ses études. Il était hors de question pour elle de rester à Lyon et de vivre seule avec sa mère. Outre le fait que celle-ci, trop accaparée par son métier, n’avait jamais aucun moment à lui accorder, Pauline avait l’impression d’être une déception permanente pour sa mère. Leurs centres d’intérêt, leurs ambitions et même leurs goûts vestimentaires étaient diamétralement opposés. Mère et fille ne parvenaient pas à se comprendre et Pauline savait que ce sentiment serait renforcé par l’absence de Mélisande. Elle avait donc supplié sa sœur de l’emmener avec elle. Mélisande aurait préféré pouvoir s’installer seule avec Farouk, sans avoir à veiller sur sa cadette mais devant le désarroi de celle-ci, elle avait fini par accepter. Pour obtenir également l’accord de sa mère, Pauline avait eu un argument imparable : l’excellent niveau du lycée Carnot où les deux sœurs étaient parvenues à s’inscrire. Elle touchait là la corde sensible de madame de Saint-Sevrin : ses filles suivraient les cours de l’un des meilleurs lycées parisiens et fréquenteraient l’élite !

 

Un bruit de vaisselle qu’on déposait dans l’évier fit revenir Pauline à la réalité.

– Où est Farouk ? demanda-t-elle à sa sœur.

– Il dort encore, le veinard ! Il ne reprend les cours à Nanterre qu’à la fin du mois.

– Et toi ? À quelle heure commences-tu ce matin ?

– À 9 heures. D’ailleurs, je ne veux pas te presser mais…

Pauline jeta un œil à sa montre et poussa un cri !

– Oh non ! Je vais être à la bourre !

Elle déboula dans sa chambre pour y attraper son sac et se précipita dehors en claquant la porte.

Mélisande la regarda partir en souriant.

– Ah ! Paulinette ! Tu ne changeras jamais !

Lundi 1er septembre, 8 h 25

Pauline émergea en courant de la bouche de métro, manquant de bousculer plusieurs personnes et fonça vers le lycée. Elle allait être en retard le premier jour des cours ! Cela lui ressemblait tellement ! Elle courait et s’en voulait. Essoufflée, échevelée, elle parvint à atteindre le boulevard Malesherbes à 8 h 29. Il ne lui restait plus qu’une centaine de mètres à parcourir. Même si elle n’était pas Usain Bolt, c’était faisable. Pourtant, elle ralentit en apercevant son reflet dans la vitrine d’une boutique. Avec ses joues rouges et ses cheveux décoiffés, elle allait faire sensation en arrivant à Carnot !

 

Pauline reconnut un peu plus loin les hauts murs de brique rouge du lycée, qu’elle avait repéré quelques jours plus tôt. Leur apparence et leur couleur détonnaient avec le reste du quartier : ils semblaient appartenir à une autre époque. Le cœur battant, elle se fraya un chemin parmi les élèves attroupés sur le trottoir, devant le portail d’entrée. Un rapide coup d’œil lui suffit pour comprendre qu’elle serait sûrement l’une des rares rousses du lycée. Elle frissonna à cette idée. Dans le passé, la couleur de ses cheveux lui avait valu de nombreuses moqueries et vexations. L’année d’avant, elle était même devenue la risée d’une des filles de sa classe, au point que Mélisande avait fini par intervenir. Mais cette année, sa sœur ne serait pas là pour veiller sur elle : il faudrait qu’elle se débrouille seule. Seule ! Elle avait l’impression que ce mot résumait toute sa situation actuelle.

 

Le son strident de la sonnerie retentit au moment où elle se faufilait sous le porche. Immédiatement, la marée des élèves l’entraîna à l’autre bout de la cour et la projeta dans un immense espace couvert, qui tenait plus du hall de gare que du préau de lycée. Au-dessus de sa tête, une verrière filtrait la lumière du jour et le bruit des conversations se répercutait sur les murs, lui revenant en écho. Désorientée, Pauline avait envie de faire demi-tour et de prendre ses jambes à son cou. Elle se ressaisit et remarqua que la majorité des élèves s’était massée devant des panneaux d’affichage où de grandes feuilles étaient placardées. Elle se fraya un chemin vers les listes et tenta d’apercevoir son nom. Se hissant sur la pointe des pieds pour mieux voir, elle trébucha et tomba contre le dos de l’élève devant elle. Celui-ci se retourna aussitôt.

– Je suis dé… désolée, bredouilla Pauline, devenue rouge écarlate. J’ai perdu l’équilibre !

– Ça ne fait rien. Tu ne t’es pas fait mal au moins ?

Un garçon aux cheveux bruns savamment décoiffés, vêtu d’une chemise blanche et d’une élégante veste noire lui souriait d’un air engageant.

– Euh non, ça va. J’ai la tête dure.

– Ouf ! Je m’en serai voulu de faire une victime dès les premières minutes de la rentrée.

Pauline pouffa et mima une éclopée, boitant et se tenant la tête.

– Rassure-toi, je devrais survivre au choc de notre rencontre.

Le garçon éclata d’un rire franc et lui tendit la main. Pauline la saisit… et eut la surprise de voir le garçon se pencher et mimer un baise-main.

– Ravi de vous connaître, mademoiselle. Je m’appelle Balthazar.

– Et moi Pauline, répondit-elle en improvisant une révérence.

Sur ces entrefaites, un mouvement de foule les sépara.

– Bienvenue à Carnot ! lui lança le jeune homme avant de disparaître, happé par une vague de nouveaux élèves.

 

Charmée par cette rencontre aussi brève qu’insolite, Pauline s’avança jusqu’au panneau où étaient affichées les listes des premières S. Elle constata qu’elle était en première S3 et avait pour professeur principal un certain monsieur Blanchot. Elle chercha un moment du regard le garçon qu’elle venait de croiser. Ils ne seraient sans doute pas dans la même classe. C’était dommage : il avait l’air original et Pauline aimait les gens qui sortaient de l’ordinaire.

Son attention fut bientôt attirée par l’apparition d’un homme au crâne légèrement dégarni qui s’avançait au milieu du préau. Tout le monde s’écartait sur son passage et peu à peu le silence tomba sur l’immense hall. Quand il prit enfin la parole, Pauline eut l’impression que sa voix résonnait sous la verrière comme dans la nef d’une église :

– Bonjour, pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis monsieur Guilleri, le proviseur du lycée Carnot et je souhaite à tous la bienvenue en ce jour de rentrée ! Comme tous les ans, je suis honoré de recevoir nos nouveaux élèves dans ce hall, construit il y a 140 ans par Gustave Eiffel…

Pauline était impressionnée. Elle savait que le lycée Carnot était un excellent établissement mais elle ignorait qu’en plus, c’était un lieu chargé d’histoire.

– Les murs de notre établissement ont accueilli et fait prospérer de nombreux talents, continua le proviseur. Le généticien François Jacob, le mathématicien Jean Hamburger, les industriels Louis Bréguet et François Michelin, le poète Louis Aragon, le peintre Bernard Buffet, le comédien Francis Huster, sans oublier Serge Haroche, qui a été récompensé par le Prix Nobel de physique en 2012.

Les yeux de la jeune fille s’étaient arrondis comme des soucoupes. Certains des noms cités ne lui disaient rien, mais tous ces gens avaient l’air drôlement important. Elle se sentait de plus en plus intimidée…

 

Le proviseur présenta ensuite les professeurs qui l’entouraient. À l’appel de son nom, monsieur Blanchot, un grand bonhomme chauve à la barbe hirsute, invita les élèves de sa classe à le suivre. Ils gravirent un escalier métallique qui menait à une galerie en hauteur. Prise de vertige, Pauline gardait la main collée à la rambarde et tentait d’éviter de regarder vers le bas. Elle sentait le sol tanguer sous ses pieds. Elle parvint finalement jusqu’à la salle de classe où elle entra, le souffle court et le teint plus pâle que jamais.

 

Quand elle reprit ses esprits, elle réalisa qu’elle était plantée bras ballants devant l’estrade depuis déjà un petit moment. Autour d’elle, les autres élèves avaient pris place en bavardant ; tous avaient l’air de bien se connaître. Heureusement, personne ne semblait s’être aperçu de son malaise. Elle allait se résoudre à s’asseoir sur une table isolée lorsqu’on la tira par la manche :

– Tu es nouvelle ? Si tu veux, tu peux t’asseoir à côté de moi.

La jeune fille qui venait de lui parler était une petite brune aux yeux vifs et aux joues rondes, ornées de fossettes qui lui donnaient l’air malicieux. Sans attendre la réponse de Pauline, elle la tira vers une table qui bordait l’allée centrale, dans le rang du milieu. Pauline réalisa qu’elle occupait ainsi un poste stratégique dans la classe, ni à l’avant, ni à l’arrière, mais juste au centre.

– Je m’appelle Tara, reprit la brunette en lui adressant un grand sourire.

Pauline se présenta à son tour. Deux minutes plus tard, elle ne savait comment, Tara avait réussi à lui soutirer une grande quantité d’informations : son récent emménagement à Paris, ses origines lyonnaises et même sa date de naissance !

 

Elle aurait sans doute poussé son enquête plus avant si monsieur Blanchot, qui était resté sur la galerie pour accueillir les retardataires, n’avait fait son apparition dans la classe. Les conversations cessèrent séance tenante.

– Bonjour mesdemoiselles, bonjour messieurs ! Je suis monsieur Blanchot, enseignant en mathématiques et, pour cette année, votre professeur principal. J’ai un certain nombre de papiers à vous distribuer : emploi du temps, fiches administratives que vous remplirez chez vous et que vous me remettrez lors du cours de demain, ainsi que deux ouvrages de mathématiques qui deviendront, je n’en doute pas, vos livres de chevet.

Pauline se mit à pouffer nerveusement. Ce Blanchot avait débité cette longue phrase d’un seul trait, sans reprendre son souffle, et sans lever les yeux d’un point de son bureau qu’il fixait de manière aussi étrange qu’intense. Son ton strict offrait un contraste sidérant avec son allure de vieil ours mal léché à peine sorti de sa caverne. Mais Tara la fit taire d’un coup de coude.

– Arrête ! Ce type est un grand malade ! On le surnomme le « psychopathe ». S’il te voit rigoler, tu vas passer un sale quart d’heure !

Pauline ravala sa salive, et, avec effroi, le vit remonter l’allée et s’approcher de son pupitre. Sans un regard vers elle, il posa sur sa table une liasse de feuillets de couleurs variées. Elle remarqua au passage qu’il avait du poil sur les doigts et les ongles noirs de crasse. Lorsqu’il se déplaça, une odeur prononcée de transpiration lui fit tordre le nez. À côté d’elle, Tara souleva les sourcils en une mimique de résignation drolatique. Pauline ne put s’empêcher de pouffer à nouveau.

Le professeur se retourna comme une toupie et posa sur elle ses yeux couleur acier.

– Votre nom, mademoiselle ?

– Euh… Pauline de Saint-Sevrin.

– Prenons x, votre humeur qui me semble fort joyeuse. Multiplions-la par y, soient les exercices 4 et 5 de la page 56 du livre d’algèbre, nous obtiendrons quel résultat, à votre avis, mademoiselle Saint-Sevran ?

– …

– Un enthousiasme tendant vers l’infini, peut-être ? reprit le professeur en vrillant sur elle son regard métallique.

– Oui monsieur…

– Parfait. Vous me remettrez ces deux exercices résolus et rédigés demain à la première heure. Est-ce clair, mademoiselle Saint-Sevran ?

– Oui, monsieur, répéta Pauline sans même oser relever l’erreur de prononciation sur son nom.

Le professeur lui tourna le dos et reprit sa distribution, sans lui accorder davantage d’attention.

 

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