101
pages
Français
Ebooks
2014
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2014
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Publié par
Date de parution
22 octobre 2014
Nombre de lectures
65
EAN13
9782764428191
Langue
Français
Publié par
Date de parution
22 octobre 2014
Nombre de lectures
65
EAN13
9782764428191
Langue
Français
Du même auteur chez Québec Amérique
Le Rôle des cochons, coll. Magellan, 2014.
Projet dirigé par Stéphanie Durand, éditrice
Conception graphique : Julie Villemaire
Mise en pages : André Vallée – Atelier typo Jane
Révision linguistique : Line Nadeau et Myriam de Repentigny
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain
Québec Amérique
329, rue de la Commune Ouest, 3 e étage
Montréal (Québec) H2Y 2E1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Bouchard, Camille
Les chiens entre eux (Titan + ; 108)
Pour les jeunes.
ISBN 978-2-7644-2800-9 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-2818-4 (PDF)
ISBN 978-2-7644-2819-1 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Titan jeunesse ; 108.
PS8553.O756C44 2014 jC843’.54 C2014-941786-1 PS9553.O756C44 2014
Dépôt légal : 4 e trimestre 2014.
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2014.
www.quebec-amerique.com
À Dominique Patenaude, enseignante formidable à l’école secondaire Henri-Bourassa, Montréal-Nord.
« Ce que tu gagneras par la violence, une violence plus grande encore te le fera perdre. »
Le mahatma Gandhi
Chaque fois que l’on prend un livre et que l’on tourne la première page, on se demande : « Qu’est-ce qui m’attend ? Où l’auteur m’emmènera-t-il ? Quelles émotions se prépare-t-il à me faire vivre ? Aurai-je peur ? Aurai-je mal ? » Cette incertitude est captivante, grisante.
On se plaît à être surpris par un dénouement inopiné. On prend plaisir à rire, à pleurer et à souffrir avec les personnages du récit. Ils nous fascinent. En dépit de tous les drames qui nous attendent au détour des pages, on s’en délecte tels des vautours planant au-dessus des agonisants, se pourléchant à l’avance de leur tragédie…
Sauf que maintenant, pour moi, la peur et la douleur sont vraies. Vraies de vraies. Ce n’est pas un personnage de fiction que j’accompagne dans ses aventures. Tout m’arrive à moi – à moi ! – dans la réalité. La ré-a-li-té .
J’ai peur. Réellement. Et j’ai mal. Réellement.
J’ignore où l’on m’emmène. Et ça n’a rien de grisant.
Je voudrais juste sortir de cette histoire, retrouver mon petit monde à moi. Refermer ce chapitre de ma vie qui ne me plaît pas, mais pas du tout.
Cependant, c’est impossible. Je ne peux pas retourner dans un univers tranquille rien qu’en rabattant la couverture d’un livre devant moi. Je ne peux pas quitter d’un seul coup la peur et la douleur en fermant simplement les paupières. La preuve : en ce moment, j’ai les yeux bandés, je ne vois rien, et pourtant peur et douleur n’en sont qu’accentuées.
Les pneus du véhicule mordent l’asphalte en produisant dans ma poitrine une vibration qui me donne la nausée. Étendu sur la banquette arrière, je sens contre mon corps meurtri la dureté des ressorts. La cuirette bon marché empeste la sueur et la pisse. Le sang aussi, je pense.
Mais il est possible que toute cette puanteur vienne de moi, de ma sueur. J’ai peut-être même fait pipi dans mon short pendant que j’étais à demi conscient. J’ai les chevilles liées et rattachées à mes mains ficelées dans le dos. La corde à mes poignets est si serrée que ma peau est écorchée.
Au milieu des bruits du moteur et des pneus sur l’asphalte, j’entends des bribes de la conversation de mes ravisseurs. Ils ne sont que deux, car je ne distingue que deux voix différentes. L’une, rêche, saccadée et un peu chevrotante, vient du côté conducteur. L’autre, plus posée et aux intonations plus profondes, provient du siège du passager. Puisque mes pieds sont appuyés sur une portière et que je sens contre ma tête l’attache libre de la ceinture de sécurité de la place voisine, j’en conclus que je suis seul sur la banquette arrière.
… Tu sais, ce mec-là, il venait de Guadalajara, il dansait à moitié soûl autour des tables. On l’a buté à coups de…
Ça, c’est le conducteur. Il parle avec des expressions typiques de Tijuana et de la Basse-Californie. Pour soûl , il a employé abagobierto au lieu de borracho ; pour danser , mover el bote au lieu de bailar ; pour mec , vato au lieu de hombre ou tio ou…
Je suis heureux de constater que les coups que j’ai reçus n’ont pas altéré ma faculté à manier les langues. Je comprends encore très bien l’espagnol. Même les régionalismes.
Fais attention à l’auto ; on arrive là où il y a tous ces travaux.
Et le second homme, pour auto , il a utilisé ranfla au lieu de carro . (Ils devraient prononcer coche , mais les Mexicains utilisent beaucoup d’anglicismes venus de leur puissant voisin du nord, les États-Unis.)
Il dit quoi, le petit gringo, derrière ? demande le conducteur.
J’entends couiner le siège du passager quand le second type se tourne vers moi – c’est ce que je suppose, je ne vois rien – puis celui-ci répond :
Il est toujours sans connaissance. En tout cas, il a cessé de gémir.
Je déteste quand les Mexicains m’appellent « gringo ». Je suis Canadien, crotte ! Et francophone à part ça ! Alors, je n’ai rien en commun avec ces Étasuniens qui leur ont fait la guerre au XIX e siècle pour s’emparer de la moitié du territoire, c’est-à-dire l’Arizona, le Nouveau-Mexique, la Californie… sans parler du Texas, qui…
Aïe !
Le véhicule vient de franchir trop brusquement un nid-de-poule. Un ressort en profite pour pénétrer plus profondément entre deux de mes côtes, là où j’ai déjà particulièrement mal, justement.
On dirait qu’il est réveillé, le petit gringo, ricane le conducteur.
Ralentis, merde ! Tu vas tout casser.
Où m’emmènent-ils ? Et où est Arantxa ? L’ont-ils tuée ?
Si oui, vont-ils me tuer, moi aussi ?
Là, fais gaffe ! Il y a un foutu camion. Si la lumière de ses phares nous balaie du haut de cette montée, le chauffeur risque d’apercevoir le gamin ligoté sur la banquette. Alors, attends qu’il soit passé.
T’as qu’à replacer la couverture sur lui.
Un nouveau couinement se fait entendre au milieu du grondement du camion qui nous croise. Je perçois la puanteur d’un méchant tissu qu’on dépose sur moi.
Keep quiet, gringo ! en profite pour m’ordonner le type.
Va au diable ! Quelle manie ils ont tous de s’adresser à moi en anglais ! Je parle mieux espagnol, cretino ! Et je peux même m’exprimer en balançant des régionalismes de Tijuana la maudite !
Tijuana, qui abrite l’un des cartels de la drogue les plus dangereux du Mexique. Tijuana, où le nombre de morts violentes par année dépasse celui de Kaboul et de Bagdad. Tijuana, où j’ai connu Arantxa. Où j’ai…
Aïe !
Foutue route !
Et si, au lieu de me plaindre, je me concentrais afin de découvrir où nous nous trouvons en ce moment… Quel détail de ce que j’entends – ou ressens – me permettrait de deviner où ces misérables m’emmènent ? En supposant que je me sortirai de ce pétrin, quel élément m’aiderait à orienter la police vers ces salauds ? Vers Arantxa ?
Ou vers son cadavre ?
Misère ! Je ne dois pas penser ainsi ! Je dois m’occuper l’esprit. Ne serait-ce que pour garder les idées claires. Ne plus angoisser. Me sentir vivant et non pas déjà mort.
Une locomotive, deux locomotives, trois locomotives…
Bon, ce n’est pas que j’entends passer des trains, mais lorsqu’on compte les locomotives, on peut estimer la durée en secondes. C’est un truc rigolo que mon père m’a appris quand j’étais petit, quand je trouvais le temps long en voiture, dans la salle d’attente du dentiste ou chez un fournisseur tardant à ré pondre à ses clients. Je regardais la position de la trotteuse de la montre de mon père, je fermais les paupières, je comptais soixante locomotives, je rouvrais les yeux et, la plupart du temps, la trotteuse avait retrouvé exactement sa place de départ. L’aiguille des minutes, elle, avait avancé d’un intervalle.
… onze locomotives, douze locomot