137
pages
Français
Ebooks
2022
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
137
pages
Français
Ebooks
2022
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Publié par
Date de parution
17 octobre 2022
Nombre de lectures
31
EAN13
9782215182061
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
L’histoire débute un matin d’août, sur l’autoroute A75. Ce jour-là, au volant de sa Kangoo bleue, Thomas Demange, mon père, a la tête de celui qui, au bord d’un danger imminent, voit toute sa vie défiler. A côté de lui, moi, Capucine, sa fille aînée de 16 ans, les yeux tournés vers le Nord, vers Paris où ma mère, la célèbre chanteuse Claire Bé et ma nouvelle vie m’attendent. Ma libération est proche ! Le lycée Sophie Germain me tend les bras ! Sur la banquette arrière de la Kangoo bleue, Zoé Demange, ma sœur, qui m'envie mais qui va devoir attendre encore un peu avant de quitter Florac, en Lozère, dans les Cévennes, un bled oublié du monde. Mais en arrivant à Paris, mon rêve, mon Eldorado, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme prévu parce que ma mère a décidé de partir en tournée et que je vais rester seule à Paris. Ou plutôt en coloc avec Charlotte...
Publié par
Date de parution
17 octobre 2022
Nombre de lectures
31
EAN13
9782215182061
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Table des matières Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Chapitre 8 Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11 Chapitre 12 Chapitre 13 Chapitre 14 Chapitre 15 Chapitre 16 Chapitre 17 Chapitre 18 Chapitre 19 Chapitre 20 Chapitre 21 Chapitre 22 Chapitre 23 Chapitre 24 Chapitre 25 Chapitre 26 Chapitre 27 Chapitre 28 Chapitre 29 Chapitre 30 Chapitre 31 Chapitre 32 Chapitre 33 Chapitre 34 Chapitre 35 Chapitre 36 Chapitre 37 Chapitre 38 Chapitre 39 Chapitre 40 Chapitre 41 Chapitre 42 Chapitre 43 Chapitre 44 Chapitre 45 Chapitre 46 Chapitre 47 Chapitre 48 Chapitre 49 Chapitre 50 Chapitre 51 Chapitre 52 Chapitre 53 Chapitre 54 Chapitre 55 Chapitre 56 Chapitre 57 Chapitre 58 Chapitre 59 Chapitre 60 Chapitre 61 Chapitre 62 Chapitre 63 Chapitre 64 Chapitre 65 Chapitre 66 Page de copyright
Points de repère Cover Title Page Copyright Page Corps de texte
Pour Aline et Arnaud
*
L’histoire débute un matin d’août, sur l’autoroute A75. Ce jour-là, au volant de sa Kangoo bleue, Thomas Demange, mon père, avait la tête de celui qui, au bord d’un danger imminent, voit toute sa vie défiler. Tout devait y passer : les promenades en forêt, les anniversaires, les réveillons de Noël, les bronchites et les varicelles, les vacances à la mer, les doudous perdus, etc. Il passait son temps à frotter sa main contre ses lombaires en grimaçant. Et au cas où cela n’aurait pas été suffisamment clair, il répétait :
— J’ai mal au dos.
Avant de préciser :
— Qu’est-ce que j’ai mal.
Il m’énervait. Je précise : qu’est-ce qu’il m’énervait. Mais je restais stoïque, les yeux tournés vers le nord, ma mère, Paris, la nouvelle vie qui m’attendait au bout de cette autoroute, refusant de regarder en arrière. Tout ça était bientôt fini. Ma libération était proche. D’ailleurs, un panneau venait d’indiquer que mon avenir débutait dans 287 kilomètres.
Sur la banquette arrière de la Kangoo bleue, Zoé Demange, ma sœur, s’était affaissée jusqu’à stabiliser son corps dans une position ménageant un angle de 127° entre son buste et ses jambes, position idéale de l’adolescent en pleine croissance. En ambassadrice zélée de sa génération, elle portait capuche et écouteurs, piochait régulièrement dans un paquet de bonbons coincé entre ses cuisses et, le regard absent, se contrefoutait de ce qui l’entourait. Ce qui n’empêche qu’elle avait insisté comme une démente pour nous accompagner, à nous faire croire qu’elle y jouait sa vie. Allez comprendre.
J’aurais préféré partir seule, en train, en BlaBlaCar, ou même en FlixBus, au lieu de subir six cents kilomètres à côté d’un parasite à capuche et d’un pauvre homme blessé dans sa dignité de Père Parfait. Plutôt y aller à pied que d’entendre encore ses râles d’animal blessé. Mais, trop content de rappeler qu’on ne pouvait pas se passer de lui, il avait bien fallu qu’il s’occupe de transporter mes affaires. Un Père Parfait, même le cœur brisé, quand on lui arrache la chair de sa chair, il prend sa voiture pour transporter les valises de la chair de sa chair et la conduire lui-même à sa cruelle ravisseuse, sur les lieux de sa future captivité.
En réalité, je le soupçonnais de vouloir voir de ses yeux l’appartement qu’avait loué ma mère. Histoire d’avoir des trucs à redire. De critiquer encore le quartier-tellement-trop-loin-de-ton-lycée-non-mais-à-quoi-elle-pense-ta-mère, de s’indigner du nombre d’étages à monter sans ascenseur, de se pincer le nez en répétant mais-comment-peut-on-habiter-dans-un-truc-aussi-petit et de dire que Paris pue toujours autant et que vraiment il ne pourrait jamais revivre là. Tant mieux, parce que moi, j’avais bien l’intention d’y rester.
Pour ajouter une petite note lugubre à la scène, le ciel avait viré au gris foncé, la lumière s’était assombrie. Les premières gouttes de pluie se sont écrasées sur le pare-brise, dans de tristes ploc ploc chargés de mélancolie. Les recommandations, à leur tour, se sont mises à pleuvoir.
Pas de sorties nocturnes ploc Tu ne vas pas avec des gens que tu ne connaîs ploc Ne profite pas de l’absence de ta mère pour faire la java ploc et si elle ramène le Tout-Paris chez vous, tu me le ploc Elle s’est engagée ploc ploc Tu fais gaffe dans le métro ploc Tu vas à la cantine le midi ploc on ne peut pas se nourrir de sandwichs tout le temps ploc en pleine croissance, il faut manger équilibré ploc J’ai regardé sur le site de l’A.S. ploc entre midi et ploc il y a du yoga ploc ou de la relaxa ploc ploc on pourra faire des Sky ploc allume ton télé ploc n’oublie pas qu’un ploc ça se re ploc et tu ploc quand je te ploc ploc sinon ça sert à ploc que je te ploc un ploc et un abo ploc ploc ploc ploc ploc ploc ploc ploc ploc ploc…
Je savais qu’il valait mieux garder l’air inspiré et attentif pendant ces prêches, car le moindre haussement de sourcil valait présomption d’impertinence à la cour paternelle. Cela pouvait être sévèrement puni. Heureusement, les contractions de la vessie y étaient encore autorisées et j’ai fini par interrompre son monologue, en désignant le panneau qui annonçait l’affriolante aire d’autoroute de Farges-Allichamps.
— On peut s’arrêter faire pipi, s’te plaît ?
Mon père, avec un air de martyr, m’a fait signe que oui, on pouvait. Il a mis son clignotant et dans son élan, comme s’il ne lui restait que quelques minutes pour révéler le secret de la bombe H avant la fin du monde, il a lâché :
— Ça me fait bizarre. Tu vas me manquer.
Ça n’avait l’air de rien comme ça, mais de la part de mon père, je peux assurer que ça claquait. Parce que mon père, il parlait politique, éducation, pédagogie, histoire, écologie, ornithologie, pathologies, et des tas d’autres choses en gie , mais jamais de lui. Enfin, je veux dire de ses sentiments ou émotions, tous ces trucs dont il farcissait pourtant la tête de ses élèves à longueur de temps. Mon père est prof de français. À croire que pour lui, les choses sensibles, c’était juste bon pour les personnages de littérature.
D’ailleurs, il s’est repris aussitôt.
— Tu vas manquer à ta sœur surtout.
J’ai jeté un coup d’œil à Zoé, toujours affalée à l’arrière, écouteurs plantés dans les oreilles, regard égaré au-delà de la stratosphère, qui ne prêtait pas la moindre attention à nous. Tu parles que j’allais lui manquer. Elle avait déjà négocié de récupérer ma chambre et mon vélo électrique, elle allait pouvoir squatter l’ordi toute seule et fumer en douce avec ses potes quand mon père ne serait pas là.
Pour ma part, je n’étais pas persuadée que mon père me manquerait. J’avais l’impression d’avoir attendu ce moment toute ma vie. Mon existence qui se jouait jusque-là en sourdine allait enfin ressembler à une grande symphonie. Je ne pouvais pas expliquer à mon père que j’allais retrouver ma vraie famille. Lui dire que je trouvais sa vie petite, étriquée et sans panache, et que je me sentais bien plus proche de la façon de vivre de ma mère. Elle était un peu folle, c’est vrai, mais de la bonne folie, qui décoiffe le bourgeois et donne du piment à l’existence. Avec elle, on ne s’ennuyait jamais, elle avait toujours des histoires incroyables à raconter, des gens pas possible à nous présenter. Elle nous emmenait partout, au resto, dans des soirées, au concert de ses amis, on pouvait même aller en backstage et boire des coups gratuitement dans les loges avec les artistes. Mon père, s’il nous payait un jus de pomme bio à la buvette du poney club, c’était la fête. Il ne pensait que travail, devoirs, coucher tôt, passer le bac, manger sain.
Ma mère, elle avait des ambitions, elle était jeune dans sa tête. Elle s’en foutait que j’aie la mention au bac ou que je ne finisse pas mon assiette de pois cassés. Elle ne me prenait pas pour un bébé. Elle me faisait confiance. Par exemple, elle pouvait me donner son code de carte bleue pour aller lui retirer de l’argent. Mon père, c’est à peine s’il ne m’envoyait pas les flics quand je jetais par erreur un mouchoir usagé dans la poubelle à recycler.
*
Nous l’avons repéré en même temps. Réfugié sous l’auvent de la station-service, il était habillé avec un pantalon de treillis et un débardeur noir, portait de longues dreadlocks relevées et nouées en arrière sur un crâne à moitié rasé. Pas forcément mon genre, mais j’ai été parcourue d’un frisson. Ce devait être parce qu’il était grand, fin, les traits joliment dessinés, la peau délicieusement caramélisée. En résumé, très beau. Ça s’est encore gâté lorsqu’il nous a souri, que des fossettes se sont creusées sur ses joues et que ses yeux sont devenus doux comme des papayes mûres.
Une fois les portes automatiques franchies, Zoé a éclaté de rire.
— Tu as vu comme il t’a regardée ?!
J’ai fait comme si je ne comprenais pas ce qu’il y avait de drôle.
Lorsque nous sommes ressorties, la beauté fatale était encore là. Ce n’était donc pas une apparition. Forcément un signe du destin. Zoé a posé une main sur mon avant-bras et m’a dit, sans le quitter des yeux :
— Il faut qu’on l’embarque, t’es d’accord ?
Ma tête a dit oui toute seule.
— Papa ne voudra jamais.
— On s’en fout, a rétorqué ma sœur.
Perdu dans de sombres pensées, notre père n’avait pas bougé, derrière son volant.
— On le prend ? a braillé Zoé, en se propulsant sur la banquette arrière.
— On prend quoi ? a demandé mon père.
— Bah lui, tiens !
Zoé désignait le jeune homme posté face à nous, qui tenait un grand morceau de carton humide entre les mains, sur lequel était écrit en lettres noires dégoulinantes « PARIS ». Notre père a dû penser que c’était encore une lubie de Zoé. Personne dans la famille ne saurait dire d’où ça lui vient, mais ma petite sœur a développé très jeune un goût prononcé pour les marginaux de tout poil, punk à chien, rasta à djembé, ou n’importe quoi qui porte l’étiquette « antisocial » sur le front. Ça fait beaucoup rire ma mère. Beaucoup moins mon père.
D’ailleurs, il n’a pas eu l’air enchanté à la vue de l’autostoppeur.
Il a essayé de faire diversion.
— Attends, faut que je fasse le plein d’essence.
— D’accord, mais