120
pages
Français
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2016
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Publié par
Date de parution
08 juin 2016
Nombre de lectures
1
EAN13
9782342052176
Langue
Français
Ce roman, à la fois historique et moderne, retrace le parcours exceptionnel d'un réfractaire aux croisades, le troubadour Orlan de l'Artois, exilé à Jérusalem où il est accueilli par Joïb, un savant d'une grande sagesse, qui le protège et l'invite à partager ses réflexions sur le monde sans rien lui imposer. En plus de permettre à de jeunes lecteurs de découvrir un Moyen Âge peu connu : celui des cathares, des goliards, des troubadours, des alchimistes, ou encore d'imaginer à quoi ressemblait Jérusalem au Moyen Âge, l'auteur a su construire un récit passionnant, ancré dans un contexte historique captivant, à l'indéniable portée philosophique, qui délivre un message essentiel contre toutes les formes d'intolérance, et les dérives auxquelles peuvent conduire les extrémismes politiques et religieux.
Publié par
Date de parution
08 juin 2016
Nombre de lectures
1
EAN13
9782342052176
Langue
Français
Orlan
Safia Moghladj
Mon Petit Editeur
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Orlan
À tous mes proches.
À Nadia. À Xavier.
À la mémoire et à la sagesse de mon frère.
« Les opinions sont faites pour changer ; sinon comment atteindre la vérité ? »
Georges Gordon, Lord Byron.
Partie I. Les îles de Cèdre
I
Orlan ouvrit les yeux. Des femmes presque nues l’entouraient et des hommes rudes et farouches dansaient autour d’un feu. Il ignorait que son navire venait d’échouer sur les îles de Cèdre.
Au loin, Minère, l’alchimiste* de l’île, le regardait marcher. Des herboristes et des fleuristes s’attroupèrent autour de lui et se mirent à chanter en chœur. Il comprit qu’il était face aux adorateurs des multiples divinités combattues par les siens.
Orlan venait d’affronter, avec courage, les plus grands persécuteurs de son temps. Mais pour la première fois, il avait peur de ces étranges créatures qui dansaient autour de lui, en déposant des idoles de bois. Leurs yeux rougis par les vapeurs d’alcool le terrorisaient. Des hommes masqués s’approchaient de lui. Ils caressaient sa peau pour lui ravir sa blancheur.
Orlan avait l’impression que l’infortune s’acharnait sur lui et s’imaginait mort sans sépulture, dévoré par des cannibales égorgeurs.
Soudain, apparut un homme de grande taille, au corps maigre et au visage noble, qui s’exprima dans une langue inconnue. Le silence s’installa brutalement. Orlan fut saisi d’étonnement et impressionné par cet être charismatique.
Après avoir scruté le visage d’Orlan, il comprit qu’il venait d’Europe et s’exprima en latin :
— Qui es-tu, homme des Extérieurs ? demanda-t-il.
Orlan préféra mentir et répondit d’une voix faible :
— Je suis un serviteur du roi des Francs. Je dois porter un message au roi de Jérusalem. Mon nom est Orlan. Je viens de l’Artois.
Orlan venait en réalité d’un village situé près de Montségur et préférait garder le secret.
— Sois le bienvenu sur notre île, répondit l’homme. Je suis le roi du peuple qui t’entoure. Es-tu de la religion de ces apôtres qui ont de la révulsion pour nos croyances ?
— Je crois uniquement en l’amour de mon prochain, répondit Orlan mal à l’aise.
— As-tu, toi aussi, de l’aversion pour notre religion ?
— J’ai vaguement entendu parler de vos croyances.
— Crois-tu, comme tant d’autres dans ton royaume, que nos dieux égarent les hommes ?
— Je ne crois pas en tout ce qui se dit dans mon royaume. Je n’ai pas de haine contre ceux qui ne vénèrent pas tout ce que j’aime.
— Tu sembles effrayé. Ta voix tremble. Aurais-tu peur de nous ? Ne vois-tu pas que nous sommes tes semblables ?
Apaisé par ces paroles, Orlan tenta de se justifier en hésitant au début de chaque mot :
— Vous savez bien que l’homme est perdu lorsqu’il est face à l’inconnu. Les différences font parfois peur.
— Mais de quelles différences parles-tu ? reprit le roi. Peut-être de celles que ton Dieu a créées ? Ton Dieu aurait-il une préférence pour ceux qui te ressemblent ? Quand un Dieu désassemble ceux qui sont semblables, n’est-il pas le diable ?
Orlan se sentit agressé par la réponse du roi.
— Le Christ n’a jamais prêché la haine de l’autre ! Ne confondez pas le Christ avec ceux qui ont dévoyé la Bonne Parole ! L’idéal chrétien est la paix.
— Vos frères chrétiens débarquent fréquemment sur notre île. Ils nous appellent « païens » et nous reprochent de vénérer de nombreux dieux. À chaque fois, notre réponse est la même. Nous avons certes de nombreux dieux, belliqueux, monstrueux ou merveilleux. Ils peuvent être généreux ou capricieux, mais si le vôtre est unique, il a autant de qualités et de défauts que les nôtres.
Orlan, gêné, baissa les yeux. Puis, le roi ajouta :
— Pardonnez les miens d’avoir effrayé un chrétien et je pardonnerai les vôtres d’être venus sur nos terres en apôtres.
Orlan qui se sentait fragile, releva la tête sans savoir où poser le regard.
— Il est vrai que les miens craignent les peuples voisins, reprit-il. Que Dieu leur porte la lumière.
Le roi apprécia sa réponse et lui proposa alors de le conduire en Terre sainte* avec les hommes de son équipage habitué à ce trajet, après une nuit de repos.
— Tu as besoin de reprendre des forces. Nous partirons à la première heure du jour pour Jaffa, mais la nuit porte conseil. Si tu préfères rester plus longtemps parmi nous, mon peuple sera heureux de t’accueillir, car il a conscience que tu as échappé à l’enfer.
— Je vous remercie d’accepter de m’aider. Il est vrai que j’ai été souffrant pendant plusieurs jours, reprit Orlan d’une voix défaillante. Je ne me souviens pas de la dernière fois que je me suis alimenté. J’ai l’impression qu’un temps infini s’est écoulé depuis mon départ. Je dois peut-être ma survie à un miracle.
Des femmes s’empressèrent de leur servir des viandes diverses, qu’Orlan n’était pas habitué à manger. Quelques hommes tenaient à la main des flambeaux allumés. Le repas fut rythmé par des danses et des chants, qui résonnaient dans le triste cœur d’Orlan.
Après ce délicieux festin, Orlan décida de faire une promenade solitaire. Il marcha pendant plusieurs heures, en respirant le parfum des romarins et en contemplant ce paradis terrestre qui s’offrait à lui. L’île était presque déserte et son décor splendide, couvert de cèdres, de pins d’Alep, d’oliviers, de citronniers, de figuiers et d’orangers parés de fleurs blanches, rendait l’atmosphère douce et sereine.
Le temps s’écoulait avec lenteur. Un souffle léger caressait ses paupières et son doux regard qui scrutait l’horizon. Orlan resta songeur un long moment. Il avait l’impression que plus rien ne lui manquait. L’envie de partir et le désir de rester dans ce lieu d’une beauté insoupçonnable, où son naufrage l’avait conduit, se bousculaient en lui. Seul face à ses doutes, Orlan s’était décidé à quitter l’île, convaincu que son exil devait le mener en Terre sainte*.
La nuit tomba. Un vent frais se leva, emportant avec lui les odeurs d’encens. Orlan passa la nuit à veiller le ciel. La lune était pleine et le monde disparaissait en silence. Hors du temps, Orlan n’était plus personne, il n’avait plus de pays. Son douloureux passé n’était plus qu’une ombre, qui l’empêchait de trouver le sommeil.
II
Ils embarquèrent à l’aube, à bord d’un navire assez grand pour les protéger du zéphyr. Après être monté à bord, Orlan, qui était parfois très maladroit, remercia le roi de l’avoir laissé vivre.
Blessé par ces paroles, ce dernier changea d’expression et lui répondit d’un ton grave et sévère :
— Pourquoi un polythéiste serait-il forcément un assassin ? Toutes les idées préconçues doivent être combattues. N’en as-tu pas conscience ?
— Bien sûr, répondit Orlan, mais je peine à me défaire de ces préjugés que l’on a si habilement ancrés dans mon esprit depuis ma plus tendre enfance. Votre rôle est peut-être de m’aider à sortir de l’ignorance. Parlez-moi de vos croyances si mystérieuses.
— L’esprit des polythéistes peut paraître retors, mais il faut savoir que nous avons plus peur de la vie que de la mort.
— En effet, cela est étrange. Pour ma part, c’est plutôt la mort qui m’angoisse. Savoir que je devrai mourir un jour me révolte. Seuls les vers et la musique des troubadours me permettent de trouver l’apaisement dont j’ai besoin.
— La vie nous effraie plus que la mort, reprit le roi, parce qu’il est plus facile de mourir en martyr que de vivre avec le sourire. Voilà pourquoi nous n’avons ni saints ni martyrs. Nous n’avons que des dieux qui nous donnent le courage d’affronter la vie. Dans nos croyances, ce qu’il y a après la mort doit rester un mystère, que nous ne cherchons pas à percer.
Dans notre société les femmes participent à la vie sociale et religieuse. Elles ne sont pas de simples reproductrices. De plus, la propriété doit être collective, car la solidarité est pour nous essentielle. Détachés des biens terrestres, nous vivons de la chasse et de la cueillette. En somme, nous ressemblons quelque peu aux Gaulois qui adoraient, il y a bien longtemps, les forces de la nature. Notre société est en paix avec elle-même.
Orlan, l’écoutait avec plaisir, d’un air innocent, mais il doutait clairement de tout ce qu’il lui racontait. Il ferma les yeux en souriant et tomba dans un profond sommeil.
Quand Orlan rêvait, il se voyait marcher, partir en exil pour le printemps. Il offrait sa raison, à la belle saison, au soleil couchant, aux fleurs des champs, aux jardins luxuriants, à la blancheur du temps. Sur le fer de sa lance, il tenait le fil de son errance et l’offrait au silence et aux vagues frémissantes.
Tant que durait son sommeil, rien n’éveillait sa douleur. Le plus dur pour Orlan était de se réveiller dans l’aigreur. La mélancolie s’emparait brutalement de lui quand il repensait à certains habitants de son village, qui n’avaient pas eu la moindre compassion pour lui. On le surnommait « l’insensé » qui devait périr de son impiété.
En l’observant s’endormir, le roi avait compris qu’il n’était peut-être pas celui qu’il prétendait être. Dans son sommeil, il percevait sur son visage les expressions de tous ceux qui n’attendent plus rien de l’heure du réveil.
Il n’avait pas fait de prières avant de fermer les yeux, ni de signes de croix, comme en faisaient tous les chrétiens, ce qui intriguait le roi.
— Es-tu vraiment un homme de foi ? lui demanda-t-il, en voyant ses paupières s’entrouvrir.
Orlan avait la gorge nouée, l’esprit confus. Il était fiévreux et lui répondit