Ni elle, ni lui , livre ebook

Si tu habites aux Îles-de-la-Madeleine et que tu crois reconnaître un voisin, une amie ou un cousin, ce n’est qu’un hasard. Les personnages de ce roman sont sortis tout droit de mon imagination débordante!
Bonne lecture!
Carine
Les données de catalogage sont disponibles auprès de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèque et Archives Canada.
Éditrice : Colette Dufresne Conception de la couverture et infographie : Marie-Ève Boisvert, Éd. Michel Quintin
Illustration de la page couverture : Rachel Blanchard
Adaptation numérique : Studio C1C4

La publication de cet ouvrage a été réalisée grâce au soutien financier du Conseil des arts du Canada et de la SODEC.
De plus, les Éditions Michel Quintin reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par procédé mécanique ou électronique, y compris la microreproduction, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
ISBN 978-2-89762-610-5 (papier)
ISBN 978-2-89762-644-0 (ePDF)
ISBN 978-2-89762-645-7 (ePub)
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2022
© 2022, Éditions Michel Quintin inc.
Éditions Michel Quintin
Montréal (Québec) Canada
editionsmichelquintin.ca
info@editionsmichelquintin.ca
À tous les élèves de la troisième secondaire de la polyvalente des Îles, qui m’ont généreusement parlé de leur quotidien, et à leurs enseignantes, Julie et Maude, qui m’ont chaleureusement ouvert virtuellement leur classe.
À mes filles, Marguerite et Anne-Florence, qui partagent chaque jour avec moi leur vie de filles de 13 et 15 ans, et qui me permettent d’écrire des histoires qui leur parlent.
01
Assise sur mon lit, crayon en main, je griffonne dans mon cahier tout ce qui me passe par la tête en chanson.
| Ni elle, ni lui |
Je me déteste tellement que je m’enverrais
au large
Je me posterais sans adresse, sans message
Je me lancerais au bout de mes bras
Je me cacherais dans le fond d’un bois

J’ai voulu tout avoir pour moi
J’ai menti, trahi et joué avec toi
Je ne suis rien de ce que tu crois
Oublie celle ou celui que tu aimais, ce n’est
pas moi

Ne cherche pas de réponses, il n’y en a pas
Pourquoi? Comment? Je ne sais pas
À quoi ça sert d’expliquer, si je ne peux
rien réparer?
À quoi ça sert dis-moi?
Je ne suis ni elle, ni lui, je ne suis que moi

Je brise, j’éclate, je déchire
Pourquoi mentir?
Je brise, j’éclate, je déchire
Je veux partir!
Je brise, j’éclate, je déchire

Ça sert à quoi dis-moi?
Je ne suis ni elle, ni lui, je ne suis que moi!
Ça sert à quoi dis-moi?
Je mets à pleurer. Pourquoi j’ai fait ça? Pourquoi j’ai menti aux gens qui m’ont si gentiment accueillie à mon arrivée aux Îles-de-la-Madeleine? Tout ce que je voulais, c’était faire partie d’un band de musique. Mais peu à peu, je me suis enlisée…
— Salut! C’est moi!
C’est la voix de mon père qui rentre du travail. Je m’efforce de contrôler ma peine et de me calmer.
Respire, Charlie, respire. Je n’ai pas le temps de me ressaisir que papa apparaît dans le cadre de ma porte de chambre.
— Oh! Ça n’a pas l’air d’aller, toi. Qu’est-ce qui se passe?
Mon père sait que je me suis fait passer pour un garçon afin qu’on m’accepte dans le groupe des Voyous, mais il ignore que ce mensonge n’est que la pointe de l’iceberg.
Je ravale ma salive et j’essaie de faire comme si tout allait bien…
Ah! C’est trop dur. Je craque, je me remets à pleurer.
Papa s’assoit sur mon lit et met sa main derrière mon dos. Je me laisse tomber sur lui comme une baleine en dépression qui s’échoue sur une plage de larmes salées.
— Je suis conne, je suis tellement conne!
— Woh! Respire, ma puce, et raconte-moi ce qui se passe.
J’essaie de reprendre mon souffle, mais je n’y arrive pas. Ma voix tremble, je manque d’air. Papa tente de deviner ce qui ne va pas.
— Est-ce que c’est à propos de ton band ?
— Ouiiiii!!!
— Tu leur as dit que t’étais une fille?
— Nooooon!!!!
J’arrive enfin à prendre une grande inspiration et je retrouve l’usage tremblotant de la parole.
— J’ai voulu leur diiire. Mais ils ne m’ont pas laiiissée finiiir et ils m’ont aaavoué qu’ils connaissaient mon secret et que ça ne les dérangeait paaas. J’étais contente. Mais aaaprès, j’ai compris qu’ils pensent ennncore que je suis un gars et en plus, ils croient que je suis gayyy. Ils m’ont prise au dééépourvu et j’ai pas été capable de dire la vééérité.
— Je vois. Bon! N’oublie pas de respirer!
Je m’exécute et je me calme encore un peu plus. Mon père résume.
— Je comprends que plutôt que de leur dire la vérité, tu t’es enlisée dans un nouveau mensonge. Mais tu sais, Charlie, je pense que si tu leur expliques tout ça, ils vont comprendre.
Je n’ose pas regarder papa dans les yeux, car la vérité, c’est que ce mensonge n’en est qu’un parmi d’autres encore plus gros.
— Papa, tu vas me trouver conne, mais pour éviter de dire la vérité aux gars, je me suis inventé une sœur jumelle.
— Tu as quoi?
— Je ne pouvais pas être à la fois une fille et un garçon à l’école. C’était trop risqué que Les Voyous me croisent et dévoilent ma double identité. Alors j’ai fait comme si j’étais Lily, ma sœur jumelle.
Mon père a les yeux écarquillés. Il se frotte la barbe et la gorge comme il a l’habitude de le faire quand quelque chose l’embête. Il ouvre la bouche :
— Ouin, ce n’était peut-être pas…
Je lui coupe la parole.
— Je sais que c’était stupide. En plus, ce n’est même pas ça le pire.
Mon père a un mouvement de recul et ouvre encore plus grand les yeux, inquiet de ce que je vais ajouter.
— J’ai eu une date avec le chanteur du band en me faisant passer pour ma sœur…
Cette fois, papa éclate de rire.
— EILLE! C’est pas drôle!
Toujours avec légèreté, il répond :
— Excuse-moi, t’as raison, ça ne doit pas être drôle pour toi. Mais bon… Premièrement, si ta mère et moi avions eu des jumeaux, nous ne les aurions jamais appelés Charlie et Lily. Quand même!
Je souris.
— Niaiseux.
Papa retrouve son sérieux et continue.
— Deuxièmement, tu dois arrêter de mentir maintenant!
— Je sais… C’est facile à dire, mais pas à faire.
Je sens que je vais me remettre à pleurer.
— Écoute, Charlie, le pire qui pourrait arriver, c’est que tu sois mise en dehors du groupe.
Je sanglote.
— Oui, mais je ne veux paaaas.
— Je sais bien, mais tu pourras t’en créer un autre, groupe. C’est toi-même qui m’as dit que presque tout le monde savait jouer d’un instrument ici. Et en plus, t’as un endroit pour te pratiquer.
Je respire profondément. Mon père n’a pas tort.
— Écoute, ma puce, même les plus grands bands ont connu des chicanes et des séparations. Dave Mustaine jouait avec Metallica avant de quitter le groupe et de former Megadeth, Ozzy Osbourne s’est fait expulser de Black Sabbath avant de continuer en solo. Moi, ce qui me frappe, c’est que ma fille n’est pas heureuse en ce moment. C’est évident. Je ne te reconnais plus. Alors si ton groupe ne fait pas ressortir de meilleur de toi-même, tu devrais reconsidérer ton adhésion.
Même si les références musicales de mon père sont douteuses, je comprends ses intentions.
Papa me tapote le genou et se lève en disant :
— Je suis certain que tu vas trouver le courage de leur dire la vérité, et quoi qu’il arrive, tu sauras découvrir une façon de continuer de jouer de la musique et de redevenir ma Charlie. T’as tout ce qu’il faut pour arranger les choses. Bon! Viens m’aider à préparer le souper, ça va te changer les idées.
Je soupire. Je ne sais pas pourquoi les adultes ont cette habitude de nous proposer des tâches plates pour tenter de nous distraire. Ma mère fait pareil, et même mes profs au primaire utilisaient cette technique étrange : « Tu t’es chicanée avec Émile et il ne veut plus être ton ami? Défais ton sac d’école, ça va passer… »
Entre deux patates à éplucher, je m’encourage intérieurement : je vais y arriver! Un pas à la fois. Je commencerai par avouer la vérité à Jeanne. Quand elle saura pour ma triple vie, elle comprendra mieux la situation et avec de la chance, elle m’aidera à m’en sortir sans trop de dommages… Enfin, je l’espère. Pour ce qui est de Zac… Ça attendra, je ne peux pas tout régler en même temps! De toute façon, c’est lui-même qui m’a dit qu’une relation secrète lui allait. Je serais bête de ne pas en profiter. Non?
Je rêve ou ce truc bizarre de réaliser une tâche pour se changer les idées fonctionne?
02
— Charlie! Charlie! Tu vas être en retard.
J’ouvre les yeux avec difficulté. J’ai mal au ventre et à la tête. Je grogne :
— Papa, je ne me sens pas bien.
Mon père met sa main sur mon front.
— Tu es malade ou tu veux rester ici pour éviter d’avoir à parler aux gars?
— Non, pour vrai, je ne vais pas bien, papa.
Quand t’es la fille d’un pharmacien, t’as intérêt à être convaincante pour feindre une maladie. Mon père ne s’en fait pas passer une facilement. Mais aujourd’hui, je ne simule pas, j’ai réellement mal au ventre.
Normalement, j’aurais eu droit à un examen médical complet du genre : ouvre ta bouche, tire la langue, laisse-moi tâter ton cou et prendre ta température, etc. Mais étrangement, contrairement à son habitude, papa me permet de manquer une journée d’école et part travailler en me conseillant de me reposer. Je ramène ma couverture sous mon menton et je me rendors.
Il est près de 11 h quand je me réveille, et je me sens mieux. Je descends pour déjeuner, heureuse de ce petit jeudi tranquille à la maison. C’est exactement ce dont j’avais besoin pour remettre mes idées en place et être mieux préparée à affronter mes amis.
J’ai réfléchi à plusieurs scénarios, et le meilleur est le suivant : j’expliquerai à Jeanne que je me suis retrouvée prise au piège et q